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1977 : Bernard Machu, éclaireur en 1962, militant actif dans les années 1970, président en 1984

« Esprit et méthode » : éloge de la pagaille chez les EEDF

 

Témoignage recueilli (et résumé) à l’occasion de la préparation de la « journée de la mémoire du scoutisme laïque » 2023 sur le thème « Esprit et méthode »

1962 -1988, récit et témoignage.

 

« Esprit et méthode » chez les EEDF des années 70 et 80 du siècle dernier, vaste programme !

Faut-il un récit, une énumération d’actions et de publications (nécessairement formidables), ou un témoignage personnel sur une belle tranche de vie et de rencontres ? La première option a l’inconvénient d’être un peu ennuyeuse en répétant des choses connues, la seconde d’être un peu nombriliste, et puis qui ça regarde ?

Ce sera donc un peu des deux, dans une cote nécessairement mal taillée, que chacune et chacun  aura comme moi tenté de tailler à sa façon.

 

ECLAIREUR UN JOUR, ÉCLAIREUR TOUJOURS ?  LES ANNÉES FONDATRICES, 1964 – 1972

 

Remonter brièvement à mes premières années d’éclaireur « éclairera » sans doute celles dont il faut parler ici, les années 70 et 80. Désolé de troubler le découpage chronologique des organisateurs, mais le bonhomme des années 70 et 80 s’explique par le gamin des années 60.

 

Le temps de l’initiation

J’ai rejoint les Éclaireurs de France en novembre 1962, à l’âge de 12 ans, directement à la branche « éclaireurs », sans avoir connu hélas la vie joyeuse des Louveteaux.

J’y ai suivi le cursus classique de l’éclaireuse et de l’éclaireur, de l’aspirance en 1962 à la première classe en 1964, en passant par la promesse en janvier 1963. Second chez les Gazelles, puis Chef de Patrouille chez les Guépards, j’ai acquis une solide formation « éclaireur ».

 A noter que les mots « scout» et « scoutisme » n’étaient pas utilisés à l’époque, aux Éclaireurs de France, du moins à Grenoble. Ils se rapportaient à une autre obédience, mal connue, rivale sinon hostile, plus ou moins affiliée, semblait-il, au Bon Dieu et à certains de ses représentants sur la Terre.

Je me souviens avec nostalgie du jeune éclaireur tout à fait fortiche pour couper des arbres, attacher des bouts de bois avec des ficelles au moyen de toutes sortes de nœuds compliqués, allumer des feux sous la neige, explorer des endroits retirés, suivre son cap à la boussole, se former en carré au coup de sifflet, prendre la parole sans bafouiller en Conseil de Troupe, chanter autour du feu de camp, pourchasser l’équipe adverse – ou l’inverse –  dans de grands jeux qui ne se terminaient qu’à l’aube.

Avec mes acolytes, nous allions donc « joyeux vers l’avenir meilleur », car « en son prochain chacun d’eux a confiance, le sachant digne, ardent et travailleur »…

En 1964, arrivèrent la « fusion » et la création des Éclaireuses Éclaireurs de France.

Adieu « la culotte bleue marine », adieu la « chemise beige clair avec pattes d’épaule » des baroudeurs de la patrouille ! L’uniforme était remplacé par une « tenue » grisâtre, en synthétique, moche, inconfortable et salissante. La Troupe fut supplantée par l’Unité et la Patrouille par l’Équipage. Beaucoup de changements à la fois, sans qu’on ne comprenne trop pourquoi…

Une bonne nouvelle, en revanche, c’est que les éclaireuses furent plus nombreuses, que les activités des filles et des garçons connurent une proximité plus concrète, et que certaines même se déroulèrent en commun. Disons que la virile camaraderie adolescente de la patrouille vacilla un peu sur ses bases, et qu’à l’approche de nos quinze ans, nous avons vécu là simultanément, filles et garçons, la mixité grandissante et l’inéluctable offensive générale des hormones. Quelle coïncidence heureuse, quels troubles, et quels ravissements ce furent-là !

En 1965, « passage à la casserole », j’étais totémisé « Isard diplomate ». Ce ne fut qu’un bizutage grotesque, et humiliant, quoique l’ami Maxime V. ait tenté de m’expliquer au siècle suivant.

