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1911-1916 : et voici les débuts du groupe de Troyes…

 

Que nous réserve la nouvelle année 1916 ?

« Le Scout », la revue bimensuelle de scoutisme, qui prend la succession du « Scout troyen » et qui est à présent un imprimé, toujours édité à Troyes, dans son numéro du 20 janvier 1916 et ses vœux, exprime bien nos espoirs :

« … notre pensée s’adresse tout d’abord à nos camarades libérateurs de notre terre, qui bouteront dehors le barbare et qui, après avoir refait l’intégrité territoriale par la fraternité des armes, sauront reprendre un autre travail, non moins fraternel et non moins militant aussi, pour la formation virile des “jeunes preux du Scoutisme”. Qu’ils nous reviennent nombreux car le pays aura besoin d’eux. C’est le vœu que nous formons tout spécialement du fond du cœur. »

Le 15 janvier 1916, j’ai assisté avec mes parents à l’Assemblée générale de la Société des Éclaireurs de France, Section de Troyes, dans la grande salle de l’Hôtel de ville. Au cours de cette réunion un peu formelle j’ai pris conscience de l’impact positif que nous avions acquis dans la cité. Nos actions en faveur de la population et principalement envers nos braves soldats, sont reconnues et nous pouvons en être fiers.

Notre Secrétaire, monsieur Garnier m’a impressionné lorsqu’il a cherché à montrer « la haute valeur des principes de notre Société des Éclaireurs de France au point de vue éducatif. »

Je ne m’étais pas bien rendu compte que « ce qui fait le caractère distinctif du Scoutisme est de considérer l’éducation physique et l’éducation morale en même temps, alors que, jusqu’à présent il était convenu que l’éducation morale de l’enfant devait être laissée à l’instituteur et à la famille. »

« Certes, l’instituteur et les parents sont les premiers à agir sur l’esprit de l’enfant. Ce sont eux qui façonnent son âme. Mais n’est-il pas un âge où l’enfant leur échappe quelque peu pour être livré aux influences du dehors ! L’éducation ne se fait-elle pas à ce moment partout, partout où l’enfant est livré à lui-même, sans surveillance, sans conseil, avec des camarades que lui-même ne saura pas toujours discerner bons ou mauvais… À ce moment n’est-il pas préférable qu’il se trouve en compagnie d’enfants choisis parmi les bons, avec quelqu’un qui le conseille non comme un mentor mais comme un ami (…) qui lui apprendra à aimer et pratiquer le bien, de telle sorte que, lorsque l’occasion se présentera de faire le mal, il s’en éloignera car il lui fera contraste avec ce qu’il aura appris à aimer et à pratiquer. Ce sont là les grands principes du Scoutisme. » (1)

C’est donc très motivé que j’ai suivi les activités de notre Section au cours de l’hiver et du printemps. Principalement les sorties sur le terrain qui consistent essentiellement en des jeux au cours desquels nous devons faire appel à nos qualités d’observation, de camouflage et de débrouillardise. Chacune de ces sorties se termine par l’allumage d’un feu et la confection d’un café qui est fort apprécié. Cela permet aussi de faire le point, tous ensemble, sur la journée écoulée. Un compte-rendu est présenté dans « Le Scout » de la quinzaine suivante avec les remarques des instructeurs. Certains d’entre-nous sont nommément félicités, d’autres avertis d’avoir à faire mieux.

J’aime à me souvenir de la sortie du 16 avril.

« La réunion a lieu à 1 h ½. Les Lions partent en avant pour choisir le lieu de halte. La troupe suit peu après (itinéraire : Pont-Ste-Marie, La Valotte, Culoison). Arrêt dans un pré sur le bord de la rivière. Les Lions et les Écureuils font du passage de rivière entre deux arbres. Les Bisons mesurent la largeur, profondeur, vitesse du courant de la rivière. Les Coqs cherchent des matériaux pour faire des fascines pendant que les Écureuils et les Lévriers font des exercices d’approche du chef Godon en utilisant le terrain sans être vu. (C’est moi qui ai réussi le premier !). Café. Départ à 5 h ½. » (2)

Extrait du rapport de Mr Garnier secrétaire de la Section, lu à l’AG du 15/01/1916 et paru dans « Le Scout » numéro 18 du 29 février 1916.

Paru dans « Le Scout » numéro 22 du 30/04/1916

En plus des sorties hebdomadaires, l’année 1916 a été riche en événements qui m’ont marqué.

Le premier est le camp de Pentecôte que la troupe a vécu avec des jeunes recrues de la classe 17 en formation à Estissac.

Réunis à 5 h ½ le dimanche matin pour prendre les tentes, le matériel et le drapeau, nous avons pris le train jusqu’à Fontvannes. Ensuite nous avons marché jusqu’à Estissac atteint à 9 h et traversé drapeau et clairons en tête jusqu’au lieu de camp où une bonne soupe préparée par la classe 17 nous attendait. Après l’installation et le repas de midi nous avons visité les tranchées d’instruction avec des explications des militaires. Nous étions très excités par cette journée et malgré la fatigue nous avons eu des difficultés à faire le calme nécessaire pour nous endormir. Le lendemain matin, lever 5 h ½, toilette, petit déjeuner, démontage des tentes nettoyage du campement. Ensuite nous avons visité le polygone des bombardiers où nous avons eu des informations sur les grenades, les fusées, les crapouillots… Puis après le déjeuner nous avons pris le chemin du retour pour Troyes où nous avons défilé drapeau et clairons en tête, de la gare jusqu’au local où la dislocation a eu lieu à 4 h ½.

