Merci à Frédéric Nadaud qui en a retrouvé le texte…
ATELIER 8 – Comment penser la spiritualité dans l’éducation à la citoyenneté ?
Animateur : Henri-Pierre Debord (Conseiller auprès du Premier Ministre – mission interministérielle de la vigilance et de lutte contre les dérives sectaires)
Intervenants : Héloïse Duché (Étudiante en Master, Paris 8 – L’éducation à l’égalité hommes – femmes en évolution : des enjeux éducatifs aux enjeux de pouvoir. L’exemple des Scouts et Guides de France) et Frédéric Nadaud (Membre de l’équipe nationale pédagogie des EEDF)
Le thème :
« Scoutisme laïque » ; une identité singulière qui implique que nous inscrivions notre démarche « scoute » dans le respect du principe politique et social de « laïcité ». La laïcité est « principe » constitutionnel, républicain. Elle a pour vocation de rassembler au-delà des origines, des races et des croyances. Elle a pour ambition de n’en privilégier aucune mais de favoriser le cheminement spirituel de chacun.
La notion de spiritualité va au-delà de celle de « croyance en Dieu ». Ainsi, elle ne peut, dans le cadre d’une vie de groupe (micro-société) telle que « cercle », « unité » et « clan », fondée sur le principe de laïcité, ni opposer ni imposer « élévation vers le divin » et « élévation de soi parmi les autres ». La conduite d’une « vie collective » au sein du scoutisme laïque n’inclut pas le partage de moments d’expression d’une foi commune mais ne peut ignorer cette aspiration cruciale à progresser, à s’élever, à donner un sens à sa vie avec ou sans référence à une « transcendance ».
Cette « vie collective » est conçue par les EEDF comme « école de citoyenneté » et plus encore comme lieu d’apprentissage de l’«engagement citoyen». L’enjeu est alors de réussir l’alliance « Citoyenneté-Laïcité-Spiritualité » !
Et si la laïcité était une école de sagesse pour l’éducation à la citoyenneté ?
Et si la spiritualité était une chance pour l’enrichissement de la laïcité ?
Et si la citoyenneté était renforcée par l’éveil libre de chacun à la spiritualité ?
Cet atelier peut-il évoquer conjointement ces deux triptyques que sont « Liberté-Egalité-Fraternité » et « Citoyenneté-Laïcité-Spiritualité » pour baliser dans les années futures la démarche éducative vers l’«humanisme scout» revendiqué par le scoutisme laïque ?
L’intervention de Frédéric Nadaud
I – Qu’entend-on par spiritualité laïque ?
« Pour les EEDF, la spiritualité se définit comme la vie de l’esprit, l’aspiration aux valeurs humanistes qui donnent un sens à la vie de l’individu. Tout individu est membre de la communauté humaine, autonome et capable de construire une pensée personnelle dans la nécessaire relation à l’autre. (…) Le rôle éducatif des EEDF est de permettre à chacun de construire son propre parcours de vie, en favorisant la capacité d’écoute et d’expression et en garantissant à chacun la liberté et le respect de ses choix et de ses engagements. Permettre aux jeunes de construire leur propre idéal de vie, c’est former des citoyens actifs et responsables, conscients des enjeux de la société et soucieux d’y répondre. Réfléchir, comprendre, débattre : vivre les valeurs des EEDF est au cœur de l’éducation spirituelle proposée dans l’association. »
Je viens de vous lire des extraits de L’idéal laïque des EEDF, texte ratifié par l’Assemblée Générale des 5 et 6 juin 2010. Il y a deux éléments importants dans ce texte : tout d’abord, on y affirme le rôle éducatif de notre scoutisme qui prône l’élévation de chacun parmi les autres; mais on ne le sépare pas de la prise de conscience de la collectivité et de la nécessité d’en être un acteur.
Effectivement est spirituel, ce qui relève du domaine de la pensée, de l’intelligence, de l’esprit, de la morale. Il est donc important que le Scoutisme qui se veut une école de formation complète de l’individu n’omette aucune de ses composantes, qu’elle soit physique, intellectuelle, affective, sociale, ou spirituelle. Le développement du caractère, la construction d’une pensée personnelle nécessitent une réflexion pédagogique de la part de l’équipe d’encadrement au même titre que celle mise en place pour l’organisation d’un grand jeu.
II – Comment vivre la spiritualité aux EEDF ?
