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2021.09 : un témoignage après les 40 + 1 ans de Bécours

Jean-Jacques Jousselin nous raconte « son » Bécours avec une belle remise en perspective.

 

Mon Bécours 2021

Ah quelles merveilleuses rencontres autour de cet anniversaire des 40+1 ans ! Et quel plaisir de voir que l’oriflamme de Bécours flotte toujours sur le village.

Merci à tous ces jeunes et moins jeunes qui sont là pour faire vivre Bécours et prolonger l’utopie du partage et de l’enrichissement. Merci à Bernard pour ses chroniques et merci à Philippe pour la mémoire. Ils ont su réactiver l’histoire de ces vieilles pierres et construire une passerelle entre l’avant et le maintenant.

Je suis un « vieux de la vieille », un parmi ceux présents au début de Bécours. Présent en 1981 et lors des rencontres suivantes, j’affiche 48 ans au compteur EEDF. J’ai parcouru tous les échelons de l’association : louveteau, éclés, ainé, responsable, responsable de groupe, responsable départemental, responsable régional et membre associé à l’équipe nationale (secteur handicap). Et puis j’ai fait une pose durant ces 10 dernières années, pour investir d’autres aventures. Pédopsychiatre, pa(e)nseur, ethnoclinicien, formateur (éducateurs), accompagnateur des changements dans le médicosocial, je ne serais rien de tout cela sans les éclés. L’ouverture, l’engagement, l’écoute et la force de l’échange, l’envie d’innover et de bâtir, tout cela je l’ai construit par et avec les EEDF.

C’est pourquoi je m’autorise aujourd’hui à prendre la parole.

Cet anniversaire a célébré la reconstruction d’un village. Mais, et Bernard l’a évoqué, il a aussi été question de la reconstruction du mouvement. Et Bécours c’était d’abord ça, aider les EEDF à sortir des conflits et à retrouver une cohésion associative et pédagogique. Il faudrait s’attacher à reprendre cette histoire, moins visible que les vieilles pierres, mais tout aussi importante puisqu’elle permit d’éviter l’éclatement, et fait ce que les EEDF sont aujourd’hui.

J’étais dans les combats post 68 qui ont traversé, bousculé l’association. De vrais combats avec des groupes de militants s’affrontant, collant des affiches la nuit lors des AG (rappelons-nous Saint Pierre des Corps), faisant barrage à l’expression des « autres », s’invectivant, etc. Les anciens s’en souviennent certainement, c’était parfois une belle foire d’empoigne entre les « Avignon continue », les « Collectifs après demain », les « Traditionnalistes », les « Tendance Marti », etc.

Les uns étaient partisans de maintenir le cap traditionnel du scoutisme, d’autres voulaient innover en sortant du scoutisme et proposaient une « communauté éducative » d’enfants ET de parents vivant ensemble, d’autres souhaitaient rénover mais sans effacer l’appartenance au scoutisme, et tout cela avec en toile de fond la relation enfants-adultes et la question de l’égalité garçons-filles et de la sexualité (la question du genre n’existait pas à cette époque-là !).

Et puis, après s’être bien étripé, l’idée d’une (ré)unification a fait jour. Claire Mollet et Bernard Machu sont descendus en décembre par ce froid hiver de 1980 pour visiter Bécours. L’idée étant, cela a été dit, de fédérer et unir les militants autour d’une « Reconstruction ».

Mais au-delà de la construction des murs et d’un village symbolisant le « vivre ensemble », il fallait aussi repenser les fondamentaux du scoutisme laïque attaqué par les autres mouvements de scoutisme qui accusaient les EEDF de ne pas respecter les 8 piliers qui font la reconnaissance d’un mouvement comme appartenant à la grande famille du scoutisme.

À savoir : la petite équipe comme unité de base (la patrouille ou la sizaine), la loi, la promesse, le cadre symbolique (l’uniforme, les insignes, le vocabulaire, l’imaginaire), l’éducation par l’action, la progression, la relation éducative (le chef scout – éducateur – apprend et fait grandir le novice), la nature, l’engagement.

Si certains ne posaient pas problème, pour d’autres la situation était plus complexe.

Si la patrouille devenue équipage était conforme, par contre le fonctionnement à l’intérieur de cette unité posait problème (hiérarchisée ou démocratique !?), pour la nature, pas de souci, l’éducation par l’action OK, question engagement les EEDF affirmaient vouloir éduquer les jeunes « conscients des problèmes sociaux et attachés à les résoudre », c’était conforme,

… mais se posait le problème de la loi et de la promesse, de la progression, de la relation éducative et du cadre symbolique.

