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2015 : « Luciole » Klein-Lieber nous raconte son parcours

 

… et ses engagements.

 

 

Liliane Klein-Lieber, que nous avons rencontrée récemment pour la préparation d’un colloque sur le scoutisme pendant la guerre, nous a confié ce texte, qu’il nous a paru intéressant de porter à la connaissance de tous nos visiteurs qui y trouveront un bel exemple d’engagement(s).

 

Le parcours de « Luciole », Liliane Klein-Lieber

Juin 1924 : année de ma naissance à  Strasbourg dans une famille juive de vieille souche alsacienne. Tant ma famille maternelle que ma famille paternelle étaient installées en Alsace depuis plusieurs siècles, les uns dans le Haut-Rhin, les autres dans le Bas-Rhin. Mes aïeux étaient, soit marchands de céréales, soit marchands de bestiaux, comme beaucoup de nos coreligionnaires à ces époques.

Maman, Germaine, née Wormser, était née à Colmar ; mon père, Ernest Lieber à Barr, petite localité située à une vingtaine de kilomètres de Strasbourg ; l’un comme l’autre étaient le dernier de sa fratrie.

Mon grand-père maternel était décédé en 1900 des suites d’un accident de travail, alors que maman, née en 1896, avait à peine 4 ans. Julien, son aîné de 15 ans, habitait Strasbourg. Conscient de cette triste situation, il avait  fait venir auprès de lui sa maman devenue veuve sans ressources et sa petite sœur, afin de les prendre à sa charge.

Maman avait bien sûr été scolarisée. Après de très bonnes études primaires, secondaires puis de secrétariat-comptable, étant parfaitement bilingue-français-allemand, elle était rapidement entrée dans la vie professionnelle.

Mon père, de son côté, avait quitté la campagne pour s’installer à Strasbourg. Après de brèves études, ses qualités de self-made-man s’étaient rapidement révélées. En 1919, mes parents  s’étaient rencontrés, mariés, et en août 1920 naissait ma sœur Jacqueline.

Notre famille appartenait à la grande Communauté juive Consistoriale. Cependant, notre pratique du Judaïsme relevait davantage de ce que l’on appelle, de nos jours, le Judaïsme Libéral. Nous nous considérions alors comme de bons Français israélites, devenus, au fil des ans et des événements, Français juifs et enfin Juifs français.

Mon père, travailleur acharné, avait rapidement développé ses activités, créant un important négoce de grains, une malterie et une vinaigrerie. Ses qualités ayant été reconnues par ses pairs, il avait été nommé Juge au Tribunal de Commerce de Strasbourg. Homme rigoureux et de devoir, il était d’une grande générosité en faveur des œuvres  juives et locales, agissant avec une extrême discrétion ; il avait, je ne l’ai su que plus tard, participé, entre autres, à la création d’institutions importantes de notre communauté : un hôpital, la clinique Hadassah et un foyer de jeunes filles, le Home Laure Weil. Au début des années 31, mes parents m’avaient fait adhérer au Mouvement des Éclaireurs Israélites de France (E.I.F.) comme l’était déjà ma sœur Jacqueline. Je leur en serai éternellement reconnaissante, car nos chefs étaient des femmes et des hommes de grande valeur, dont les noms se retrouvent à travers l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Ils nous ont enseigné, par l’exemple, ce que signifient les mots : fraternité, solidarité, hospitalité, courage.

1933. C’est la montée du nazisme. Toute jeune encore, je sentais, de façon plus ou moins consciente, qu’un grand  danger menaçait notre pays, les Juifs en particulier. Nous écoutions à la TSF les harangues d’Hitler vociférant sa haine des Juifs. Je me souviens de mes peurs, car l’Allemagne est bien proche de Strasbourg, seul, au bout de la ville un pont sur le Rhin nous en sépare. Dans ces années-là, je m’étais fait de nouvelles amies juives, tant au lycée qu’aux E.I.F. ; elles arrivaient d’Allemagne, d’Autriche, de Pologne. À la même époque, mes parents accueillaient, pour des séjours plus ou moins longs, des amis Juifs allemands. Certains s’installaient à Strasbourg, d’autres transitaient pour ce que l’on appelait l’Intérieur (de la France) ou même, lorsqu’ils en avaient les moyens, fuyaient outre-Atlantique.

3 septembre 1939. Jour de la déclaration de guerre. Strasbourg est évacuée comme l’ensemble des localités longeant la côte rhénane, proches de  la frontière franco-allemande. Les départements d’accueil pour l’Alsace  et la Lorraine étaient la Dordogne, le Limousin, le Poitou, sans obligation de s’y soumettre.

