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1944 : Les Éclaireurs de France lycéens parisiens,     

des Corps Francs « Essor » et « Liberté » aux maquis de Corrèze et à la tragédie  de La Ferté-Saint-Aubin (Sologne) 

Raconté par Henri-Pierre Debord

Pierre Bataillon, Pierre Bello, Philippe Wacrenier, Maurice Lacoste

C’est l’histoire de deux Corps Francs, «Liberté» et «Essor» constitués durant l’été 1942 par des lycéens parisiens qui vont être intégrés au réseau «Vélite-Thermopyles», disposant d’un secteur Renseignement et d’un secteur Action. Parmi leurs membres, plusieurs Éclaireurs de France, ayant fait le choix de résister, bien avant que l’action militaire au service de la libération du territoire et la restauration des institutions républicaines soit engagée.

En prévision du débarquement, des cantonnements avaient été choisis et aménagés dans plusieurs fermes de la Ferté-Saint-Aubin (Loiret) pour accueillir des étudiants susceptibles de rejoindre les maquis de Corrèze.

Radio-Londres donne le signal de la mobilisation, deux messages sont diffusés : «La Lune est pleine d’éléphants verts», puis le 6 juin le débarquement : «Les carottes sont cuites». Philippe Wacrenier (Compiègne), Henri Casati (Troyes) et Pierre Bello (Lille) sont particulièrement concernés par la réception de ces messages et le lancement des opérations qu’ils induisent.

Pierre Bataillon

Pierre Bataillon entre aux E.D.F. à Alger. Ayant rejoint Paris, il est élève au Lycée Henri IV en et fait partie du groupe du lycée dont il devient chef de troupe en binôme avec Maurice Lacoste (voir ci-dessous). Ils sont tous les deux membres d’«Essor ».

Henri Casati (E.D.F. Troyes) est responsable du Corps France “Essor” en mai 1944. Philippe Wacrenier (E.D.F. Compiègne) est responsable du Corps Franc «Liberté» depuis sa fondation.

Il a un frère, Claude, chef de patrouille qui après la guerre reprendra ses notes.

Pierre, Claude et Maurice font la connaissance de Louis François, professeur à Henri IV qui leur offre une couverture d’activité sous la dénomination «Groupe d’études géographiques». Ils bénéficient d’un local à matériel, mais ne peuvent se réunir qu’à «la Maison pour tous», rue Mouffetard,  

En juin 1944, les messages de Londres arrivent successivement. Celui du 2 juin «La lune est pleine d’éléphants verts trois fois» annonce le début du débarquement, trois jours plus tard. Pierre apprend le matin du 6 juin le débarquement par la concierge de son immeuble. Il prévient immédiatement un non éclaireur, Jean Clauzel, qui avait été recruté par Henri Casati. Bataillon et Cluzel vont ensemble chez Maurice Lacoste, également E.D.F. à Henri IV. C’est le moment du départ vers la Sologne pour les trois. Ils partent à pied de Paris vers 15 heures et passent la nuit au château de Soucy-Bel Air, à Bruyères le Châtel dans l’actuel département de l’Essonne. Le 7 juin, ils continuent leur chemin à pied et se dirigent vers la gare de Chamarande et prennent le train pour Étampes. Après quelques kilomètres en stop, ils rejoignent Angerville à pied et montent dans un car pour rejoindre Orléans puis un bus urbain qui les emmène à Olivet au sud de la Loire. Ils ont ainsi franchi la Loire sans encombre. Ils sont à douze kilomètres environ de la Ferté Saint Aubin. Ils ont pour consigne de ne pas emprunter la Nationale 20 mais ils passent outre et font de nouveau du stop. «Nous faisons du stop à une voiture noire qui va dans le même sens que nous. Elle freine brutalement et comme dans un film policier, un canon de pistolet et un canon de mitraillette surgissent aux deux portières avant de la voiture dans laquelle nous sommes, par signes, invités à monter».