Là aussi, on va pouvoir considérer diverses strates, de l’individuel au collectif. Éduquer au développement de la spiritualité c’est commencer par apprendre à l’individu à prendre conscience de lui, de ses émotions, de ses sentiments. Le responsable peut susciter cet éveil en proposant des activités de réflexion, mais surtout en se servant de tous les moments de la vie du groupe. Prendre conscience de la beauté des choses, former son goût ne nécessite pas de mettre en place de grands projets. Bien sûr, on peut visiter un musée et face aux œuvres, faire prendre conscience aux enfants, aux jeunes, de la beauté d’un geste, de l’utilisation réfléchie des matières, des intentions de l’artiste; on pourra aussi mettre en relation ce qu’on voit avec des œuvres connues ou déjà vues, tisser un réseau de connaissances pour construire une culture. Mais ne peut-on commencer par faire découvrir la beauté d’un paysage lors d’une rando, les nuances des couleurs d’un ciel au soleil couchant, le miroitement et les clapotis de la rivière, la richesse d’un mascaron sur une façade ? La Nature, urbaine et rurale, nous permet d’avoir les sens en éveil, et de participer à cette éducation. La meilleure consigne pour une rando n’est-elle pas de laisser courir ses yeux et ses oreilles. Dans le domaine artistique, lors d’une veillée, l’interprétation rigoureuse d’un chant à plusieurs voix peut être source d’émotion. Il est même important que le responsable ne participe pas à une certaine médiocrité qui veut qu’on s’esclaffe à une saynète bâclée ou à une pitrerie déplacée. C’est avoir le respect de l’individu que de lui dire qu’il peut faire mieux. La recherche de la qualité et l’exigence dans une activité participe à cet éveil spirituel. Jean-Marie Blas de Roblès dans La Mémoire de riz, écrit : « La vérité, la beauté, c’est ce qui anoblit l’esprit, ce qui postule toujours le plus, plutôt que le moins, dans l’accomplissement harmonieux de l’homme au sein de la nature. »
Cette construction d’une pensée personnelle doit se confronter à d’autres manières de penser, d’une part pour s’enrichir, d’autre part pour apprendre la tolérance; je suis laïque, j’admets donc qu’il y a d’autres manières de penser, d’être et je me dois de les respecter. De la confrontation avec l’Autre peut naître un renforcement de mes propres idées, mais peut-être un bouleversement d’idées reçues et une remise en cause de ma propre pensée. Et c’est ce qu’on pratique dès qu’on organise un conseil : un conseil est un lieu où le groupe de jeunes, sous la présidence de l’un d’entre eux, prend des décisions, organise un projet. Qu’il est difficile, lorsqu’on a 8 ans, d’attendre son tour en écoutant un autre, alors qu’on a forcément une idée meilleure à exposer ! Qu’il est difficile, d’entendre son idée mise à mal par les autres membres du conseil, et qu’il est difficile de se dire qu’il faudrait voter pour l’idée de l’autre parce que, décidément, oui, elle est bien meilleure que la sienne ! Mais c’est ça, apprendre à construire sa personnalité. Et pour en arriver là, que de chemin à parcourir : d’abord formuler son idée clairement, oser la présenter au groupe, oser affronter l’avis du groupe … tout cela se construit progressivement avec l’aide des responsables, par la pratique récurrente de ce type d’activité; on organise un conseil pour mettre en place un projet, pour mettre en place la Règle de vie du groupe, pour faire des bilans des activités, de la vie quotidienne. Apprendre à s’exprimer c’est aussi se construire.
Non moins important est le débat d’idées, la réflexion sur des valeurs qui fondent notre société, ou celles qui sont des choix de notre association. Le responsable peut organiser des temps forum, des temps Spi, des goûters philos, des temps citoyens, … peu importe la terminologie. Cela consiste en quoi ? Tout d’abord proposer un sujet de réflexion : un article de journal, le texte d’une chanson, une affiche, la reproduction d’une œuvre d’art, … Laisser les enfants, les jeunes par petits groupes de six à dix, réfléchir et débattre du sujet proposé. Leur demander de retransmettre au grand groupe sur une forme bien précise : un article, un poème, une chanson, … Confronter, ne pas juger, écouter sont les maîtres mots de cette activité. Et l’on sera étonné d’entendre des louveteaux de 9/10 ans oser des réflexions sur la parité homme / femme dans les instances d’adultes, l’euthanasie, l’avenir du nucléaire, … Et l’on sera étonné d’entendre des aînés de 16/17 ans argumenter avec beaucoup de rigueur sur la crise, les relations Nord/Sud ou les prochaines échéances électorales. Là aussi quelle leçon d’intelligence ! Et quelle leçon de citoyenneté !