En 1967, devenu responsable d’unité Éclaireuses-Éclaireurs, j’effectuais à Annonay mon « Camp école préparatoire ». Installations, explos, spectacle, on savait faire mais on en apprenait encore.  Et surtout, pour la première fois, venus de groupes variés, on discutait beaucoup, filles et garçons ensemble, du pourquoi et pas seulement du comment.

 

Pourquoi faire toujours la même chose ?

Le « mai 68 » des EEDF de Grenoble fut pour l’année suivante. Déjà, au camp départemental de l’été 1968, on s’interrogeait… oui, ça marchait bien, mais pourquoi recommencer chaque année quasiment le même camp, pourquoi ne pas essayer d’autres trucs, et pourquoi ne pas décider de façon plus collégiale ? On enseignait un peu la démocratie à nos éclaireuses et éclaireurs par la pédagogie des conseils, on pourrait peut-être se l’appliquer à nous-mêmes, non ?

A la rentrée 1968, le conflit éclata… D’un côté, nos assistants-commissaires de branches, longtemps nos cheftaines et chefs bien-aimés, de l’autre une bonne partie des jeunes responsables, chauffés à blanc par un meneur endiablé, le célèbre et bien nommé « Ouistiti anarchiste et foudroyant ». Il y eu des engueulades, des pétitions, des exclusions, une grève générale des responsables d’animation…  Le Commissaire général Pierre Bonnet, inquiet, dépêcha à Grenoble un « grand chef de Paris », François Baize, le Commissaire national Route. François fit le juge de paix, et finalement, la très respectée Commissaire régionale Geneviève Blum-Gayet, ancienne du maquis du Vercors, prononça la réintégration des bannis, au prix d’un savon mémorable. Des incendies plus ou moins semblables éclataient dans d’autres régions, et le commissariat national jouait les pompiers volants. Il était divisé, lui aussi, sur l’esprit, la méthode, et le « style » …

 

Les années de la liberté

Les éclaireuses et les éclaireurs aguerris commençaient à s’émanciper… 1969, 1970, 1971, et 1972 furent donc des années heureuses, celles de la liberté : nous étions une équipe nombreuse, joyeuse, expérimentée, délivrée de toute tutelle. Était partagée une solide maîtrise des « techniques » genre bouts de bois et ficelles, des activités sportives comme le ski et la spéléologie (praticable encore sans encadrement diplômé), des activités d’expression et de création plus ou moins artistiques ; Graeme Allwright était tout de même moins cucul que Pierre Chêne !

L’accent était mis sur l’apprentissage du fonctionnement collectif, avec le système des conseils, d’équipages, d’unités, de camp, d’entreprise…. De jeunes filles et garçons de 12 ou 13 ans étaient élus et présidaient les conseils, pilotaient les entreprises, exerçant leur magister d’une poigne de fer. Les plus timides étaient encouragés à s’exprimer elles et eux aussi. Mais les palabres ne remplaçaient pas l’action, ils la décidaient, l’organisaient et l’évaluaient. En même temps, les signes extérieurs de scoutisme s’effaçaient d’eux-mêmes. La pauvre tenue grise n’est plus guère portée, sauf le foulard, et encore. Les étapes et les brevets tombaient en désuétude, la compétence individuelle était désormais validée par la joie d’avoir appris et réussi son truc, avec les autres, et non plus par la signature d’une cheftaine ou d’un chef. La promesse finit elle aussi par disparaître, l’engagement semblait aller de lui-même. Le tout se fit progressivement, en douceur, sans aucun sentiment d’abandon ni de rupture, naturellement, en quelque sorte. Ça continuait, voilà tout.

Nous avions autour de vingt ans, les EEDF étaient notre Mouvement. Nous n’étions pas des moussaillons soumis, seulement de passage, naviguant sur un noble vaisseau piloté de droit par de vieux capitaines, fussent-ils couverts de gloire. Les vieilles et vieux capitaines qui nous avaient formés nous avaient donné l’impression de se prendre pour les incarnations d’une perfection indépassable de l’évolution EEDF. Pourtant, les EDF, la FFE, puis les EEDF n’avaient jamais cessé de bouger, de progresser, souvent au prix de rudes affrontements… Nous nous sentions légitimes à bouger, progresser, à notre tour…

 

DU LOCAL AU NATIONAL : 1972 – 1977, LE TEMPS DU JOYEUX CHAOS !