L’équipe nationale s’est donc attachée à résoudre ces problèmes en termes pédagogiques. Un « séminaire » (on dirait ça maintenant) s’est mis au travail dans les Alpes, en 1983, pour discuter, controverser et tenter de trouver une voie novatrice affirmant une orientation nouvelle pour les EEDF, tout en les ancrant dans le scoutisme.

Le collectif d’enfants est réaffirmé comme base du fonctionnement pédagogique (équipage, sizaine, cercle, ronde), l’éducation par l’action est définie comme modalité principale de la progression individuelle, l’éducation dans et par la nature également, tout en ouvrant une voie de réflexion pour les unités urbaines, l’engagement de chacun est affirmé comme un des principes de base du lien aux autres, traduit en terme pédagogique : le projet, l’entreprise, l’innovation, le volontariat…

Et puis des avancées pédagogiques sont proposées. Il est d’ailleurs remarquable de considérer que maintenant, elles font parties du décor.

La relation éducative posait le principe du sachant (le chef) distribuant son savoir à des jeunes « novices » à travers la progression (les étapes et brevets). Cette position reposait aussi sur le fait que la règle des adultes s’imposait à tous à travers la loi (immuable), et que les étapes et les brevets imposaient le chemin tracé. La promesse (scout un jour, scout toujours) et la symbolique (qui encadrait l’appartenance) faisait clôture de cet ensemble vers une impossible sortie critique et/ou novatrice. Que cela semble loin et surement incompréhensible pour les jeunes d’aujourd’hui.

En tout cas, les EEDF ont proposé une nouvelle relation éducative où la démocratie devient la pierre angulaire du vivre ensemble, que l’apprentissage des uns avec et par les autres remplace la transmission du savoir-être par l’ancien qui sait. La progression se fait dans et par l’action (sans étapes particulières mais en mesurant le chemin parcouru). L’engagement dans le vivre-ensemble et le respect de l’autre ne saurait être pour toujours le fait du scoutisme, et donc la promesse, énoncée ou pas, doit s’ouvrir au contexte et à la maturité du jeune. Quant au cadre symbolique, l’imaginaire s’est enrichi d’une ouverture vers la création, les arts et la culture. Quant à l’uniforme qui indiquait l’appartenance au scoutisme, il n’a pas été mis en avant, et le foulard (entre autres) devient un indicateur de cette appartenance.

Et puis, tout cela a été développé au fil du temps à travers les formations et dans les revues, et s’est finalement imposé comme le socle de l’identité des « éclés ».

Bécours c’est donc des vieilles pierres, c’est aussi une reconstruction pédagogique qu’il serait intéressant (nécessaire ?) de faire connaître. Les divergences sont finalement devenues des différences et des points d’enrichissement ! Et la conviction des uns et des autres, de radicale est devenue une opinion dont on peut débattre sans être taxé d’être borné, voire un mécréant.

On pourrait alors développer les expériences de 81 avec cette multitude de groupes d’horizons et de façon d’être très variés mais tolérants, unis pour reconstruire Bécours. On pourrait parler des veillées où chacun apportait son histoire, sa conviction mais où l’on sentait chacun à l’unisson. On pourrait ne pas occulter les moments de flottement aussi, où tout s’est arrêté lors d’une « journée à la chinoise », avec cet espoir de retrouver une cohésion. Journée où tout le monde, vraiment tout le monde, a cessé ce qu’il faisait pour réempierrer le chemin qui menait à Bécours. On pourrait parler enfin de cette expérience qui a permis de découvrir que les liens se tissent dans l’action, parce qu’agir ensemble c’est aller à la découverte de l’autre… et ça crée des liens !

Voilà ce que nous dit la « reconstruction » de Bécours et, par elle, du socle pédagogique actuel des EEDF. L’avenir se construit sur les fondations du passé, et par-delà les pierres existent aussi les traces des conflits, des rencontres et d’une reconstruction d’un vivre-ensemble à ne pas oublier.

Ma conviction c’est l’importance de chacun qui amène sa pierre dans cette construction en mouvement, forte et fragile à la fois mais, oh combien respectueuse d’autrui ! Voilà mon Bécours, mon histoire, mon vécu, avec l’espoir que chacun se (re)découvre à Bécours.

Que la force soit avec vous !

Jean-Jacques JOUSSELLIN

40+8 ans aux EEDF !

 

Les photos jointes à ce texte confirment la présence de B.P. sur place : 

BP

 

BP