Le second événement est la journée du 14 juillet 1916 que nous allons vivre avec ferveur dans le cadre des manifestations organisées par la municipalité de Troyes et les associations locales. En effet nous ne pouvons pas oublier que la guerre est toujours d’actualité et nos pensées vont vers ceux qui sont au front mais aussi vers les blessés et les familles qui sont dans le deuil.

Le matin je suis allé avec une délégation fleurir les tombes de nos valeureux soldats tombés au champ d’honneur pendant que d’autres vont préparer le terrain du vélodrome des Hauts-Clos où auront lieu les festivités de l’après-midi. Elles débutent en ville par un grand défilé de toutes les associations participantes. Ce sont les éclaireurs qui ouvrent la marche avec leurs clairons et leur drapeau.

Sur le terrain du vélodrome où différents exercices sont organisés par les associations, les Éclaireurs assurent le service sanitaire avec une société de Sauveteurs de Troyes. C’est nous qui avons aménagé la « tente ambulance » qui a obtenu « un certain succès grâce à son ingénieux, pratique et coquet montage et agencement intérieur qui comprend des réduits isolés et très commodes pour les malades et les blessés* ». Par ailleurs nous avons monté quatre tentes et construit un abri en branchages avec des claies que nous avions confectionnées. Le tout a été très apprécié par de nombreux participants qui y ont trouvé refuge durant les fréquentes averses orageuses de l’après-midi.

« Le Scout » du 8 août 1916

 

Totalement différent a été l’intérêt pour moi du troisième événement : le campement des 13,14 et 15 août 1916 à Bar-sur-Seine. Le comité avait choisi comme thème principal la découverte d’entreprises où l’on travaille à la prospérité de la France afin de nous sensibiliser à l’activité économique de notre pays. C’est ainsi que nous avons pu visiter une verrerie et une usine à gaz. Ce fut particulièrement formateur du fait des explications détaillées qui nous ont été obligeamment fournies. Nous avons été aussi très bien accueillis par les notables de Bar-sur-Seine (Maire, Sous-Préfet, responsables d’entreprises…) qui sont venus visiter notre campement et aussi par la population qui nous a apporté des friandises.

J’allais oublier de mentionner que depuis le 22 juillet nous pouvons bénéficier gratuitement de cours d’escrime chaque lundi et chaque samedi. Ils ont un franc succès.

Deux accidents au cours du premier semestre de cette année 1916 ont démontré combien le scoutisme est une valeur sûre aussi bien pour les jeunes qui le pratiquent que pour la population. Un exemple : nos responsables ont insisté pour que nous apprenions à nager. Or le 9 avril Auguste Ouy âgé de 17 ans qui a quitté les éclaireurs l’année dernière était le seul à savoir nager à l’endroit où un jeune garçon de 14 ans est tombé dans le canal. Attiré par les cris des témoins il s’est jeté à l’eau. Arrivé à la hauteur du gamin celui-ci a coulé à pic. Il a alors plongé plusieurs fois mais l’eau était tellement boueuse que ses efforts sont restés vains et le petit n’a pu hélas être sauvé.

Heureusement le 18 mai mon camarade Amiot a eu une meilleure réussite. Il se baignait à Pont-Hubert lorsqu’un jeune garçon qui avait perdu pied et s’enfonçait dans l’eau, a crié pour appeler au secours. Amiot a nagé immédiatement dans sa direction. Il a plongé à deux reprises car le jeune garçon se débattait et l’empêchait de remonter à la surface. Il a réussi néanmoins à le ramener près du bord où le petit a été réconforté et le sauveteur vivement félicité.

En ce mois d’août 1916, deux années de guerre viennent de se passer. Le Secrétaire de notre comité, Étienne Garnier qui a participé le 12 avril à l’Assemblée générale nationale de notre mouvement, nous a fait part de sa satisfaction de constater le rôle positif de notre action en faveur de la population du fait du concours que nous avons apporté aux hôpitaux, aux services publics et militaires « avec dévouement et force morale ». Il trouve que nous avons créé « un mouvement général de sympathie en notre faveur » qui devrait permettre « d’envisager le développement et l’amélioration toujours plus grands de notre association ». On peut donc « considérer avec courage et confiance cette troisième année de guerre qui s’ouvre, celle de la victoire » que nous espérons tous. (1)

En italique des extraits de l’article d’Étienne Garnier dans « Le Scout » n°27 du 8 août 1916

Effectivement notre association voit venir vers elle de nombreux jeunes garçons. Le principe est qu’ils peuvent commencer par participer à nos réunions et à nos sorties, sans engagement particulier. Dans la mesure où l’intérêt pour notre mouvement se confirme, ils peuvent alors devenir « membres actifs » après l’accord des responsables.

Ce va être le cas en particulier d’un certain Pierre Wilmes* qui a commencé à fréquenter les éclaireurs durant l’année 1915 en compagnie d’un camarade d’école avec lequel il allait observer notre groupe au Manège d’équitation. Le 14 décembre 1915, il participe pour la première fois à la totalité d’une journée d’activité. Né le 7 avril 1901, il a 15 ans quand il va être officiellement admis avec quatre autres jeunes en juin 1916 dans notre groupe comme cela est relaté dans « Le Scout » n°26 du 30 juillet 1916. Il est probable que c’est son père Paul qui l’a incité à prendre contact avec les éclaireurs. En effet Paul Wilmes possédait le livre de Baden Powell : « Scouting for boys » édité en 1908. Mobilisé en août 1915 comme officier-instructeur des jeunes recrues avant qu’ils ne partent au front, on peut penser que c’est par ce canal qu’il en avait fait l’acquisition.

*note du rédacteur : Pierre Wilmes va être le premier d’une lignée de responsables éclaireurs et éclaireuses, louveteaux, routiers… qui vont assurer sans interruption la pérennité du Groupe troyen depuis le début du XXe siècle.