Bien entendu, les EEDF, comme tous les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, ont toujours été secoués par les tempêtes qui agitent la société. Pensons aux conflits liés à la décolonisation dans les années 50 et 60, par exemple. Ces querelles secouent parfois durement la petite embarcation EEDF. Mais inversement et paradoxalement, pendant cette époque de l’après 68, nous avons été abrités, bien au chaud dans le cocon douillet de la petite famille EEDF. Et même les plus radicales et plus radicaux d’entre nous ont peut-être ainsi échappé à d’autres engagements plus lourds de conséquences…

À partir de 1971-1972, l’horizon s’élargit, et nous sommes passés d’un engagement local à un engagement régional et national. Nous avions rejoint l’équipe régionale, et animions nos premiers stages. Le côté « camp école préparatoire » s’effaça un peu, mais sans disparaître. Est-ce de là qu’on peut dater le début d’une certaine perte des connaissances, des savoir-faire techniques « éclaireurs », que la formation aurait moins contribué à transmettre ? Je ne sais pas. En tout cas, ces stages restaient centrés sur les EEDF, on était encore loin du BAFA.

 

De Cantobre en Avignon

Nous avons participé, dans une sorte de tourbillon, aux grands évènements EEDF de ces années : Cantobre en août 1971, le rassemblement national Route, les assemblées générales de 1972 et 1973, les Assises d’Avignon de 1974, suivies de l’assemblée générale de Saint-Pierre-des Corps.

D’abord le souvenir de moments de bonheur intense, collectif et personnel, je pense à Cantobre et Avignon. Celui d’une assez grande violence, aussi, dans les débats et les affrontements. Les péremptoires ne manquaient pas…

Les assemblées générales mêlaient jeunes déléguées et délégués « l’âme grisée au souffle de l’espoir », vieilles et vieux féodaux tenant d’une poigne de fer leurs bastions régionaux, mais aussi solides apparatchiks rompus aux luttes d’appareil acquises dans leurs organisations syndicales et politiques respectives.

Et nos vieilles et vieux capitaines, à la fois dépassés et compréhensifs…  Je me rangeais certes à l’époque dans la catégorie des jeunes « âmes grisées, etc… », mais c’est bien là que j’ai entamé mon apprentissage de l’appareil, initié sur le tas au jeu des tendances, et à l’usage des motions d’ordre. C’est là aussi que j’ai découvert qu’on pouvait peut-être aller au-delà d’une simple actualisation, modernisation, de nos méthodes d’animation des branches, ce que nous mettions en œuvre – et ça marchait bien – depuis 1969-1970. L’idée des communautés éducatives, appelées aussi groupes communautaires, commençait à faire son chemin.

 

TOP 76, le vent se lève

TOP 76, le rassemblement national de juillet 1976, à Saou dans la Drôme, est une belle avancée dans toute cette histoire. Émile Gagnon avait été nommé « responsable national » et formait l’équipe nationale à lui tout seul, au début.  Il relança la formation, en particulier du second degré, et des sessions de formation de formateurs fédérant de nombreuses bonnes volontés et une bonne partie des « permanents » de l’époque, enseignants « mis à disposition ».

Très vite l’opération TOP 76 fut inventée et démarra. Les groupes étaient encouragés à se lancer dans des projets d’année pour 1975-76, autour des méthodes de l’initiative et de l’entreprise, venaient camper dans le sud-est en juillet, et rejoignaient Saou durant trois à cinq jours, pour une rencontre, des échanges autour de leurs réalisations de l’année, et de nombreuses activités. Ce n’était pas loin de Grenoble, nous avons été plusieurs à nous engager dans l’affaire. Du coup, je rejoignis l’équipe « animation » du rassemblement, premier engagement national réellement concret.

Quelle épopée ! La joie d’être vraiment nombreux, de tous les styles, et qui allaient bien ensemble ! Les branches, les premières communautés éducatives, l’entreprise (déjà bien connue) et l’initiative (pédagogie nouvelle à découvrir) … Un bon test aussi de notre capacité à faire face au déchaînement des éléments : le vent s’engouffrant dans le Pertuis de Saou, qui manqua mettre à bas le camp à plusieurs reprises, mais pas le moral des troupes.

 

Feu sur le quartier général !

