… pour intégrer le « fait colonial » dans les réflexions et dans les actions du Mouvement
L’association des Éclaireurs de France, comme tous les autres Mouvements de scoutisme, mais peut-être plus encore du fait de ses liaisons avec l’enseignement, doit intégrer le « fait colonial » dans ses réflexions et dans ses actions. Mais la partie est loin d’être gagnée…
En atteste cet extrait d’une lettre de Pierre Kergomard (alors responsable national pour l’Algérie) commentant une session du camp-école de Cappy dans les années 20 : « Pour la petite histoire, il y avait, parmi les quelques Algériens que j’avais amenés (Français d’Algérie, bien sûr, les autres n’étaient alors que des « indigènes »), un nommé (…) dont ce mot vaut de passer à l’histoire : « Il y a des gens qui conduisent trop vite. L’autre jour, j’en ai vu un qui a écrasé un homme. Tu me diras « c’était un indigène », mais quand même ! ». Il paraît que cette histoire se racontait aussi en Afrique du Sud, mais elle avait frappé Pierre Kergomard !
Il ne faut pas traiter de la situation de cette époque à la lumière de nos jugements d’aujourd’hui, mais il est clair que notre scoutisme doit alors se confronter à une réalité : dans les colonies, les jeunes sont soit des colonisateurs, soit des colonisés. L’idéal scout conduit, bien évidemment, à ne pas faire de différence, mais il se heurte aussi quelque peu au type de réaction que résume Pierre Kergomard. Pour le colonisateur, le colonisé reste souvent un « indigène ». Le problème est suffisamment présent pour qu’une rubrique spéciale lui soit accordée dans Le Chef, revue des responsables diffusant les informations « officielles » de l’association. Le scoutisme « colonial » y est traité, par exemple, de la même façon que le scoutisme « d’extension », c’est-à-dire dans la recherche d’une adaptation à une situation constatée.
Georges Bertier, président de la Fédération, aborde le sujet dans un discours en réunion publique le 3 novembre 1935 : « Ce n’est pas ici le lieu d’examiner le problème de la colonisation. Nous n’avons plus à nous le poser : nous sommes embarqués.
Or, un peuple qui colonise doit apporter avec soi autre chose que la guerre, l’opium ou l’alcool. Il a, avant tout, un devoir d’éducation, de formation, de générosité spirituelle, et le Scoutisme nous paraît, plus que toute autre organisation, de nature à élever les peuples qui nous sont confiés. Rien ne peut, mieux que lui, les rapprocher de nous. Donner, aux peuples de nos colonies, la conviction d’une fraternité possible avec les Français n’est pas seulement leur rendre un immense service, c’est rendre aussi le même service à la France, c’est préparer pour eux et pour nous un avenir de paix et de collaboration. »
L’action de l’association dans les pays colonisés est bien décrite dans l’histoire des E.D.F. de 1911 à 1951 ; la position exprimée par Georges Bertier définit un objectif qui va se traduire concrètement par une action « de terrain » qui, progressivement, s’efforcera de donner aux jeunes colonisés une place importante dans l’animation de leur Mouvement. On peut rappeler par exemple, à ce sujet, la participation d’André Lefèvre, dans les années 30, à une réflexion sur l’évolution du scoutisme en Indochine. Toujours est-il que le scoutisme en général et, semble-t-il, plus particulièrement les E.D.F. du fait de leur liens avec l’enseignement public, ont contribué à faire émerger une « élite d’animation » qui jouera, ou aurait pu jouer, un rôle important lorsque l’heure de la décolonisation se présentera.