Ils viennent d’être interceptés par des Miliciens. Ils sont alors conduits au siège orléanais de la Milice, rue des Anglaises. Ils prétendent faire du camping. En attendant le sort qui leur est réservé, ils sont emprisonnés dans une cave. Mais, le 11 juin, au matin, profitant de la désorganisation de la surveillance à la suite d’un bombardement, ils réussissent à s’échapper et à quitter Orléans. Franchissant la Loire à Jargeau, à l’est d’Orléans, ils se dirigent vers la ferme du By. Sur la route, le 12 juin, à quelques kilomètres du but, un Solognot leur apprend la mort de leurs camarades et les dirige vers un résistant garde-chasse. Ils rejoignent de là le maquis de Saint Viâtre (Loir et Cher).

Maurice Lacoste

 (Voir Pierre Bataillon, ci-dessus)

Pierre Bello

Pierre Bello naît à Lille le 6 mai 1923. En mai 1933, il entre aux Éclaireurs de France dans la meute du Lin. En novembre 1934, il est admis au lycée Faidherbe où il restera jusqu’en Terminale. C’est là qu’il passe aux Éclaireurs en novembre 1935 au sein de la Troupe Bayard puis à la Troupe Nicolas Benoit à la suite d’une scission. À la rentrée 1939, il intègre le Clan Faidherbe qui recrute parmi les élèves du lycée. Fin août 1940, alors que le scoutisme vient d’être interdit par les Allemands, il fonde un clan clandestin auquel il donne le nom de Clan Léon Trulin du nom d’un jeune patriote belge fusillé en 1915. Après le bac, il entame des études de droit puis en septembre 1942, rejoint le lycée Louis Legrand en classe préparatoire dans le but de passer le concours de l’École Nationale de la France d’Outre-Mer (La Colo) où il entre début novembre 1943. C’est à ce moment que se crée le Corps Franc «Essor», composante des Forces Françaises Combattantes dont l’un des responsables sera en mai 1944 Henri Casati, frère d’André. Distribue les journaux «Défense de la France», «Résistance» et «Essor», organe de l’Organisation civile et militaire de la jeunesse (O.C.M.J.). Cinq numéros du journal Essor paraissent de décembre 1943 à mai 1944. Parallèlement, il suit des formations de type militaire comme le maniement d’armes et le lancement de grenades.

Jusqu’au printemps 1944, Essor et Liberté qui fonctionnent de manière assez différente développent leurs activités séparément. A partir d’avril-mai, ils vont être coordonnés.

Les membres du Corps Franc Essor sont en classes préparatoires ou ont déjà intégré une école. Ceux du Corps Franc Liberté sont en majorité lycéens car plus jeunes.

Parti de Paris, en compagnie d’un autre élève de l’Ecole coloniale, le 9 juin à 7 heures du matin, il va faire le trajet jusqu’en en Sologne en une journée et arrive à la ferme du By (La Ferté Saint Aubin) le soir même.

Dans la soirée, ils sont seize étudiants dans la ferme. Vers 22 heures, un homme se présente. Il ne connaît pas le mot de passe. Méfiant, René Coche, membre du Corps Franc «Liberté», ancien élève du lycée de Vanves n’ouvre  pas. L’individu envoyé en reconnaissance, Lucien Lussac, est un agent d’infiltration du SD (Sicherheitsdienst) Service de renseignements de la SS de Blois (Loir-et-Cher). Avec Guy Eymard dit Gérard, étudiant, ils infiltrent plusieurs groupes de résistants.

Le samedi 10 juin vers cinq heures du matin, des agents du SD accompagnés de trois français font irruption dans la ferme du By, trois résistants parviennent à se cacher. Parmi les étudiants, André Parent sort une carte qu’il tend aux hommes du SD. Il est du même service. Il indique qu’il n’y a pas d’armes au By, mais qu’un autre groupe de résistants est à La Bohardière. Emmenés à l’écart de la ferme, Pierre Bello et ses compagnons sont abattus à la mitrailleuse, puis d’une balle dans la tête.

Pierre Bello repose au côté d’André Casati dans la Nécropole Nationale de Bellefontaine à La Ferté Saint-Aubin

Philippe Wacrenier

Philippe Wacrenier naît à Lille le 13 février 1925. Il entre aux Éclaireurs de France dans sa ville de naissance. Le 10 juin 1940, au début de la débâcle, il passe la première partie de son baccalauréat à La Rochelle où les lycéens ont été repliés.