Juste après TOP 76, le Comité directeur décida de nommer un vrai Commissaire général. Émile Gagnon, logiquement candidat, fut battu. Christian Corne, le candidat présenté par le Président et la majorité du CD, fut adoubé. Il constitua autour de lui une équipe nationale. Aucune revue ne parut jamais pour raconter et garder la trace de TOP 76. Je me souviens de l’amertume, de l’incompréhension, de la colère, que nous fûmes nombreuses et nombreux à ressentir à ce moment-là… Ah, d’accord, c’est comme ça ? Et bien il ne faut pas pousser l’Émile dans les orties, tout de même ! Alors « feu à volonté sur le quartier général », comme auraient dit les Gardes Rouges de la Révolution Culturelle ! !

L’Assemblée générale du 7 novembre 1976 est épique : le rapport moral n’est ni approuvé, ni rejeté : 63 voix pour, 63 voix contre. On s’affronte sur le bilan de TOP 76, sur la nouvelle équipe nationale, sur les finances, et sur à peu près tout le reste. L’ordre du jour n’étant pas épuisé, une nouvelle AG est convoquée pour janvier 1977… Nous sommes trois de la Région de Grenoble à être élus au Comité directeur, aréopage chancelant : François Baize, qui venait de s’installer dans l’Isère, Jean-Michel Hyvert, et moi. Le CP honoraire des Guépards n’était pas peu fier, mais quelle pagaille, et quelle angoisse pour le néophyte !

1977. Le Comité directeur était divisé en deux factions pratiquement de force égale. Achéens et Troyens, Montaigu et Capulet, Verlans et Longevernes, de la gnognotte, à côté ! L’équipe nationale peinait à s’imposer. Avec Jean-Michel Hyvert, nous nous sommes alors comportés comme des voyous, avec l’aide de quelques complices dont je tairai le nom encore aujourd’hui pour des raisons de sécurité. Nous nous sommes procuré en douce le fichier des délégués à l’assemblée générale de novembre 1977, et avons diffusé un contre-rapport moral réfutant point par point l’action de l’équipe nationale. Discutable et modeste contribution au changement. La majorité s’inversa à l’AG de novembre 1977, puis au Comité directeur dans la foulée, et Jean-René Kergomard fut élu président de l’Association.

Peu de temps après, Claire Mollet, Cascade, redevenait Commissaire générale après l’avoir été à l’époque des Assises d’Avignon. Avec elle et Paul Plouvier, rejoints par René Baetens, puis Daniel Auduc et Roland Daval, une nouvelle ère commençait. Ça faisait longtemps que je n’avais plus attaché des bouts de bois avec des ficelles…

 

AUX MANETTES : 1977 – 1983…

A la rentrée scolaire de 1977, me voici dans les Vosges, à exercer mon vrai métier de prof d’histoire-géo. Du coup, je me retrouvais quelques semaines plus tard membre de l’équipe régionale puis responsable régional. Nous fîmes rapidement connaissance, et je m’aperçus que les problèmes étaient, logiquement, assez semblables à ceux que je venais de quitter à Grenoble : gérer des conflits homériques dont les origines se perdaient dans la nuit des temps, faire cohabiter tant bien que mal des groupes aux options pédagogiques totalement opposées, essayer d’aider au redressement des effectifs… Deux années de bonheur, et depuis, de bonnes et bons camarades pour l’éternité ! Pendant ce temps, je faisais mes classes au Comité directeur, et, sous l’autorité de Jean-René Kergomard, participais à la rédaction de nouveaux statuts et d’un nouveau règlement général.

L’équipe nationale de Claire Mollet, que Roland rejoint en 1978, remit de l’ordre, relança pédagogie et international, assainit les finances, et les EEDF se retrouvèrent à avancer sur le chemin d’un fonctionnement plus apaisé. Il vint à Cascade l’idée qu’il faudrait disposer d’un lieu symbolique et fédérateur, qui puisse succéder au Cappy des temps anciens. Elle commença discrètement quelques recherches… En septembre 1979, Cascade et Paul Plouvier se retirèrent, le mouvement remis sur les rails.

Quand faut y aller…

François Baize devint délégué général, à la tête de la même équipe, que je vins compléter, en septembre 1979, comme responsable national de la Formation. Fermement et amicalement pressés par notre président Jean-René Kergomard, il n’y avait plus trop de temps à consacrer au travail de méninges et aux engrenages d’appareil, il fallait du concret, et vite !

