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1940-1945 : Le témoignage d’André Basdevant

« Réponses à des contre-vérités : les Éclaireurs de France pendant la guerre et l’occupation »

Une mise au point d’André Basdevant en mai 1992 dans « Le trait d’union », organe de l’Association des anciens éclaireurs et éclaireuses (A.A.E.E.)

«Le scoutisme s’est donné corps et âme à la révolution nationale». Telle est l’affirmation péremptoire de Pierre Gioletti dans son «Histoire de la Jeunesse sous Vichy» ! C’est une contre-vérité d’autant plus regrettable qu’elle vient d’un haut fonctionnaire de l’Éducation Nationale.

Bien que ce volume de 700 pages s’appuie sur une vaste documentation, il paraît ignorer le livre de Pierre Kergomard et Pierre François «Les Éclaireurs de France de 1911 à 1961». Il n’a pas retenu l’article que m’avait demandé Henri Michel et qu’a publié en octobre 1964 la «Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale» (pages 65 à 68), étude dont Wilfred D. Hills, auteur britannique, a noté qu’elle faisait autorité («Les jeunes et la politique de Vichy», traduit en français en 1988, Syros Alternatives).

Comment affirmer que c’est «Vichy» qui a eu l’initiative de la création du Scoutisme Français, alors qu’elle a été réalisée grâce à une analyse convergente de la spiritualité du Père Forestier pour les chrétiens et de Pierre François pour les laïques. Elle a permis en septembre 1940 la transformation du B.I.F. – Bureau Interfédéral groupant Scouts de France, Éclaireurs Unionistes et Éclaireurs de France – dans un plus vaste ensemble avec les associations féminines et… les Éclaireurs Israélites. Chargé par le B.I.F., avant la guerre, de la préparation du Jamboree, j’en devins le secrétaire général. Plusieurs raisons me dissuadaient de reprendre à Paris ma robe d’avocat. Je venais d’être mutilé. Mon père avait suivi comme jurisconsulte le ministère des Affaires Étrangères (dont il devait démissionner en 1941 d’une manière éclatante). Pierre François qui, évadé, retrouvait le Pavillon Sévigné (dont il était propriétaire avec sa femme) réquisitionné (en laissant seulement un logement familial) pour en faire le nouvel Élysée du régime ! Le général Lafont était d’autant plus désigné naturellement pour être à la tête du Scoutisme Français que les SDF étaient les plus nombreux et qu’on le savait profondément anti-allemand : ce sont «nos bienfaiteurs» disait-il par dérision avec son franc-parler de cavalier. Tout cela ne présentait aucune adhésion à une politique nouvelle issue d’une défaite et d’une débâcle sans précédent.

Avant la guerre, le scoutisme avait eu l’occasion de manifester sa cohésion, notamment en accueillant Lord Baden-Powell à Paris, et son efficacité dans bien des domaines : dans l’éducation nationale (loisirs scolaires et travaux dirigés), pour les colonies de vacances (formation des animateurs), pour lutter contre le chômage des jeunes (avec Philippe Serre), pour l’organisation des loisirs (avec Léo Lagrange), pour les handicapés (extension), pour l’éducation surveillée (Marc Rucart), pour l’éducation physique (hébertisme), dans l’armée, etc… Dans les tâches de défense passive et d’évacuation, ses services avaient été reconnus très efficaces.

Dès le début, le scoutisme avait été interdit par les Allemands en zone occupée. La claire affirmation de ses principes n’a pas permis qu’il soit autorisé. Il a cependant persisté, non sans risques, sous différents camouflages. Pour assurer une liaison régulière, j’eus recours en 1943 à un «ausweiss permanent» obtenu grâce à un EDF, Marcel Ledran, pour une société Air Équipement, dont je ne savais rien.

Que fallait-il faire dans la zone libre ? Certes, il aurait été plus simple de tout arrêter et d’attendre une miraculeuse libération. Aucun de nous n’a pensé que c’était une solution acceptable. Un régime nouveau, dont la plupart des principes étaient inacceptables, s’était substitué au régime républicain. Il fallait, dans ce cadre nouveau, continuer la lutte pour notre idéal en recherchant des partenaires et en évitant des embûches en un milieu plein de contrastes et de contradictions. 

Les premières victimes ont été les Israélites : non seulement ils ont été maintenus chez les E.D.F., les E.U., la F.F.E., mais encore les E.I. appartenant au Scoutisme Français, une délégation (Pierre François, le père Forestier et moi) s’est rendue à Alger en juillet 1941 auprès du général Weygand pour lutter contre les mesures antisémites prises en Tunisie par l’amiral Estéva. Plus tard, à la demande de Gamzon, le général Lafont et moi sommes allés, en décembre 1941, chez Xavier Vallat pour que les E.I. puissent continuer leurs activités au sein de l’UGIF. C’est enfin la protestation de Pierre François auprès du Cardinal Gerlier. 

Il a fallu aussi lutter contre les mesures visant les francs-maçons, les étrangers. Il a fallu contrer les tentatives pour un mouvement de jeunesse unique et ceux qui versaient dans la collaboration.