Le 11 novembre, âgé de 15 ans et toujours élève au lycée de Compiègne, il prend l’initiative et devient le principal organisateur d’une remise de gerbe de fleurs ornée d’un ruban tricolore au monument aux morts de 14-18 de l’établissement, avec la mention «Les jeunes aux anciens». Le commandant allemand de la ville l’apprend et exige les noms des coupables. Personne ne se dénonce. Les quatre élèves les plus âgés de classes terminales sont pris comme otages et relâchés quelques jours plus tard. Le proviseur est d’abord suspendu de ses fonctions, puis muté d’office. Philippe Wacrenier fait de cet acte son entrée en résistance. «J’étais bien résolu à continuer à résister par tous les moyens. Il y a un commencement à tout. J’ai donc poursuivi, et c’est devenu de la vraie Résistance.»

Durant l’été 1942, Philippe Wacrenier est en «Service Civique Rural» près de La Ferté Saint Aubin dans le Loiret et rencontre dans ce cadre un militant du «Régiment Liberté» qui avait lui aussi participé à la manifestation du 11 novembre 1940. Il va intégrer ce groupe. Il découvre à l’occasion de sa participation à ce dispositif créé en mars 1941 pour pallier le manque de personnels agricoles et encadrer la jeunesse des lieux qui deviendront plus tard à son initiative une base et de futurs sites d’accueil de jeunes résistants dans la perspective du débarquement allié.

A la rentrée scolaire 1942, il s’installe au lycée Janson de Sailly à Paris. Fin 1942, Il entre dans une organisation née au lycée Chaptal qui rassemble des lycéens voulant s’opposer aux nazis. Il noue ensuite des contacts avec des professeurs de l’Ecole normale supérieure à la tête d’un important réseau de résistance appelé «Vélite». Wacrenier fait entrer peu à peu des lycéens dans ce réseau qui est en relation avec le Bureau Central de Renseignement et d’Action (B.C.R.A.) fondé et installé à Londres. C’est ainsi que le Corps Franc Liberté naît. Philippe en devient le responsable à 17 ans.

Il va ainsi en compagnie de ses adjoints, en charge des trois compagnies composées chacune de trois sections, celui qui recrute, structure le Corps Franc, programme les entraînements, collecte, aide aux parachutages, cache les armements et matériels, et surtout développe le renseignement.

L’instruction se fait en extérieur mais aussi au cœur même du lycée Louis Le Grand sous couvert de révision de cours.

En novembre 1943, la base d’entraînement et le dépôt d’armes situés en forêt de Rambouillet est découverte par les Allemands. C’est alors que la Sologne devient le site de remplacement. C’est au printemps 1944 que le nouveau dispositif entre Paris et les maquis de Corrèze se précise. Philippe Wacrenier est désigné fin mai pour préparer l’arrivée et l’installation des jeunes dans les fermes qui ont été ciblées pour les recevoir. Le 3 ou le 4 juin, il communique dans le secret le nom de la ferme du By à La Ferté à ses chefs de section. A charge pour eux d’informer les jeunes qui composent chacune d’elles, une fois que le débarquement sera confirmé. Les départs doivent être échelonnés, par petits groupes, avant le 7 juin à midi. Ils doivent en outre emprunter des itinéraires différents à l’écart des routes contrôlées par les Allemands et la Milice. Il faut rejoindre le site de regroupement avant le 15.

Philippe Wacrenier est arrêté à la suite de la découverte d’un dépôt d’armes par la Milice parisienne, le 7 juin en même temps que deux camarades dont Henri Casati, frère d’André. Il est incarcéré à la prison des Tourelles en vue de sa déportation. Mais il n’est pas remis à la Gestapo. Il sera torturé à plusieurs reprises jusqu’à sa déportation vers l’Allemagne.  Le train dans lequel il est transporté est bombardé le 10 août dans les Ardennes. Il en profite pour s’échapper, est repris par des gendarmes, s’échappe de nouveau et rejoint Paris le 9 septembre. Il intègre l’état-major national des Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) au sein du service de Renseignements et participe durant l’hiver 1944-1945 à des opérations en Lorraine. Il est démobilisé en octobre 1945 et reprend ses études à Janson de Sailly.

Sources :

Ensemble : https://www.corsaire-editions.com/product/LA-TRAGEDIE-DES-LYCEENS-PARISIENS-RESISTANTS-10-JUIN-1944-EN-SOLOGNE-Georges-JOUMAS