Dans la construction de leur programme d’année, les responsables préparent ce type d’activité. Ainsi, si vous prenez Les dossiers de l’animation n° 35 intitulés « L’aventure louveteaux », à la page 5 vous pouvez lire la proposition éducative des EEDF pour le développement du jeune de 8 à 11 ans. Concernant le développement spirituel et du caractère, il est écrit :
« Avant son passage aux éclaireurs, le louveteau doit être capable
D’admirer la nature et prendre plaisir à y vivre
De remarquer et reconnaître les bonnes actions de ses camarades
De participer activement aux temps Spi
D’apprécier ce qu’il est capable de faire
D’accepter les difficultés
De découvrir qu’on peut vivre les valeurs du scoutisme et qu’on les retrouve dans la vie de tous les jours »
Éduquer à la spiritualité laïque, c’est aussi faire que l’individu confortablement installé dans son groupe, se confronte à d’autres groupes, à d’autres pensées, à d’autres pratiques : on pense bien sûr tout de suite à nos camps internationaux qui bousculent souvent les idées reçues de nos jeunes. Dès la préparation, à l’incitation des responsables, la découverte de la culture de l’Autre est un enrichissement non seulement par l’exploration d’un monde nouveau mais aussi par la mise à jour des stéréotypes. Alors que dire des expériences qui se déroulent pendant ce camp à l’étranger ! Je garde en mémoire, un moment de palabres sous les goyaviers et les eucalyptus d’un village du Burkina-Faso lors d’un camp coopération où avec des aînés nous avions construit une école en pleine brousse. Abdullaï Sène, du Bureau Mondial du Scoutisme, assis sur une natte, avait longuement discuté avec nos jeunes, les provoquant ( « Avec votre projet de coopération, êtes-vous sûrs de ne pas agir en colons paternalistes ? »), les éduquant (« Pour porter un jugement sur n’importe quel sujet, il faut savoir donc apprendre, visiter, échanger, découvrir. ») et les valorisant ( « Comme cela est souhaitable, votre bon esprit de coopérant se voit plus dans vos yeux que dans votre réalisation »)
Sans aller aussi loin, la confrontation d’un groupe à un autre peut se faire entre deux groupes de régions différentes; et oui, les cultures du Sud et du Nord de la France provoquent parfois des situations aussi complexes que celles d’un camp en Afrique. La rencontre avec des scouts d’autres associations peut aussi s’avérer un enrichissement spirituel. Au cours de deux camps nationaux louveteaux, à Bécours, j’ai travaillé avec des unités d’Éclaireuses et Éclaireurs Israélites de France. Outre des temps forum solennels pour la commémoration de la Shoah, les louveteaux ont pu constater que des petits français n’avaient pas les mêmes habitudes alimentaires, et qu’on avait le droit de poser des questions qui pouvaient sembler idiotes, à condition d’être respectueux dans la formulation (« Pourquoi mets-tu ce chapeau, le vendredi soir ? » L’enfant parlait d’une kippa). Et l’exercice qui consiste à expliquer ce qui semble évident parce que quotidien, est aussi difficile pour celui qui écoute que pour celui qui explique. Là aussi, ce ne sont pas les débats qui ont eu le plus de poids dans cette démarche de compréhension de l’Autre, mais le fait de se côtoyer tous les jours et de partager les mêmes lieux de vie quotidienne. La découverte de l’Autre ne va pas de soi, et si elle est menée avec intelligence, elle permet à l’individu de se poser des questions sur lui-même.
III – Comment penser la spiritualité dans l’éducation à la citoyenneté ?
Qu’est-ce qu’un citoyen si ce n’est un individu qui est capable de penser par ses propres moyens, qui est capable d’écouter , de comprendre pour se forger une opinion, et qui est donc capable de donner un sens à sa vie; c’est aussi un individu qui vit au milieu des autres en les respectant et en participant à la construction de la société dans laquelle il se trouve. Une spiritualité laïque telle que je viens de la définir, doit être à même de répondre à cet enjeu, le Scoutisme visant à former des citoyens acteurs de la société.
Débat ensuite…