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1992 : Frédéric Nadaud, de la région Aquitaine à l’équipe nationale « Pédagogie »

Témoignage recueilli à l’occasion de la préparation de la « journée de la mémoire du scoutisme laïque » 2023 sur le thème « Esprit et méthode »

 

 

Après avoir été responsable régional en Aquitaine et participé à la mise en place de l’opération Navigator, je fus coopté par Jean-Philippe Michard, responsable national de branches pour participer à l’encadrement du camp national à Annot en 1992. Outre le plaisir de croiser Cascade (l’« Acheteuse » de Bécours !), ce camp me fit cerner le manque de sens de la pratique pédagogique de certains groupes (dans ma région, si les écarts étaient dans la mise en œuvre, les groupes plus traditionalistes travaillaient avec les groupes beatniks autour des mêmes valeurs et de quelques pratiques) ; en outre, si je voulais m’engager dans cette croisade pour développer ce que je pensais être une pédagogie scoute et d’éducation populaire, il me fallait travailler ma diplomatie et me trouver une place où je pouvais être efficace. J’intégrais donc cette équipe qui était alors à pied d’œuvre pour proposer des outils faisant sens pour la majorité des groupes et donner un semblant d’harmonie à une association encore assez morcelée sur l’Esprit et la Méthode.

L’Équipe Nationale bénévole « Pédagogie » réunie autour des responsables nationaux salariés (un par branche : lutins/louveteaux, éclais, aînés) avait comme mission :

  • d’écrire les documents pédagogiques (création ou réactualisation des documents à destination des responsables)
  • d’écrire dans les revues (essentiellement L’Équipée mais quelques articles pour Routes Nouvelles)
  • de participer à la mise en place des Rassemblement nationaux avec l’équipe de salariés (Navigator, Mosaïque,…) et de suivre ces projets dans les Régions
  • d’organiser des Camps Nationaux pour transmettre les outils pédagogiques aux groupes, donner du sens à leurs pratiques et bousculer les habitudes

Cette équipe se composait d’un responsable bénévole (nommé par le CD de 1990 à 1994) travaillant en doublette avec le responsable national salarié et d’une équipe de bénévoles issus des Régions et des groupes.

Elle a évolué d’une vingtaine de membres par branches à cinq à six ; et pouvait subir une importante inflation lors de l’organisation des Rassemblements. Je devins coordinateur de cette équipe pour la branche louveteaux, puis de toutes les branches alors que l’équipe nationale salariée se réduisait et de 4 membres passait à un seul, Didier Bisson.

Jusqu’en 2013, j’ai pu au côté des responsables nationaux salariés toujours sur le terrain, participer à l’organisation puis encadrer 21 camps nationaux, que je sous-titrais Camps écoles, mon côté pédago prenant le dessus.

Ces camps avaient pour objectif de rassembler quelques unités louveteaux souhaitant améliorer leur pédagogie de la branche auprès de membres de l’équipe nationale pédagogique bénévole. Ils étaient organisés en sous camp d’une vingtaine de louveteaux/louvettes avec un responsable de sous-camp qui se formaient ainsi à la direction.

Les sujets généralement travaillés étaient la vie quotidienne (rythme de journée, organisation des équipes de vie, lingerie, réveil échelonné, …) et la pédagogie (de l’organisation d’un grand jeu à celle d’un temps d’engagement, en passant par la relation adulte/jeune). Dans ce cadre, le camp se devait d’aborder la mise en place des valeurs de l’Association. Les occasions ne manquaient pas : mise en place de conseils de cercles réellement menés par des enfants, travail sur le respect de l’autre et de ses convictions, adaptation des menus aux régimes spéciaux, prise en compte de la parole de l’autre lors des conseils, temps Spi, … Mais le camp se devait de profiter des opportunités ; après avoir vécu dans divers investissements (Anot, Foucheval, Cautines, Chardonnay, Le Fieu), nous nous ancrâmes au village de Bécours qui accueillait tous les étés des groupes issus des différentes composantes du Scoutisme français, et aussi internationaux, permettait, à travers les échanges et les confrontations, d’œuvrer à la mise en œuvre de nos valeurs ; pour les louveteaux/louvettes la rencontre avec des groupes éclais différents, avec des scouts français musulmans ou israélites, ou avec des scouts ne parlant pas la même langue (même si, souvent, ils étaient plus âgés), était source d’enrichissement. Pour leurs responsables l’occasion de s’interroger sur leurs pratiques.

