Une communication à rétablir
Un certain nombre d’années passées dans l’équipe de la région de Paris – qui peut être considérée comme une assez jolie maquette de l’ensemble du Mouvement – ont permis une prise de conscience des problèmes rencontrés dans les années 70, de leur gravité, et de la nécessité de rechercher une réponse à moyen terme. C’est donc un témoignage totalement subjectif qui est présenté ici.
Élu au Comité Directeur lors de l’Assemblée Générale (très mouvementée) de 1972, j’ai d’abord accueilli avec une certaine réticence les propositions de Pierre François, appuyé par Jean Estève, pour un nouveau départ du Mouvement. Je considérais en effet – et je le considère toujours – que Pierre Bonnet, qui avait remplacé, de 1968 à 1974, Jean Estève au Commissariat Général dans une période plus que difficile, risquait d’être la victime expiatoire d’une situation dont il n’était en rien responsable.
Mon opinion sur ces propositions a évolué assez rapidement : dans l’équipe régionale parisienne, dont j’avais assuré la responsabilité au cours des dernières années, j’avais pu prendre la dimension d’une crise grave qui risquait de mettre en cause l’existence même du Mouvement. Nous avions mis l’accent sur la formation « initiale » des cadres, à partir de stages premier degré dit « stages Motivation » qui avaient pour but d’expliquer aux jeunes responsables « pourquoi nous combattons » c’est-à-dire quel était l’intérêt, aux alentours de 1968 et dans un monde en profonde mutation, de venir s’occuper de jeunes de tous âges dans un « Mouvement de scoutisme laïque ouvert aux filles et aux garçons ». Je pensais alors, et je continue de penser, que nos options pédagogiques, même si elles avaient évolué depuis les temps heureux des débuts de Scouting for Boys, méritaient mieux que l’image dégradée qui s’était construite au fil des ans.
Ce contact avec les « jeunes » m’avait permis, et ce sentiment était partagé par la totalité de mon équipe régionale, de constater que nous ne notions aucune divergence grave sur le fond… avec ceux que les responsables locaux voulaient bien accepter de nous confier. Pour certains autres, la vérité était détenue par deux ou trois adultes qui avaient « appris le Scoutisme » dans les années 30 et, n’en voulant pas démordre, protégeaient par tous les moyens leurs jeunes ouailles de l’influence néfaste de structures régionales évidemment perverties puisque essayant d’appliquer des décisions collectives… je ne caricature pas tellement ! Nous n’avons jamais empêché quiconque de pratiquer le Scoutisme qu’il voulait, nous souhaitions simplement que ce soit dans un cadre « associatif » et non sous la forme d’une entité autonome acceptant tout juste d’acheter une assurance à un organisme central. Cette option me semblait totalement compatible avec les orientations données par le Fondateur pour qui le Scoutisme était, avant tout, une magnifique aventure en commun.
Autrement dit, et transposé au niveau national, le problème majeur était celui d’une communication à rétablir, pas uniquement entre générations, mais aussi – et peut-être surtout – entre conceptions différentes de notre Scoutisme. Un premier risque était l’éclatement, à partir de « tendances » qui avaient besoin, pour exister, de se différencier, donc d’accentuer leurs différences mutuelles. Un deuxième risque, peut-être aussi important, était l’épuisement en querelles internes dont l’action « à la base » ne pouvait que faire les frais : c’est d’ailleurs plutôt ce deuxième risque qui s’est confirmé une fois passées les inévitables « dissidences » d’adultes qui se considéraient comme des chefs absolus.
C’est cet aspect de la question qui a été mis en évidence, très vite, par Pierre François et, également, Jean Estève, et je n’ai pu qu’approuver leur première proposition : à l’ensemble du Mouvement une réflexion « sur le fond », à travers une grande « Consultation » présentée comme un immense « remue-méninges » (traduction approximative du mot américain « brainstorming »).
Dégagé de mes obligations régionales, je me suis intéressé à la « promotion » de cette idée auprès d’un certain nombre de régions, et je crois me souvenir que l’accueil en a été très favorable : il fallait sortir de cette situation de crise.
Étape suivante, Pierre François et Jean Estève ont pensé qu’ils pouvaient, eux aussi, avec un Comité Directeur considéré comme représentatif du Mouvement, participer à la réflexion, et ont donc constitué un groupe de travail dont j’ai, un certain nombre de fois, assuré le secrétariat. Je joins en annexe une lettre de Pierre François me félicitant, en quelques lignes, de l’excellent travail fourni dans un compte-rendu et expliquant, sur les deux pages suivantes, quelles améliorations il souhaiterait lui apporter…
Cette lettre de Pierre François, corrigeant avec d’excellents détails un projet de compte-rendu de réunion, aborde efficacement ce qui est, en réalité, le fond du problème de la crise que vit alors le Mouvement.
Cette lettre atteste l’importance que Pierre François, comme Jean Estève, accorde à la nécessité d’une nouvelle définition du Mouvement tenant compte de la totalité de ses composantes mais ne se séparant pas de l’essentiel : la notion de contrat, certes, mais également – et peut-être surtout – l’importance du choix de l’action « éducative » car « nous croyons à la vertu de l’éducation pour transformer l’homme et la société ».
Notre préoccupation a été claire : sortir du contexte d’affrontement, éviter l’éclatement, redonner au Mouvement les moyens de ne plus s’épuiser en querelles internes – et de s’ouvrir sur l’extérieur. Pour ce faire, il était nécessaire de l’aider à définir un « socle commun » qui permette de rebâtir et d’aller de l’avant. Les travaux correspondants ont abouti à un ensemble de propositions – qui n’ont pas été adoptées par tous les membres du Comité Directeur, dont certains étaient impliqués dans d’autres structures de réflexion.
Prêchant la paix dans un contexte, sinon de guerre, du moins d’affrontement, nous n’avons guère été entendus. Candidats à l’élection du nouveau C.D. lors de l’Assemblée Générale de Saint-Pierre des Corps en octobre 74, nous avons recueilli des scores sans appel : Jean Estève, 49 voix comme Jean-René Kergomard, Pierre François, 46 voix – et, pour ma part, dernier de cette liste, 27, soit 2 de moins que Pierre Estève qui me précédait de peu dans le palmarès. Il en fallait 50 pour être élu.
Malgré cet échec – démocratique –, la réflexion qui avait été menée pendant deux ans n’a pas été inutile : après quelques turbulences, le Mouvement a, progressivement, retrouvé ses repères. Revenu au Comité Directeur en 1977 sous la présidence de Jean-René Kergomard, j’ai constaté avec plaisir que les conflits de conception étaient pratiquement éteints, que l’on recommençait à faire du « Scoutisme E.E.D.F. »… et qu’il redevenait possible de s’intéresser aux activités, aux enfants et aux jeunes.