On allait poursuivre sur la lancée d’Émile Gagnon et de Cascade : retrouver le goût d’avancer ensemble. Et prendre acte « officiellement » de notre diversité de pratiques et de fonctionnements, en déplaçant la focale : la fracture n’est plus trop entre « traditionalistes » et « progressistes », admettons que nous plongeons la cuillère dans le même pot commun de valeurs, en gros. Les écarts restent un peu sur la mise en œuvre, le comment faire. Ils sont surtout sur la qualité de nos activités et la cohérence de nos pratiques avec nos idéaux.

Pour cela, il nous fallait bâtir concrètement ensemble quelque chose de durable, avec nos petites mains, sur le long terme, pendant des années de labeur collectif. Ce fut donc l’aventure de la reconstruction du hameau de Bécours et le rassemblement qui s’y déroula durant l’été 1981, autour des retrouvailles, du chantier, et des activités nouvelles.

Aller ensemble vers une meilleure qualité de nos activités, formulant des propositions concrètes et actuelles sur nos méthodes d’animation des branches louvettes et louveteaux, éclaireuses-éclaireurs, aînées et aînés, celles de la branche des lutins, créée à ce moment-là, sur nos groupes communautaires, sur nos services vacances et activités ouvertes. Ce fut la « Collection Animation », par branches, dont les six brochures paraissent entre 1982 et 1985, et la renaissance des Cahiers du Responsable, la revue pédagogique disparue une dizaine d’années auparavant dans les tourmentes.

Élargir notre champ d’actions, tout à fait concrètement : le scoutisme n’a jamais été un répertoire fermé d’activités estampillées, mais une méthode, une façon de faire, éducative et amusante, on peut donc tout faire, à la manière des éclaireuses et des éclaireurs. On décida donc de lancer ou de relancer des « secteurs d’activités » clairement identifiés : nature-écologie, expression-création, maîtrise des moyens de communication, activités scientifiques. Ces « secteurs », animés chacun par une équipe passionnée, trépidante, déjantée, enthousiasmante et fédératrice !

La relance de l’action internationale, entamée dès 1977, se poursuivait, appuyée sur le centre de Bécours, ainsi que la coopération avec les mouvements laïques du scoutisme africain francophone.

Et il y avait les « activités ouvertes ». D’abord nos « services vacances », régionaux et nationaux à l’époque, organisateurs de séjours et de voyages pour adolescentes et adolescents, et personnes en situation de handicap, comme on ne disait pas encore à l’époque. Héritiers de la grande époque de l’après-guerre, celle des vacances pour tous, celle des pionniers, celles des grands centres et services comme Saint-Jorioz, La Gaillarde, Annot et Valescure, les Circuits corses et Porticcio, le Service 15-24 à Orléans… Déjà commençait à se poser la question de leur viabilité économique, et celle de leur modèle pédagogique dans un monde qui avait changé. En tout cas, un peu marginalisés durant les années tumultueuses, il était nécessaire de les réintégrer dans la communauté EEDF.

 

Question de « style » (encore ?)

Revenons un peu aux équipes informelles, fluctuantes, joyeuses et multi-tâches, composées de parisiens, d’origine ou de passage, avec d’autres dans leurs régions, dont les membres étaient restés engagés ou proches de leur groupe, qui formèrent le comité de rédaction des Cahiers du Responsable, les équipes qui fabriquèrent les brochures de la Collection animation citées plus haut et les publications des activités nouvelles.

C’était un peu le foutoir, il fallait se mettre d’accord sur la « ligne » pédagogique, chacune et chacun s’appuyant sur son expérience d’animation en cours ou toute récente, en partageant les expériences. Les brochures, bricolées avec peu de moyens, n’avaient pas le léché professionnel d’autrefois ni d’ensuite, ne se souciaient pas vraiment de com ni de charte graphique. Il ne s’agissait pas de présenter un mouvement idéal et parfait que le sommet aurait inventé pour la base. Non, mais de proposer quelques moyens concrets pour progresser, quelques idées pour changer un peu, en rendant visible le fil qui rattache nos activités et nos méthodes à nos principes et nos valeurs, et ainsi leur donne le sens d’un vrai engagement. Et sur un ton léger, un peu humoristique et parfois décalé, rigolo, quoi. Les choses très sérieuses mériteraient-elles de n’être faites que de façon très ennuyeuse ? Bien sûr que non !

