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1978 et la suite : valeurs, équipes, activités… pour une sortie de crise

« Le Mouvement aurait pu gagner quelques années »

 

 

Jean-René Kergomard fait remarquer, dans la contribution qu’il nous a donnée, que « Le Mouvement aurait pu gagner quelques années », mais sa conclusion laisse penser que cette « purge » était nécessaire. Il est important de constater que ces remises en question, qui concernaient aussi bien le fond que la forme, ont été le fait du Mouvement lui-même, d’un certain nombre de ses militants, certainement plus « grandes gueules » que d’autres, mais tout aussi impliqués dans ses activités, à la base comme dans ses instances de formation et d’animation. Contrairement à ce qui a pu être, quelquefois, prétendu par ceux qui n’acceptaient pas ce mode de fonctionnement, la crise n’a pas été importée par quelques « politiciens » souvent peu impliqués dans les camps et les sorties du dimanche. Tous avaient envie de vivre et de faire vivre leur scoutisme, mais ressentaient en même temps le besoin de le redéfinir…

Quelques « grands chefs » historiques – Pierre François, Jean Estève, Jean-René Kergomard, Claire Mollet, Françoise Lefèvre – avaient senti, dans les années 70, le danger d’une confrontation conduisant à l’éclatement, et essayé de l’éviter, mais ils étaient peut-être un peu en avance, en une période où d’autres voulaient en découdre… Il n’empêche que c’est la solution qu’ils préconisaient – une cohabitation apaisée autour de valeurs communes – qui finit pas s’imposer. Les successeurs de Jean-René Kergomard, membres du Comité Directeur et délégués généraux, vont, dans une réelle continuité, la mettre en place.

De l’examen des comptes-rendus d’Assemblées Générales ou de réunions du Comité Directeur, et de la lecture des documents et publications du Mouvement, il semble possible de dégager trois éléments majeurs d’orientation des deux décennies qui suivent les années 80. Le résultat actuel en sera présenté par le chapitre « les EEDF aujourd’hui », mais on peut, dès cette période, en suivre la construction. Ces éléments interviennent dans des domaines apparemment différents, mais qui traduisent, au total, une réelle cohérence entre objectifs, méthodes et moyens :

– en tout premier lieu, une réflexion approfondie conduisant à une redéfinition des valeurs, en particulier en ce qui concerne le scoutisme, la démocratie, la laïcité, les droits de l’enfant… en résumé, tout ce qui donne au Mouvement sa fonction de formation à la citoyenneté.

Il faut peut-être rappeler, une nouvelle fois, que ces conclusions sont le résultat d’un fonctionnement démocratique, en particulier à l’occasion d’assemblées générales ou de rencontres dédiées, à l’issue de réflexions menées par des militants de terrain.

L’aboutissement en est l’écriture de la « règle d’or » et de quelques autres documents qui en résument clairement les éléments principaux : c’est le niveau des objectifs ;

– en deuxième lieu, un travail collectif de redéfinition des principes d’animation, retrouvant progressivement et accompagnant la différenciation des activités suivant les âges, mais aussi la progression individuelle et collective.

L’aboutissement en est une nouvelle rédaction des documents d’accompagnement des jeunes, mais également une nouvelle définition de la formation des cadres, intégrant des contraintes « administratives » de plus en plus pesantes et la prise en compte de l’évolution sociologique des jeunes acceptant de s’engager : c’est le niveau des méthodes ;

– en troisième lieu, l’organisation systématique de rencontres assurant et concrétisant la cohésion du Mouvement et concernant la quasi-totalité de ses membres : congrès de responsables (Mâcon 1985), grandes activités (Navigator, TREEC…), manifestations « publiques » (rencontres de jeunes au Sénat ou à l’Assemblée Nationale), Assises (Saint-Étienne), sans oublier la création du centre de Bécours qui va devenir un lieu international de rencontres et d’activités : c’est le niveau des moyens.

Il est évident que, au fil des décennies, la situation du scoutisme, des Mouvements de jeunesse ou de l’éducation populaire a énormément varié. Innovation au début du XXe siècle, elle fait, à la fin du même, partie des « meubles ». Le loisir s’est développé, le plus souvent dans un sens plus commercial qu’éducatif, et les contraintes administratives de tous ordres ont suivi. La délégation de service public qui, pendant de longues années, a permis de financer en grande partie des investissements et des moyens d’animation s’est progressivement réduite au strict minimum de survie, ce qui a conduit à une adaptation des activités au détriment de leur originalité. Aujourd’hui, Georges Gallienne ne pourrait plus faire descendre ses boys-scouts « sapeurs pompiers » le long d’une corde sans la présence d’un spécialiste de la corde, des nœuds, un casque et une déclaration préalable… Cette présentation est peut-être caricaturale, mais elle n’est pas loin de la réalité. Les dirigeants successifs du Mouvement ont eu la charge de cette adaptation : leur préoccupation constante a été de ne pas sacrifier l’esprit à la lettre.

Pour témoigner concrètement de cette évolution au cours des dernières décennies, nous avons demandé à l’ensemble des responsables nationaux, présidents ou membres du Comité Directeur, délégués généraux ou membres d’équipes nationales, de nous décrire leur « parcours ». C’est le but du chapitre suivant, qui assurera la transition avec la dernière partie, « Les EEDF aujourd’hui », car nombreux sont, parmi eux, ceux qui ont toujours une activité militante.

Ces contributions mettent en évidence une évolution notable de la gestion nationale de notre Mouvement. Au cours des premières décennies, celle-ci était assurée par des pratiquants du scoutisme « à la base » devenu, par choix et pour répondre à un besoin, animateurs salariés : c’est le cas, entre autres, d’André Lefèvre, de Pierre François, de René Duphil. Par la suite, des enseignants ont été mis à la disposition de l’association et, à partir de leur expérience et de leur motivation acquises également « sur le terrain », ont accepté d’interrompre leur parcours professionnel pour lui consacrer quelques années : c’est le cas de Jean Estève, de Pierre Bonnet ou de Roland Daval, mais aussi de responsables de branches comme Andrée Barniaudy ou René Baétens ; certains ont même renouvelé cette expérience, comme Jean Estève, René Baétens ou François Baize…

Les dernières décennies ont connu un changement important dans ce domaine : le recrutement d’enseignants issus du Mouvement devenant de plus en plus difficile, les membres de l’équipe nationale sont souvent des « animateurs professionnels » qui ont choisi cette voie, eux aussi, à partir d’une expérience qui leur a apporté une bonne connaissance du Mouvement, de ses valeurs et de ses modes de fonctionnement. Il est important de noter que ces parcours ont souvent commencé dans des « services vacances », prolongement des activités classiques vers un recrutement limité dans le temps, dans le total respect des valeurs et des principes du Mouvement.

Les contributions apportées par ces responsables nationaux mettent aussi en évidence, la difficulté que peut représenter, quelquefois, cette coexistence de militantisme et de professionnalisme. Et l’un d’entre eux, devenu, après son passage à l’échelon national… directeur de cabinet d’un haut responsable politique, a souhaité évoquer combien ce choix pouvait être « abrasif »…

(Extrait de « Cent ans de laïcité dans le scoutisme et l’éducation populaire »)