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2013 : Pierre Bonnet nous transmet une information intéressante

 

… sur l’histoire de la laïcité.

 

 

Article de Marc-Olivier Bherer paru dans Le Monde, dimanche 24 – lundi 25 novembre 2013

 

L’inventeur de la laïcité

 

C’est un auteur trop peu connu que la revue d’Études Théologiques et religieuses (*) fait découvrir dans son plus récent hors-série « Genèse religieuse de l’État laïque, textes choisis de Roger Williams ».

 

Puritain anglais venu en Amérique en 1630 pour fuir la persécution royale, Roger Williams (environ 1603-1680) est considéré comme le père de la liberté religieuse aux États-Unis et l’un des premiers à avoir pensé la neutralité de l’État en matière religieuse.

 

Très peu connu dans le monde francophone, bien qu’il figure sur le Mur des réformateurs à Genève célébrant les pionniers du protestantisme, Roger Williams n’est pas loin de pâtir d’un pareil oubli aux États-Unis. Avec cette publication, la revue de l’Institut Protestant de Théologie de Montpellier et Paris ne cache pas son ambition d’aider à restaurer le prestige de ce pasteur, dont la pensée inspire la philosophie contemporaine et, notamment, l’américaine Martha Nussbaum. Mais, rétrospectivement, l’homme paraît paradoxal. Ne fonde-t-il pas la séparation des affaires civiles et religieuses sur des principes théologiques, comme le rappelle Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité, dans la préface du numéro ?

 

Victime, jusqu’en Amérique, de la persécution, alors qu’il y cherchait un asile, Roger Williams y poursuit son désir de voir le christianisme s’affranchir de la corruption qui sévit au sein des églises officielles. En l’absence d’une telle renaissance, il prêche une séparation d’avec l’église anglicane, ce qui ne manque pas d’alerter le gouvernement colonial du Massachusetts, qui s’oppose à sa nomination comme pasteur à Salem. Il fait, par la suite, l’objet de poursuites judiciaires et est de nouveau contraint à prendre la fuite. C’est ce qui l’amène à fonder le nouvel État du Rhode Island, selon un projet révolutionnaire. Dans la charte royale, rédigée pour constituer cette nouvelle colonie, Roger Williams précise que « personne ne devra y être molesté, puni, inquiété ou mis en examen pour une quelconque différence d’opinion en matière de religion ». Ce texte ne figure pas dans ce hors-série, mais Marc Boss, maître de conférences à la faculté de théologie de Montpellier, prend néanmoins le soin de le citer dans son introduction. Cette charte d’une modernité séditieuse, qui inspirera bientôt les Pères Fondateurs des États-Unis, incarne dans des institutions politiques les idées que Roger Williams a déjà défendues dans ses écrits polémiques.

 

Le texte le plus fort à ce titre, et que la Revue d’Études Théologiques et Religieuses propose pour la première fois en français, est « La doctrine sanguinaire de la persécution pour le motif de conscience ». C’est là que Roger Williams évoque le « mur de séparation » entre l’Église et l’État, formule que l’on a, par la suite, attribuée à Thomas Jefferson, le troisième président américain. Ce texte trace, en effet, une distinction entre les autorités politiques, que Roger Williams appelle les « pouvoirs civils », et les autorités religieuses. Il estime que l’on ne pourra restaurer la paix – n’oublions pas qu’il est quasi contemporain des guerres de religion qui ravagèrent l’Europe au XVIe et au XVIIe siècles – que lorsque les autorités publiques reconnaîtront qu’elles ne sont « ni juges, ni gouverneurs, ni défenseurs de la condition et des cultes spirituels ou chrétiens ». Cette dernière nuance est capitale, car, bien qu’ardent chrétien, Roger Williams souhaite étendre cette liberté de conscience à tous, « même ceux des plus païens, des Juifs, des Turcs ou des antichrétiens ». Elle vaut donc non seulement pour les Juifs et les Musulmans, mais aussi pour les Amérindiens, avec qui Roger Williams entretenait des relations d’amitié. Pareil humanisme méritait bien d’être célébré.

 

 

(*) Études Théologiques et religieuses, hors série

Revue de l’Institut Protestant de Théologie