Hélène STERN, (Chèvrefeuille), membre de la Fédération Française des Éclaireuses – section israélite – nous donne un témoignage sur ce qu’a été, pour les jeunes de son âge et de son origine, la vie en cette période, dans le cadre des activités clandestines décrites par Lucien Fayman.
Elle nous a communiqué, avec son témoignage, une photo de jeunes de « la Sixième » dansant au sol une étoile de David dans la cour d’une institution religieuse…
(Contribution écrite pour l’ouvrage « Une jeunesse engagée »)
Chez les Éclaireuses Israélites et à la Sixième
« Je suis arrivée à Paris en 1933, avec mes parents, fuyant l’Allemagne nazie. Je suis entrée aux E.I.
Plus tard en 1939, les E.I. s’occupaient alors de mettre en lieu sûr les jeunes craignant les bombardements de Paris et en particulier les étrangers que l’État n’avait pas envisagé d’évacuer. Nos responsables ont tout de suite pensé à envoyer ces jeunes vers les zones sud plus sûres. Nous avons pris la fuite avec des millions d’autres , et nous sommes arrivées à Angoulême où nous avons appris les deux zones, la libre et l’occupée.
Nous avons pu poursuivre jusqu’à Périgueux où on nous a mises dans un camp, puis dans un centre, où j’ai essayé de remonter une section scoute et un jour j’ai rencontré Castor (Robert Gamzon, fondateur des E.I. et Résistant) qui m’a proposé d’aller à Beaulieu sur Dordogne, maison d’enfants juive scoute où l’on manquait de cheftaines et je suis partie.
La maison de Beaulieu était une maison scoute organisée sur le mode des Éclaireuses et du clan, atmosphère scoute et familiale, car les enfants qui étaient là n’avaient plus de parents ou en étaient séparés. L’école, les sorties, les camps rythmaient cette vie harmonieuse où l’on enseignait le patrimoine juif, les fêtes, la religion à ces enfants qui n’avaient pas pu connaître cela par leur famille et tous les intervenants, même non juifs, s’intéressaient beaucoup à cette éducation très gaie.
Lorsqu’arriva l’occupation de la zone, nous étions en camp, on est venu nous prévenir de ne pas rentrer. Des enfants étaient recherchés sous prétexte de regroupement familial, et nous savions que les parents étaient soit déportés, soit en camp à Rivesaltes où ils mouraient de la dysenterie. Nous avons passé la nuit dehors ; le lendemain, le Commissaire Belette, Denise Lévy, a emmené un groupe de filles dans un couvent : c’étaient des allemandes qui avaient déjà été sauvées d’un camp par des E.I., elles ne parlaient pas le français et devaient passer pour des alsaciennes ; nous leur avions enjoint de parler le moins possible.
Et il me revient un souvenir affreux : je devais leur remettre leur courrier et certaines lettres portaient la mention « n’habite plus à l’adresse indiquée » ou « disparu » ce qui voulait dire que le courrier revenait parce que les parents étaient déportés. Pendant la nuit où nous attendions dans la cabane, j’avais caché le courrier, souhaitant ne le remettre que lorsqu’elles seraient en sécurité ; les enfants dormaient et une autre cheftaine et moi guettions le camion qui devait venir nous chercher.
Sur le matin, le sommeil nous a prises et les enfants trouvèrent le courrier…
Les E.I. devinrent clandestins et la « Sixième Section » eut pour objectif de mettre en sécurité le plus de jeunes possibles, avec l’aide de faux papiers, fabriqués grâce aux tampons, noms, registres de mairies détruites, de noms de Français qui les avaient ont « prêtés » » de tout ce qui ne pouvait pas être vérifié.
Dans un secteur de Saint-Amand Montrond jusqu’à Brive, de Ribérac à Bergerac, on prospectait dans les fermes pour placer les enfants. Les enfants étaient bien accueillis et certains apprenaient des métiers dans des écoles comme celle de Moissac. Une seule fois, une cheftaine a été prise près de la frontière suisse car elle avait refusé d’abandonner les enfants et de dénoncer. Certaines ont dû passer dans la Résistance, souvent dans le maquis de Castres… »