Rechercher

2015 : Un peu d’histoire de la coéducation

 

… à l’occasion de la Journée de la mémoire du scoutisme laïque le 28 novembre 2015

 

 

L’émergence de la coéducation dans le scoutisme laïque, une étape majeure de la formation à la citoyenneté

Intervention d’Yvon Bastide, président de l’association



Une étape :


Il s’agit bien d’une « étape » dans la longue histoire des relations entre hommes et femmes, garçons et filles, dont on peut trouver des exemples tout au long des siècles, depuis la Bible jusqu’à nos jours…

 

Étape donc : dans notre scoutisme français apparaît, en 1964, un « nouveau Mouvement » de « coéducation des filles et des garçons », les Éclaireuses & Éclaireurs de France. Il représente l’aboutissement d’une évolution, car la coéducation en question a été commencée dès 1947-1948 par les Éclaireurs de France (E.D.F.), association laïque de scoutisme pour les garçons.


De quoi s’agit-il ?

 

Avant d’aller plus loin, il convient de définir ce qu’on entend par « coéducation » des filles et des garçons. Il existe d’autres formes de coéducation, et le scoutisme lui-même en est un bon exemple puisqu’il pratique, depuis son origine, la coéducation des enfants, des adolescents et des adultes… Et le scoutisme laïque pratique, depuis sa création, la coéducation des spiritualités !

 

On en trouve une première définition dans la République de Platon, quatre siècles avant notre ère : « Dans notre État, hommes et femmes seront appliqués aux mêmes tâches et, pour s’y préparer, recevront la même éducation… ». L’encyclopédie anarchiste cite la Grande Didactique de Cornélius, vers 1630 : «… droit de tous, filles et garçons, à une instruction intégrale en commun » et les affirmations de Pestalozzi, au dix-huitième : « l’école doit être l’image de la famille et par suite grouper filles et garçons ». La Ligue Internationale pour l’Éducation Nouvelle, en 1921, va un peu plus loin : « La coéducation réclamée par la Ligue – coéducation qui signifie à la fois instruction et éducation en commun – exclut le traitement identique imposé aux deux sexes, mais implique une collaboration qui permette à chaque sexe d’exercer librement sur l’autre une influence salutaire ». Et on trouve un premier passage à l’acte avec le Mouvement de l’Enfance Ouvrière dans les années 30 : « Nous, filles et garçons de la classe ouvrière, nous voulons être élevés ensemble. »


Un nouveau Mouvement ?

 

Dans le scoutisme comme dans la société en général, il convient de remonter un peu le temps…

 

En 1907, nous trouvons la création en Grande-Bretagne du scoutisme pour les garçons, relayé en France dès 1911. Assez rapidement, certaines pensent que ça doit marcher aussi pour les filles et les premières expériences sont réalisées en France dès 1912 pour aboutir en 1921 à la création de la Fédération Française des Éclaireuses (F.F.E.), qui s’appliquera à définir les contours d’un scoutisme féminin. Suivie quelques années après par l’association catholique des Guides de France, elle réalisera un travail remarquable dans une structure originale, une fédération de « sections » respectant les valeurs de toutes les adhérentes.

L’aboutissement est donc l’existence de deux scoutismes parallèles, de même inspiration initiale mais sans liens entre eux dans leurs activités. Mais, dès la fin des années 30 et surtout après la Libération, apparaît le souhait d’activités communes, à la F.F.E. comme aux E.D.F., surtout à la branche aînée (plus de seize ans). Et dès 1947 les Éclaireurs Français (E.F.), la première association de scoutisme créée en France, inaugure à Alger une « branche féminine ».

 

Dans le scoutisme laïque (section « neutre », c’est-à-dire non confessionnelle, de la F.F.E. et E.D.F.), on trouve un premier début de rapprochement à la branche aînée, sous forme d’activités communes, d’une revue éditée ensemble, d’échanges et de réflexions, en particulier en ce qui concerne la formation. Le tout aboutissant à une tentative de structure commune, non adoptée en Assemblée Générale de la F.F.E.. Les E.D.F. décident alors, fin 1949, de devenir un « Mouvement commun aux filles et aux garçons ».  Il s’agit bien d’une innovation, compte tenu du contexte de la société, du scoutisme international, mais aussi, sur certains points, du Mouvement lui-même. 

 


 

En ce qui concerne la société, la « mixité » n’est pas généralisée, en particulier à l’école, et la femme se trouve systématiquement dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’homme. Et il existe des réticences et des interdictions d’ordre moral ou religieux. Le texte ci-après, trouvé sur un site Internet, même s’il peut être considéré comme l’expression d’une position excessive, traduit bien cette crainte de la religion majoritaire : « C’est une erreur du même genre et non moins pernicieuse à l’éducation chrétienne que cette méthode dite “ coéducation des sexes ”, méthode fondée, elle aussi, aux yeux d’un grand nombre, sur un naturalisme négateur du péché originel. (…) Le Créateur a ordonné et disposé la parfaite communauté de vie entre les deux sexes seulement dans l’unité du mariage ; ensuite, elle les sépare graduellement dans la famille et dans la société… ».

 

En ce qui concerne le scoutisme international, la situation n’est pas plus ouverte. L’Organisation Mondiale du Mouvement Scout (O.M.M.S.), à laquelle appartiennent les E.D.F., décrète en septembre 1950 : « Enfin, et quant au fond du problème, il faut poser que le Scoutisme sadresse aux garçons et le Guidisme aux filles… Cest un non-sens de prétendre vouloir appliquer aux filles les méthodes de formation virile voulues par notre Fondateur pour les garçons… ».

