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1946 : Un ouvrage raconte les Auberges de Jeunesse : « Mémoires d’ajiste », de Daniel Lambert

… et quelques commentaires sur l’ajisme et l’auteur

 lambert

 

L ’auteur présente l’ouvrage : En guise d’introduction

« Il y a quelques années des copains et des bons, me demandaient d’écrire un historique sur le MIAJ. Puisque d’après ces amis, j’étais un « ancien » des AJ depuis l’époque de la Libération, je devais connaître beaucoup de choses sur le mouvement des Auberges de Jeunesse.

Pendant des mois j’ai refusé. D’abord parce que ce travail nécessitait énormément de recherches parmi les archives de l’Ajisme. Or, par tempérament, je suis inapte à cette activité qui demande beaucoup de patience et de curiosité. En outre, peu de documents sont restés en ma possession, à cause de mon horreur pour les vieux papiers.

Puis à la lecture d’écrits d’anciens ajistes, plus anciens que ma pauvre personne, et après avoir lu la très intéressante thèse de Lucette Heller-Goldenberg mon état d’esprit commença à évoluer.

Je constatai en effet que ces écrits s’arrêtaient au seuil des années 1950, avec très peu d’information sur l’Ajisme que j’ai connu et vécu à partir de la « Libération ». J’en retirai une impression d’inachevé. J’avais le sentiment que ces « anciens », ou les informateurs de Lucette Heller-Goldenberg, ayant quitté l’Ajisme, semblaient croire que le mouvement s’était éteint après leur départ.

Pourtant tous les copains savent qu’il n’en est rien, puisque l’Ajisme perdura et survécut depuis 1945 jusqu’aux environs des années soixante-dix. C’est pourquoi je changeai d’avis et me lançai à mon tour dans cette tentative hasardeuse.

Cependant, ayant été un militant engagé, partisan et acteur avec bien d’autres de la scission de 1951, je ne pouvais en toute honnêteté écrire un historique sur cette aventure. Seule une personne neutre, comme Lucette Heller-Goldenberg, pouvait objectivement et sans passion, effectuer une recherche approfondie et déboucher sur un résultat satisfaisant pour le lecteur et les anciens ajistes.

Mais cette impression d’inachevé me restant sur l’estomac, comme on dit dans les milieux populaires, je me décidai enfin à me mettre à l’oeuvre, et tentai de remédier à cette lacune. C’était assez prétentieux comme intention, penseront certains. Et effectivement, pour un simple militant de base, armé d’un petit peu d’instruction, et pas très doué au maniement de notre glorieuse langue française, je ne me doutai pas au début, dans quelle galère j’allai me fourvoyer !

Je me lançai donc dans cette tentative, non pour écrire un « historique », mais pour raconter le récit de mon voyage au sein de l’Ajisme. En toute conscience, je ne pouvais m’investir dans la recherche minutieuse de toutes les formes et aléas qu’a connus ce mouvement durant cette période. Par contre, je pouvais parfaitement vous parler tout simplement de ma vie d’ajiste. Une vingtaine d’années exaltantes au cours desquelles j’ai connu des joies simples et profondes et découvert l’amitié, la solidarité…, et la beauté de la nature.

J’ai vécu des périodes d’étonnement, de passion et de colère indignée, aussi de déprime, mais surtout et en tout moment, une vie riche en expériences de tout ordre. J’ai donc essayé de mon mieux, au cours du déroulement de ce récit, de vous faire partager mes sentiments, mes émotions, mes idées et mes réactions. Sans oublier les parties de franches rigolades.
Vous le constatez, on est loin d’un historique ou d’une thèse de « chercheur ». J’écris comme je vous parle, comme nous parlions en auberge, parfois avec notre argot, parfois avec des expressions lyonnaises. Bref, ce n’est pas du français d’académicien !

Et heureusement, n’est-ce pas les copains ?

Souvent je cite les noms ou les surnoms des camarades, parfois d’une manière répétitive. Je l’ai fait volontairement, quitte à paraître lassant. Pour moi, ces noms ou surnoms représentent dans mon esprit de VRAIS copains ajistes, de VRAIES personnalités, comme nous en avons tous fréquentés ou rencontrés dans nos groupes, nos assemblées, nos balades ou nos veillées d’AJ.
Anonymes dans la vie courante, toutes ces copines et tous ces copains ne cherchèrent pas dans l’Ajisme un strapontin pour partir à la conquête d’une quelconque notoriété, ou d’un hypothétique pouvoir. Ils furent tout simplement la base humaine de ce que nous avons appelé l’AJISME. Sans eux l’Ajisme n’aurait jamais existé. Avec eux l’Ajisme fut TOUT !