Quinze ans après le célèbre « Notre Style » de 1968, le style avait changé, les méthodes avaient bougé, mais l’esprit restait pur !  Et l’équipe nationale, les joyeuses équipes gravitant autour d’elle, nous n’étions certes pas pas des éclaireuses et des éclaireurs de bureau !

 

L’appel du causse…

D’autant que retentit alors l’appel du causse !

Les objectifs de Bécours étaient simples : remettre tout le monde ensemble dans un chantier concret et de long terme, et disposer pour l’échelon national d’un endroit où mettre en œuvre nos activités nouvelles et nos méthodes pédagogiques en cours de toilettage, bref d’un terrain de stage, de camps nationaux, de rencontres et de rassemblements en tous genres.

Le projet fut conçu à l’automne 1979. Le hameau de Bécours et les terrains étaient trouvés, puis acquis par les EEDF durant l’hiver 1979-1980. Au printemps 1980, les premiers volontaires issus de plusieurs régions constituaient l’ossature de la « Bande à Bécours », l’équipe d’organisation et d’animation de l’ensemble de l’opération. Un premier camp chantier s’était déroulé sur place en juillet 1980.

Je me retrouvais chargé de coordonner l’opération Bécours 81. Enivrant tourbillon collectif !  Et effrayant défi personnel, où je me demandais souvent si je n’étais pas au bord de me fracasser sur mon seuil d’incompétence. Là, ça allait passer plus ou moins à peu près, mais je ne perdais rien pour attendre.

Tout a déjà été dit et écrit. Résumons : sur le modèle de TOP 76, un projet d’activités d’année pour les groupes, avec en soutien le « colis de Bécours » contenant divers trésors pédagogiques, dont de nombreuses fiches pratiques sur les activités scientifiques, la maîtrise des moyens de communication, les activités d’expression-création, et de nature-écologie. Puis les camps d’été en Aveyron ou pas loin, chaque camp venant passer une semaine avec d’autres à Bécours, où s’enchainent donc cinq rassemblements successifs d’une semaine. Là, les camps arrivent avec leurs propositions, et les équipes de Bécours en proposent également de nombreuses, autour des activités nouvelles. Et pour tout le monde, petits et grands, passage par le chantier, pour le symbole, et pour que ça avance !

 

Délégué général ? Mais est-ce bien sérieux, vraiment ? 1982-1983

François Baize terminait son mandat de délégué général à l’été 1982. Le président Jean-René Kergomard me sollicita alors, et, comme emporté par mon élan, j’acceptai et étais nommé pour trois ans par le Comité directeur, pour entrer en fonction en septembre 1982.

Pendant l’été 1982, revenant à la raison, j’annonçai que je ne ferais finalement qu’un an, délégué général fort éphémère donc…

A vrai dire, j’étais sûr, là, de fournir une bonne étude de cas aux spécialistes du Principe de Peter. Autant étais-je à l’aise dans nos affaires internes, autant je n’y connaissais rien en relations publiques et représentations inter-associatives, en Scoutisme français, européen, mondial et intergalactique, toutes choses que le Grand Chef Scout laïque doit savoir maîtriser. Et puis, il faut bien l’avouer, les EEDF, c’était épatant, mais ça prenait vraiment toute la place, on va le dire comme ça.

Bien épaulé par François Baize, resté encore un an dans l’équipe nationale comme délégué général adjoint, et Daniel Auduc, nommé au printemps 1983 pour me succéder à la rentrée suivante, je fis donc le grand chef à plumes du mieux possible, en m’attachant en particulier à ce que les documents pédagogiques de la Collection Animation paraissent au plus vite. Ce qui fut fait.

L’année 1982-1983 fut conclue par une mémorable fiesta de passation de pouvoir, à Bécours, à la fin du mois d’août 1983. Quelques jours plus tard, tel un extraterrestre de retour sur sa planète native, je faisais ma rentrée au Lycée Jules Ferry de Saint-Dié, Vosges.

 

1984-1988, LE PÈRE DU RÉGIMENT ?

Après quelques mois, une rechute… De retour au Comité directeur en juin 1984, je succédai à Catherine Dutilleul en septembre et assurai la présidence jusqu’en 1988, puis Jacques Delobel prit le relai. Juste un coup de projecteur sur un évènement mémorable.