Pour toutes ces tâches nous avions le soutien de Gastambide, de Mme Michelin (qui sera déportée), de Mme de Kerraoul, de Melle Sainte Claire Deville, de Caquelin (qui rejoindra Alger en temps utile avant le débarquement allié) et de bien d’autres.

Pour la «Résistance», c’est avec Lebar et Bamberger que mes contacts ont été permanents et ce sont eux qui ont occupé à Paris les locaux du Faubourg Saint-Honoré des services de la jeunesse dont j’avais été le chargé de mission, investi par le Comité de Libération Nationale. Par la valise diplomatique de Bucarest, où mon frère Jean était conseiller, puis par la Turquie jusqu’à Alger, j’avais envoyé à René Capitant un projet pour la Libération. J’avais également reçu la visite de Fraval. J’avais pu rencontrer le futur général Gambiez, parmi les militants résistants de Vichy. Mais c’est à La Féclaz que j’ai eu l’honneur prophétique de totémiser «Fin Castor» un jeune professeur de dessin lyonnais qui allait être bien connu : le futur ministre Claudius Petit.

En bref, je peux assurer que l’attitude de l’ensemble des éclaireurs de France et des éclaireuses, pendant l’occupation, a été fidèle à leur promesse d’être de bons citoyens.

André Basdevant : présentation de son parcours proposé par le site « Maitron »

«André Basdevant naquit dans une famille de sept enfants ; sa mère, Renée née Mallarmé, était protestante ; son père, Jules Basdevant, était juriste, professeur de Droit international et membre de l’Institut. Sous Vichy, il fut jurisconsulte du ministère des Affaires étrangères, poste dont il démissionna le 29 mai 1941. (…)

Son implication dans le scoutisme commença dès son adolescence. Il fut chef d’une troupe unioniste à Clichy et membre du groupe des Éclaireurs de France au lycée Henri IV, puis commissaire de la région parisienne. En 1935, au Conseil national des chefs Éclaireurs de France de Marseille, il fut chargé du rapport sur l’amitié interfédérale, où il évoqua sur un ton assez critique l’action du Bureau Interfédéral du Scoutisme français créé en 1923 (regroupant les Scouts de France, les Éclaireurs Unionistes, les Éclaireurs de France et plus tard les Éclaireurs Israélites). En 1940, il fut membre du comité directeur des Éclaireurs de France. Il participa les 10 et 11 septembre 1940 à un conseil de commissaires nationaux et régionaux qui adoptèrent un texte appelé «résolutions d’Auvillars» où il était affirmé qu’«il n’est pas de scoutisme sans idéalisme». Il devint dans la foulée secrétaire général d’un Bureau Interfédéral (BIF) permanent, installé à Vichy, composé de commissaires nationaux de chaque association et présidé par le Général Lafont, un responsable des Scouts de France. À ce titre, André Basdevant consulta les différentes associations de scoutisme sur leur conception de l’union et participa au Camp de l’Oradou du 24 au 26 septembre 1940, pour construire une union plus forte entre les mouvements et lever les réticences. Il fut ainsi un des artisans de la constitution du Scoutisme français et plus généralement du rapprochement des mouvements de jeunesse et d’Éducation populaire, qui formèrent le Conseil privé des grands mouvements. Il resta secrétaire général du Scoutisme français jusqu’en 1944.(…)


Blessé sur le front le 13 juin 1940, André Basdevant s’installa ensuite à Vichy chez Pierre François, Commissaire national des Éclaireurs de France. En 1941, c’est avec celui-ci qu’il se rendit à Alger aux côtés du père Forestier (aumônier général des Scouts de France et des Chantiers de Jeunesse), en mission pour le Général Lafont ; puis il fut nommé chargé de mission à la jeunesse au Comité français de libération nationale (CFLN) en 1943-1944, sous la responsabilité de René Capitant, alors Commissaire à l’Éducation nationale et à la jeunesse à Alger. Alexandre Parodi, délégué général du CFLN en France, lui demanda d’«établir des contacts très étroits avec les Forces Unies des Jeunesses Patriotiques (FUJP), qui étaient amenées à regrouper, dans l’esprit patriotique qui animait la Résistance, l’ensemble de la jeunesse française». Cette mission ne fut pas facile, d’autant que les FUJP acceptaient difficilement son arrivée, arguant qu’elles n’avaient pas été consultées. Dans cette même période, il fut très marqué par la mort de son frère, René Basdevant, un grand résistant.(…)


Après la Libération, il entra au ministère le 1er octobre 1944, où il fut chargé de nobreuses missions dans divers domaines. On lui reconnaissait son pouvoir d’analyse et de synthèse ainsi que ses compétences juridiques ; il fut l’auteur de nombreux rapports, qui firent référence.

Il fut maire d’Anost de 1965 à 1989, et conseiller général de la Saône-et-Loire de 1979 à 1985. Il était officier de la légion d’honneur et Croix de guerre ».