Il en est de même pour tous les copains de toutes les régions de l’Hexagone, et même bien au-delà, par-dessus les frontières. Ceux que j’ai eu le bonheur de rencontrer, comme ceux que je n’ai jamais connus. Ainsi ces mémoires se proposent, bien modestement, d’être un hommage rendu à l’Ajiste Anonyme, à tous les Ajistes Anonymes.
Pour terminer, je vous dirai que pour l’essentiel, j’ai dû faire appel à mes souvenirs enfouis au plus profond de mes cellules grises. Il faudra attendre les années 60 pour que parfois, je me réfère à des documents écrits. Aussi le lecteur voudra-t-il me pardonner des oublis, des erreurs, des inexactitudes éventuelles et involontaires, à cause d’une mémoire défaillante. Au lecteur de rectifier et de rétablir le sens de l’histoire, s’il en a la possibilité. Dans le cas contraire, je vous demande de me croire sur parole !

Voici donc « Mémoires d’Ajiste ». C’est tout ce que j’ai trouvé comme titre ! »

Daniel Lambert dit « Gaucho », né à Lyon le 16 juillet 1925.
Écolier de la « Laïque » et formation de dessinateur à l’E.N.P. de la Martinière. Dès son entrée dans la vie active et le monde du travail, il sera un militant actif.
Pendant un long passage dans les mouvements ajistes, puis partisan avec bien d’autres de la scission de 1951, il participera à la création du MIAJ dès 1951.

Un commentaire : Souvenirs de jeunesse :

La lecture des deux volumes de « Mémoires d’ajiste », soit 750 pages manuscrites de Daniel Lambert dit « Gaucho » (région lyonnaise) nous a replongés, nous les ajistes de l’immédiat après-guerre dans notre vie de cette époque. Ce livre est la réalité que nous avons vécue et nous rappelle avec force les principes de cet esprit ajiste qui nous animait. Il est bon de rappeler les principes en usage dans les foyers et groupes, à savoir :
– Plein air
– Démocratie
– Mixité
– Laïcité
– Antiracisme
– Internationalisme
– Travail collectif au profit de tous
– et surtout ce que nous appelions la « GESTION DIRECTE » de nos idées et de leurs débats et actions dans la collectivité des usagers des A.J.

Ce qui a permis à des jeunes travailleurs, au sein des foyers et groupes de réfléchir et de s’organiser ensemble pour réaliser un but commun : gérer ses loisirs, participer à la construction et à la gestion d’auberges pour le bien et le plaisir de tous, se cultiver, voyager, et apprendre la vie collective. C’est cela l’esprit ajiste, mais il ne peut s’épanouir qu’au sein de groupes autonomes, ouverts à tous sans distinction de classe, ni de race. Lieux libres de formation et d’apprentissage de la vie sociale grâce aux contacts dans ce milieu avec les autres groupements de jeunes et les partis politiques ou courants d’idées, où l’adhérent des groupes d’A.J. pouvait se former l’esprit en toute indépendance car tous les moyens d’apprendre la vie étaient à sa disposition.

C’est pourquoi les adhérents actifs ayant suivi cette formation particulière ont acquis une conscience sociale et civique plus réaliste. Il semble d’ailleurs que les partis et organisations politiques qui ont tenté de noyauter ces groupes aient échoué dans leur démarche.

Cette formation critique et progressive de base permettait d’échapper aux arguments fallacieux des beaux parleurs et théoriciens divers et incitait à juger plus objectivement les actions proposées par la société du moment.

Avec l’expérience, la réflexion, et le temps passant, l’individu, formé dans cette démarche, devient moins malléable.

Le livre de Daniel Lambert est un chef-d’œuvre en ce sens, car il montre bien l’évolution d’un jeune homme dans la vie sociale, ouvert à tout, grâce à la gestion directe qu’il a trouvée dans les groupes ajistes de Lyon.

Il nous montre les premiers contacts des jeunes citadins avec la nature et aussi avec les paysans perdus dans leurs montagnes.

Ce sont les premiers pas du camping de randonnée, du bivouac, du feu de bois, du short, de la « Bonamo » et du « béton », sans oublier les chants, les danses et les veillées. Et point très important pour l’époque, les garçons et les filles sont partis seuls dans la nature bravant tous les tabous établis. « Quel pas de géant » !

Pouvons-nous laisser perdre la connaissance de cette époque unique, pleine d’expériences et de souvenirs ? Il est bon de pouvoir conserver la vision de ce qui s’est passé à cette époque par le témoignage direct de l’auteur. Tout cela peut sembler maintenant bien périmé, mais c’est notre jeunesse, et elle compte pour nous !
C’est pourquoi quelques ajistes d’après-guerre ont décidé de rééditer sous forme illustrée et plus attractive, les « Mémoires d’Ajiste » de Daniel Lambert.

Ce livre mérite l’attention ; il est unique et fera date dans l’histoire de l’ajisme. Aucun texte ne remplacera cette prise sur le vif, cette somme de détails qui fait revivre au lecteur ces années si particulières. Il est bon de rappeler que l’esprit ajiste et ses idées révolutionnaires nous ont été transmises par nos prédécesseurs du Front populaire. Et même de bien avant…

Que ceux qui trouveraient le texte ci-dessus rébarbatif, sachent que ce livre se lit comme un roman, celui d’un jeune homme découvrant la vie et la société.