Mon père, négociant en grains, avait été réquisitionné sur place par l’Armée pour le ravitaillement des troupes, contraint alors de  rester à Strasbourg. Toutefois, mes parents avaient  choisi de se replier sur Vichy  y ayant de la famille ; de plus, cette ville d’eau, située au sud de la Loire, offrait de grandes possibilités de logements et d’établissements scolaires. Les réfugiés de toutes confessions s’y étaient retrouvés nombreux : des alsaciens, des lorrains et même des parisiens fuyant la capitale redoutant des bombardements ennemis. C’est donc ma soeur Jacqueline, déjà titulaire de son permis de conduire, qui nous y avait emmenées, maman et moi. Nous y avions rapidement trouvé une maison à louer que nous  avions partagée avec des amies strasbourgeoises dont les maris étaient mobilisés. Une synagogue d’avant guerre y existait, qui était rapidement devenue un lieu de rassemblement pour nos coreligionnaires et très vite un groupe d’Éclaireurs Israélites de France (les E.I.F.) s’y était créé auquel j’avais adhéré tout naturellement.

L’hiver 39, celui de la drôle de guerre, avait été très rigoureux ; je tricotais chaussettes et gants de laine pour des hommes mobilisés et poursuivais ma scolarité au collège de Cusset, ville administrative de Vichy, distante de cinq kilomètres, franchis à vélo ou en  bus, suivant la météo très continentale dans cette région.

Le 10 mai 1940, l’Armistice puis l’Exode. Durant quelques semaines j’avais participé, avec tous les jeunes de Vichy, à l’accueil et l’installation, certes provisoire, de toutes ces personnes arrivant épuisées, par trains et routes, du nord de la France et de Belgique.

Le 3 octobre 1940 a été promulgué le premier Statut des Juifs, le 2 juin 1941 le second. Mon père avait pressenti le pire pour tous les Juifs, quelles que soient leurs origines. Il avait eu raison, car l’Occupant, en réalité le gouvernement Pétain, avait souhaité que Vichy d’abord, puis tout le département de l’Allier, deviennent « Jùdenrein » (littéralement : nettoyé de ses Juifs). En effet, après les Juifs étrangers, les Juifs français, ainsi que l’avait exigé Pétain lui-même, avaient été sommés de quitter Vichy puis tout le département, et ceci à quelques exceptions près dont j’ignore les motifs.

Janvier 1941. Mon père, ayant pu obtenir un visa pour les États-Unis, y était parti et, dès son arrivée, avait fait le nécessaire afin d’en  obtenir pour maman et moi ; ceux-ci nous étaient parvenus alors que les américains débarquaient en Afrique du Nord et que la sortie de France était devenue impossible, tandis que ma sœur, s’étant mariée début février 1941 avec André Elkabbach originaire d’Algérie, tous deux avaient immédiatement rejoint l’Afrique du Nord.

Dans la foulée de la discrimination, Juifs  français et étrangers, avaient  été sommés de se déclarer au commissariat de police et que le tampon JUIF, avait été  apposé en rouge, sur nos cartes d’identité. Et puis, début décembre de la même année, nous était parvenu un document officiel nous imposant d’avoir à quitter Vichy avant la fin de l’année.

Décembre 1941. C’est à Grenoble que nous étions allées, maman et moi, sachant y retrouver des membres de  ma famille paternelle dont les ancêtres avaient pu quitter l’Alsace après 1870. Grenoble avait le privilège d’être située en zone italienne créée lors du découpage de la France en 4 zones : Zone Nord, au nord de la Loire, Zone Interdite laquelle longeait le littoral du nord au sud de la France,  Zone Sud – dite libre ! – et Zone Italienne qui longeait la côte alpine jusqu’à la Méditerranée, et cela jusqu’au 9 septembre 1943, date de l’armistice signé entre Allemands et Italiens.

Mi-Août 42, après avoir participé à un grand camp d’éclaireuses dans les Alpes, je me dirigeais vers le Limousin pour participer à un camp de formation de cheftaines. Lors d’une halte à Vichy j’y avais rencontré Robert Gamzon, bien connu aussi sous le nom de Castor son totem scout, fondateur en 1923 du Mouvement des  Éclaireurs Israélites de France, les E.I.F..  Il m’avait demandé quels étaient mes projets immédiats. Je l’en avais informé. Non, m’avait-il dit, renonce à ce camp et va à Moissac, là on t’expliquera. À Moissac se trouvait une maison d’enfants créée avant la guerre déjà par les E.I.F., dirigée par Edouard dit Bouli et Shatta Simon, dans le but d’y accueillir des enfants de familles juives récemment immigrées, ayant besoin d’un changement d’air et d’atmosphère. Bien sûr, en bonne scoute  je lui avais obéi et en avais averti maman à  Grenoble.