Dès le mois de mars les équipes étaient réunies, préparaient leur camp (grille, budget, vie quotidienne, …) et en discutaient ; c’était déjà des moments riches en confrontations, nos cultures tant éclais que régionales offrant un panel intéressant pour un ethnologue : il fallut parfois traduire des mots du langage courant, « une poche » n’ayant pas la même signification selon la latitude où vous vivez ! Et que dire de la cohabitation avec les groupes Opé Clin d’œil… Issues des banlieues, ces structures, souvent encadrées par les grands frères et grandes sœurs, se proposaient par le scoutisme et l’éducation populaire, de se frotter aux problématiques des cités (Lyon Pierre Bénite, Montpellier La Paillade, Fréjus, Aubervilliers, …). Mon rôle consistait alors à poser les questions qui gratouillent : En quoi ce que tu mets en place est du scoutisme ? En quoi ta pratique relève de l’éducation populaire ? Permets-tu aux jeunes de progresser ? As-tu pensé à tous les axes de progression ? … et donc de proposer l’utilisation d’outils nationaux (de la fiche pédagogique sur le Petit Déjeuner échelonné au Carnet d’Aventure), la mise en place d’une fiction, la tenue de conseils, de Temps Spi, etc., tout cela évidemment en souplesse et diplomatie, le but étant que le groupe se questionne sur ses pratiques et les fasse évoluer si nécessaire.

Un double exemple : celui de la mise en place de la Règle de vie du camp et d’un conseil mené par les louveteaux. Un groupe de Rennes, très engagé philosophiquement, avec de surcroît des animateurs chevronnés, s’enthousiasme pour ma proposition concernant l’organisation des conseils mais est très rétif sur la Règle de vie (c’est toujours la même chose, les enfants disent ce qu’on attend d’eux, ça ne sert à rien, …). Je propose donc qu’il me fasse confiance (la légitimité de l’équipe nationale n’étant pas en cause) et préconise le jeu « Ne négocions que ce qui est négociable ! ! ! », conçu par l’équipe nationale pédagogie : il s’agissait par un jeu à postes de faire prendre conscience aux louveteaux de la différence entre la loi (celle de la société, celle des éclais, …), le règlement des responsables pour le camp et la Règle de vie construite par le cercle de louveteaux devant passer 21 jours ensemble. A l’issue du jeu, le premier conseil est d’une bonne tenue (respect de la parole par chacun, justesse du président du conseil, pertinence du secrétaire de séance), ce à quoi les responsables s’attendaient car chacun, du louveteau au responsable en passant par le président et le secrétaire de séance avait reçu une formation sur la place à tenir. Là où j’ai dû faire face à une émeute de l’équipe de responsables c’est sur l’issue des discussions : le conseil démocratiquement n’avait rédigé qu’une règle et elle concernait la gestion des cabanes anarchiquement construites pendant le temps calme ; caricaturalement, elle indiquait que toute personne ayant construit sa cabane en était propriétaire et qu’il pouvait flanquer à la porte qui il voulait. Les responsables étaient vent debout (normal pour des Bretons des terres) et considéraient que cette règle allait à l’encontre de nos valeurs. Je leur demandai de bien vouloir me réitérer leur confiance et d’attendre. Trois de jours de suite, les enfants ont demandé à réunir le conseil car la règle qu’ils énonçaient était source de tracas ; jusqu’à ce qu’on arrive à une règle viable, construite par eux (le concept de démocratie participative n’était pas encore en vogue) et qu’ils ont ainsi appliquée, chacun étant garant de son respect : il y avait bien des propriétaires de cabane (celui ou ceux qui l’avait construite, introduisant la notion de copropriété) mais ils se devaient d’accueillir tout le monde et chacun devant respecter les cabanes d’autrui ; plus d’exclu, plus de destruction délibérée de cabane, plus de carte de membre coopté de la cabane… nous avons vécu un camp sans souci cabanistique.

L’utilisation d’une fiction dans les groupes était une de nos préoccupations, persuadés que nous étions de l’utilité d’un tel support tant sur le plan du scoutisme (le cadre symbolique est un des éléments de la méthode scoute) que sur le plan de l’éducation populaire (développement de l’imaginaire, support à la pédagogie) ; elle permettait, en outre de ritualiser les moments de la vie du Cercle (organisation du Conseil, nom des équipes de vie, …). Quelques Cercles utilisaient encore Le Livre de La Jungle, souvent par habitude et non par réflexion, qui nous semblait un peu désuet et véhiculant certaines valeurs qui n’étaient pas les nôtres (mais pour cela il fallait avoir lu ce chef-d’œuvre de Rudyard Kipling, ce que peu de responsables avaient fait). L’équipe nationale commanda donc à des écrivains une histoire qui pourrait servir de support à notre pédagogie. Ainsi naquit en 1992 Mission Jéito d’un collectif qui signait C. Arzel. Le sous-titre de cette histoire ironiquement était formulé ainsi « L’histoire à ne pas oublier » ; ironiquement parce que peu de Cercles utilisèrent cette fiction malgré l’album pour enfant illustré à la manière des séries télévisuelles style Albator, malgré les outils de communication sortis en parallèle (cartes postales, posters, …), malgré une histoire bien ficelée avec des équipes de vie fonctionnant comme dans un Cercle louveteaux idéal, malgré enfin une version pour les responsables plus complète, qui, de plus, contenait un mode d’emploi , inestimable richesse (il traitait de l’utilité d’une fiction dans notre pédagogie et de son utilisation concrète comme support aux méthodes et aux activités). Étions-nous trop ambitieux ? Étions-nous trop proches de l’opération « Navigator – Le Jeu des Aventuriers de l’Espace » (et de son grand rassemblement de mai 1989) qui avait mobilisée les EEDF pendant plus d’une année, provoquant sans doute une indigestion d’histoire intergalactique (malgré le succès déjà à l’époque de film comme Star Wars) ? Étions-nous trop dogmatiques avec une proposition qui pouvait sembler trop rigide ? Ce fut un flop et quelques permanences doivent héberger des cartons de cette fiction qui se voulait inoubliable. Même les camps nationaux ne diffusèrent pas cet ouvrage, préférant des thèmes choisis par les groupes pour ritualiser les activités.