 

Le Congrès de Mâcon : « vous ne savez pas à quel point ce que vous faites est utile ! »

Couplé à l’Assemblée générale, le Congrès de Mâcon rassembla 1200 participants, du 5 au 8 avril 1985, avec une organisation et une logistique impressionnantes.

Le mouvement EEDF, depuis la fin des années 70, s’était retrouvé, et savait à peu près ce qu’il voulait être et ce qu’il voulait faire. Sur ce socle, le Congrès devait débattre tous azimuts et élaborer des propositions concrètes, qui, moulinées ensuite de la base au sommet, allaient fournir objectifs et champs d’action pour les années 1986-1989, le fameux PADN (Plan d’action et de développement national, bien sûr ! ), adopté par l’Assemblée générale suivante en 1986.

Le but était à la fois d’aller plus loin dans la rénovation de nos pratiques, de nos méthodes, de nos types d’activités, mais aussi de chercher à élargir notre engagement social dans des actions ouvertes conduites par nos groupes locaux et nos services vacances. Des dizaines de commissions discutèrent sans relâche, couvrant la totalité de la vie et des actions des EEDF, et au-delà ! Pour nous sortir de notre « entre-nous », nous faire réfléchir et ainsi enrichir nos propositions, de nombreux forums furent animés par des spécialistes, issus de la recherche pédagogique, du monde associatif, des milieux politiques et syndicaux, de l’Éducation nationale, de l’Université… De nombreuses personnalités firent le déplacement à Mâcon, apporter leurs témoignages, leurs encouragements, les preuves de leur attachement au scoutisme laïque, leur amitié.

On se souvient toutes et tous des mots de Pierre Joxe, ce 6 avril 1985 : « vous ne savez pas à quel point ce que vous faites est utile ! » Merci, Lynx énergique et moqueur !

 

PETITES QUESTIONS ET BOUTS DE BILAN

 

Une PME scoute et laïque ?

Nous avions hérité d’un « appareil » important, qui fut longtemps un de nos atouts : des enseignants mis à disposition par l’Éducation nationale, qui nous les « prêtait » en continuant à les payer, comme aux autres associations complémentaires de l’enseignement public. Et, depuis la fin des années quarante, les animateurs et salariés de nos Services Vacances pour adolescents, pour ouvrir le scoutisme laïque à la classe ouvrière.

Mais, au milieu des années 80, l’Éducation nationale a supprimé la mise à disposition de ses enseignants, la remplaçant par une subvention qui bien sûr diminua inexorablement. Les « permanents » devinrent des salariés, et le mouvement EEDF une sorte de PME du scoutisme laïque et de l’éducation populaire. Dans le même temps, le modèle des services  et des grands centres de vacances, confronté à l’évolution de la société et des loisirs collectifs, aux difficultés des comités d’entreprises, devenait économiquement et pédagogiquement fragile, malgré l’énergie et l’expérience des dirigeants et de leurs animateurs.

L’air du temps était à la « professionnalisation » du secteur socio-culturel. Il nous fallait des pros, dans des organigrammes d’autant plus changeants et compliqués que le périmètre de l’association se réduisait. Il était obligatoire de partir à la chasse aux subventions et aux activités lucratives, pour financer les postes et l’ensemble de la structure. Trop peu de temps ne restait-il pas alors aux salariés, pour s’occuper de l’essentiel : fédérer des bonnes volontés pour constituer de nouveaux groupes locaux ? Une bonne part de l’énergie des militants bénévoles élus à la direction fut ainsi absorbée par les difficultés quasi insurmontables de la gestion financière, immobilière, et « RH » de la PME EEDF.

Est-ce que ça aurait pu marcher ? Notre cher Pascal Lartigue, durant dix ans permanent à Bécours, après et avant d’autres fonctions salariées régionales et nationales, fut par exemple un formidable fédérateur d’énergies et un rassembleur de génie. La mobilisation et l’engagement de nos professionnel(le)s permit la réussite des grands rassemblements nationaux : Navigator à La Courneuve en 1985, TREEC à Montpellier en 1993, Mosaïque dans l’Aveyron en 1996, Bécours 2000 et 2004…

Pourtant, et c’est bien cruel, notre fonctionnement de PME du scoutisme laïque ne nous a pas permis de nous développer, ni même d’enrayer notre déclin.