 

Et l’introduction de la coéducation des filles et des garçons va conduire à aborder un autre sujet, celui de l’éducation sexuelle. Ici encore, nous trouvons des affirmations d’ordre religieux : « Bien plus, l’enseignement sans Dieu a entrepris cette abomination de révéler à des petits innocents les mystères délicats de la transmission de la vie, mystères qui relèvent uniquement de la compétence des parents, aidés de la grâce de Dieu, à eux seuls conférée par le sacrement de mariage ».

 

Chez les E.D.F., on trouve en 1944, dans une « tribune libre » de la revue des responsables, une première tentative d’aborder le sujet : « Devons-nous faire l’éducation sexuelle de nos garçons ? » suivie très rapidement d’une réponse rapide dans une série d’articles intitulée : « L’éducation à la pureté »…

 


 

Pas si simple donc, et pourtant…

 

En 1964, création d’un « nouveau Mouvement » par les trois associations « historiques » :

–      Les Éclaireurs Français, créés en 1911,

–      Les Éclaireurs de France, créés en 1911,

–      La section « neutre » de la F.F.E., créée en 1921.

 

Avec une difficulté tout aussi historique : les « retrouvailles » entre  membres de la F.F.E. restées fidèles & ex-membres  de la F.F.E. passées aux E.D.F. depuis 1949. Pour les E.D.F., pilotes de l’opération, l’objectif majeur va être de ne pas apparaître comme l’absorption par une association masculine de l’association féminine. Exemples de quelques précautions…  concrètes : la tenue, l’abandon du « chant fédéral » des E.F. et des E.D.F., le dessin d’un nouveau logo association trèfle et arc tendu…

 

Le résultat va être à la hauteur des ambitions : un nouveau Mouvement : les E.E.D.F. (les filles avant les garçons), une présidente issue de la F.F.E. N, des unités en coéducation dans toutes les branches.

 

Même si quelques groupes locaux E.F. ou F.F.E. refusent de rejoindre les E.E.D.F., le « congrès de l’An II », organisé à Montgeron par Jean Estève et Pierre Bonnet en 1966, témoigne de la concrétisation de cette création. Les objectifs en sont clairement définis :

« Depuis plus d’un demi-siècle, la condition féminine n’a cessé d’évoluer. Dans le monde moderne qui est le nôtre, la femme n’est plus entièrement dépendante de l’homme. Dans le monde où vivront nos enfants, la société ne pourra se passer de l’apport intellectuel, psychologique et affectif des femmes comme des hommes. Il faudra que s’instaure une coopération, débarrassée des images artificielles et paralysantes déléguées par le passé.

Mouvement de scoutisme laïque, ouvert aux filles et aux garçons, l’association des Éclaireuses & Éclaireurs de France prépare les enfants et les jeunes à vivre dans ce monde futur en leur proposant l’éducation en commun des garçons et des filles, l’éducation réciproque des uns par les autres, en un mot la coéducation. »

 


 

La mise en œuvre de ces objectifs va faire l’objet de réflexions au niveau des équipes nationales de branches, des stages de formation, et, bien entendu, des groupes locaux. Esprit et méthode seront progressivement définis pour chaque branche. Par exemple, la branche Louveteaux ajoute, un temps, une compagne féminine à Mowgli dans le livre de la jungle… Et on aborde le sujet difficile, celui de l’éducation sexuelle, dans une période où elle n’existe pas du tout à l’école, au collège ou au lycée… La revue des cadres et des aînés traite du sujet sous diverses formes, des expériences sont menées, des documents sont édités…

 


 

Il est évident que, pour la société comme pour le scoutisme lui-même, cette innovation était condamnée à réussir ou à disparaître. Elle a plutôt été suivie… Pour le scoutisme catholique, majoritaire en France, une tentative de rapprochement a eu lieu dans les années 70 (rencontre de La Trivalle), et le mouvement commun des Scouts et Guides de France a été créé en 2004.

 

En ce qui concerne l’éducation sexuelle, un document, très voisin de celui des E.E.D.F., a été édité en 1973 comme supplément à la revue « L’enseignement public ». Un bon exemple de passage à l’acte est d’autre part donné par les Guides du Kenya qui inscrivent dans leur parcours de progression un brevet de prévention de la grossesse adolescente et un brevet de prévention du SIDA…

 


 

 

En conclusion…

 

Dans un domaine difficile du fait de diverses pesanteurs, le Mouvement a perçu un besoin et s’est efforcé d’y répondre. Cette période a été, pour tous ceux qui l’ont vécue, particulièrement riche, chacun étant conscient des enjeux. Mais il est bien évident qu’elle ne marquait qu’un début, qu’elle devait être prolongée aussi bien dans la réflexion, dans les objectifs et dans le passage à l’acte. À nos successeurs d’assurer la relève de cette nouvelle étape !

 

Actualité…

 

Le colloque sur ce thème s’est déroulé à Paris le 28 novembre 2015, deux semaines après les attentats qui ont coûté la vie à plus de 130 personnes. La conclusion de cette évocation historique a été complétée par le texte suivant :

« Heureux de constater que notre Mouvement a su contribuer, dans son domaine, à donner à la fille et à la femme un peu de leur place “ normale ” dans une société qui a le droit de penser, d’écouter de la musique, de se promener, de vivre…

Autrement dit, qui croit à la liberté.

N’en déplaise à ceux qui ne savent que tuer. »