Nous eûmes plus de succès avec l’outil de progression individuelle « Traces d’Étoiles ». Un premier Carnet d’Aventure avait vu le jour en 1986, commun avec les éclais, au format 10×14 cm et en noir et blanc. L’équipe nationale décida d’en écrire une mouture spécifique aux louveteaux, plus colorée et plus grande (format A5 encore assez petit pour être fourré dans le sac). Mais quel est l’intérêt d’un tel carnet ? Quelques années plus tard, avant de quitter l’équipe nationale, en désaccord sur les politiques mises en place (il était alors question de réintroduire des procédures d’évaluation des compétences dans le Carnet d’Aventure éclai. ; de plus le Secrétaire Général ne trouvait pas les Camps Nationaux suffisamment rentables économiquement), j’écrivais ceci :

« Dans leurs propositions pédagogiques, les Éclaireuses Éclaireurs de France affirment qu’il est nécessaire que chaque enfant ait un petit carnet, le carnet d’aventures, qui le suit partout et l’accompagne dans sa vie de louveteau. Ce carnet a quatre objectifs :

  • C’est un outil de progression individuelle ; il doit y trouver des listes de compétences qu’il a ou qu’il peut acquérir aux louveteaux.
  • C’est un outil pour garder la trace de son parcours ; il doit pouvoir y coller des photos, des souvenirs, des fiches sur les activités auxquelles il a participé, des réflexions faites au cours des temps forum, …
  • C’est un outil d’appartenance aux éclais ; il doit y trouver des informations sur l’Association, sur la couleur de son foulard de groupe, sur la fiction utilisée par son cercle, …
  • C’est un outil où il peut formaliser ses engagements ; il peut noter s’il a présidé un conseil, s’il en a été le secrétaire, s’il s’est engagé sur les valeurs, …

Ce carnet est un outil personnel, ce n’est pas un livret d’évaluation, ni un cahier de travail scolaire. »

De nombreuses petites vacances et des nuits de veille permirent à la petite équipe (nous étions 4 ou 5 à l’époque) sous la direction conjointe de Marie-Pierre Rage et Jean-Philippe Michard de présenter lors du rassemblement TREEC pour aînés et responsables, en mai 1993 à Montpellier, Traces d’étoiles, un premier opuscule qui avait fière allure (nous aussi !). Nous y faisions naître un personnage que les louveteaux allaient bien connaître (dans les Revues, les documents de la branche, …) : Loustic devint le symbole de la branche, souriant, cheveux en pétard, sac à dos surchargé, et les pieds dans les étoiles, sous le crayon professionnel de Lérot. Il y eu plusieurs toilettages de ce carnet (en octobre 2001, février 2009 et mai 2012), notamment pour accueillir en 2001, la copine de Loustic, Canaille, aussi souriante, au sac à dos toujours surchargé, aux pieds également dans les étoiles, et le foulard roulé plus classiquement… Lérot qui nous accompagna de nombreuses années céda la plume à d’autres dessinateurs. Lors de mon départ de l’équipe nationale pédagogie, un chantier venait d’être initié : un dernier toilettage de Traces d’étoiles : une des critiques qui étaient formulées sur cet outil étant sa cherté, nous souhaitions proposer aux responsables louveteaux une version à construire soi-même… Elle est restée dans les cartons, même si je m’ingénie à la faire vivre sur les terrains de mes aventures (Colos apprenantes de Fabian, groupe de Bègles, camp Pioch’ n Double Croche et camp Poussins/papis-mamies de Bécours).

Je retiendrai de cette période un fourmillement d’idées (ah ! les réunions délirantes pour préparer à la Couturanderie le rassemblement Navigator sous la houlette de François Daubin), la nécessité d’une rigueur (et les corrections pertinentes de Bernard Lefèvre), un engagement total des équipes bénévoles et salariées, des réussites et des avancées (les Revues furent, je crois, utiles aux responsables), des ratages décevants (Mission Jéito mais aussi le manque de transmission de nos outils sur le terrain) et un parcours personnel très enrichi.