Une autre voie n’était-elle pas possible ? Un peu sur le modèle de nos camarades éclaireuses et éclaireurs unionistes : un petit mouvement, une structure légère à faible coût, fondée sur un très fort engagement bénévole de militants pédagogiques ? Mais nous étions engagés dans une autre logique, celle d’assurer la survie de l’appareil censé lui-même assurer survie de l’association… Peut-être abordions-nous le problème à l’envers, en prenant le moyen pour le but ?

De toutes façons, les Éclaireuses et Éclaireurs de France sont increvables, quelles que soient la structure et l’organisation. Tant que le libre droit d’association existera dans ce pays, rien ni personne ne pourra empêcher quiconque de s’engager dans une action éducative, « éclaireur », et démocratique !

 

Petite leçon de modestie ?

Combien de réunions, de comités, d’équipes en tous genres, au siège ou dans des centres d’accueil lugubres ? Combien de kilomètres à somnoler dans des trains ? Combien d’heures laborieuses à rédiger des comptes-rendus interminables et ennuyeux que d’évidence personne ne lirait jamais ? Tout ça pour quoi ? Difficile à dire aujourd’hui… On se voyait, on se connaissait, on passait de bons moments au bistrot… Mais tout de même, tant de bla bla pour si peu… Pourtant, comment faire autrement ?

Et les publications ? Ont-elles été lues, utilisées, ont-elles donné des idées, ouvert des pistes aux responsables ? Tout ceci a-t-il réellement aidé à améliorer, à moderniser, à renouveler les activités, les pratiques, les méthodes ? Les groupes communautaires, certaines activités nouvelles, comme les activités scientifiques et la maîtrise des moyens de communication, ont disparu discrètement au bout de quelques années. Quitte à renaître aujourd’hui, comme les activités scientifiques. Mais les revues, les publications pédagogiques et techniques, les stages et les camps nationaux, tout cela formait un ensemble foisonnant, un peu pagaille, qui était à l’image du mouvement, et avait une certaine cohérence.

Le plus important en tout cas se jouait sur le terrain, dans les stages, les camps, les rassemblements nationaux. Car là, on est ensemble, on agit, on pratique, on essaye, on est dans la vraie vie les pieds sur la terre.. La « nation », comme on disait, ne sert à rien si elle se contente de produire des injonctions pédagogiques, sans aller mouiller la chemise à les mettre en œuvre dans le monde réel.

Et surtout, nous le savons très bien : à la base, dans le groupe, on fait bien ce qu’on veut, comme on veut, se souciant comme d’une guigne des consignes venues d’en haut, fussent-elles aussi géniales que bienveillantes !

Cette forme d’autogestion, finalement plus ou moins libertaire, est en fait assez réjouissante, non ?

 

Éduquons, éduquons, éduquons : théorie et pratique du foutoir émancipateur !

Aux éclaireurs, on est là pour apprendre. Donc, c’est qu’au départ on ne sait pas très bien comment ça marche. Donc, comme on ne sait pas très bien faire, c’est toujours un peu la pagaille, mais ce n’est pas grave, puisque justement on est là pour apprendre, CQFD. Donc, du conseil des louvettes et louveteaux, des éclaireuses et des éclaireurs, jusqu’à l’Assemblée générale, en passant par le conseil de groupe (l’APL de SLA ?) et le congrès régional, c’est toujours plus ou moins le foutoir. Et c’est très bien !

Et quand, face à la direction, souffle le vent de la révolte, inutile de sonner le tocsin ! N’ayons pas peur ! Comprenons, acceptons la contestation comme un moyen de progresser, comme une étape nécessaire, joyeuse, et formatrice, pour chacune et chacun d’entre nous !

Finalement, le foutoir, consubstantiel aux EEDF, ne serait-il pas la meilleure preuve que ce mouvement remplit du mieux possible sa mission éducative ? N’est-ce pas ce qu’il a su faire depuis sa création ? Restons-lui donc fidèle ! Vive la pagaille !

Ah, et n’oublions jamais l’essentiel ! Aucune obligation de se prendre au sérieux pour faire les choses sérieusement, et souvenons-nous qu’aux éclés, on est d’abord là pour s’amuser !

Juste une anecdote, pour finir. Mon fils Sylvain, au bilan d’un camp louveteaux, il y a bien longtemps, avait dit à ses responsables : « ah, elles étaient super, les activités. Le problème, c’est qu’on n’avait jamais le temps de jouer ! » L’Esprit en resta coi, et la Méthode fut laissée pantoise !