En fait, le 25 août 42, Robert Gamzon, qui avait conservé des contacts avec certains membres du gouvernement d’alors, défavorables à la politique de celui-ci, avait été averti que d’importantes rafles de Juifs et d’étrangers étaient programmées pour le lendemain 26 août, dans toute la zone sud, dite zone libre.

Alors que n’existaient ni fax, ni portables, ni e-mails, le bouche à oreille de Castor avait si bien fonctionné que nous nous étions retrouvés assez nombreux à Moissac les jours suivants, chefs, cheftaines et aînés du Mouvement, afin d’envisager, ensemble, comment et où venir en aide à toutes ces personnes en danger immédiat, et plus particulièrement aux enfants.

Venus de toutes les régions de la zone Sud, nous avions déjà pu envisager où et comment nous organiser afin de couvrir l’ensemble de cette zone divisée alors en six régions : Clermont-Ferrand, Limoges, Toulouse, Lyon, Nice et Grenoble. À la tête de chaque région, un chef et un ou deux adjoints, tandis que nous, cheftaines et aînées, étions destinées à devenir officiellement des assistantes sociales en raison des tâches qui seraient les nôtres, le « planquage »  et le suivi des adolescents qui nous seraient confiés, tandis que le réseau Garel de l’O.S.E. – Œuvre de Secours aux Enfants – prendrait en charge les plus petits.

À cette époque, l’UGIF, Union Générale des Institutions Juives de France, créée par décret du 29 novembre 1941, avait déjà procédé au découpage de la population juive de France en quelques Directions et chacune d’elle en quelques Divisions. La quatrième Direction étant celle de la jeunesse dont la sixième Division était le scoutisme, il nous avait fallu peu de temps pour trouver un nom de code à ce réseau clandestin en formation, et ce fut « la Sixième ».

Trois chefs  parmi nos  aînés, Ninon Haït-Veil, Denise Lévy dite Belette et Henri Wahl, avaient été nommés responsables de la Sixième à l’échelon national et avaient choisi de s’installer à Lyon. Eux trois avaient toujours été en rapport avec nos camarades de la zone Nord  qui vivaient depuis les premiers jours de l’Occupation dans des conditions beaucoup plus difficiles, voire dangereuses, que les nôtres, ayant subi dès l’arrivée de l’occupant toutes les lois d’exception, ce qui leur imposait des obligations  très rigoureuses et bien plus dangereuses encore que les nôtres, notamment dès fin mai 1942 l’obligation du port de l’Étoile Jaune dès l’âge de six ans.

Les enfants nous étaient confiés, soit par des parents soucieux de la sécurité de leurs enfants avant de se mettre eux-mêmes à l’abri, soit plus généralement par les services sociaux de la Communauté, l’OSE, l’Œuvre au Secours aux  Enfants, notamment par son réseau clandestin, le réseau Garel, du nom de son responsable Georges Garel.

À Grenoble, pour la recherche de planques et faux-papiers, la solidarité de tous nos amis scouts avait été remarquable, que ce soit les scouts laïques et religieux, les Unionistes notamment, mais aussi par Notre-Dame-de-Sion ; là, je devais être très vigilante, connaissant l’objectif premier de cet Ordre qui est la conversion. D’autres aides encore, telle que celle du Secours National, le service social officiel d’alors. Je tiens à rappeler le nom de son directeur, Monsieur Dormoy, qui nous fournissait généreusement linge, vêtements, chaussures, affaires de toilette etc. pour nos enfants cachés, objets d’un prix élevé dont certains ne pouvaient s’acquérir qu’avec argent et tickets de rationnement que nous ne possédions évidemment pas.

Une fois ces jeunes mis en sécurité, il nous fallait impérativement aller les voir le plus souvent possible afin qu’ils ne se sentent pas abandonnés, car bien souvent la séparation avec leurs parents avait été très brutale. Il fallait établir un lien affectif avec eux et faire notre possible pour les aider à conserver leur identité juive sans se trahir ni trahir ceux qui leur ouvraient généreusement leurs portes. Il nous appartenait également de renouveler mensuellement leurs cartes de ravitaillement et de textile.

Le gouvernement d’alors avait souhaité favoriser le retour à la terre pour les jeunes Français et avait, à cet effet, créé Les Compagnons de France. Dans ma région il y avait deux camps de Compagnons de France pour lesquels j’avais obtenu une recommandation afin d’entrer en contact avec leurs chefs de camps. C’était à Voiron en Isère et Annecy en Haute-Savoie, ce qui m’avait permis d’y faire admettre, sous leurs fausses identités bien sûr, de grands adolescents. Il faut savoir que certains chefs de camps étaient simultanément de grands résistants, ceci expliquant cela !

9 septembre 1943. Fin de l’occupation italienne, conséquence de l’armistice signé par les Italiens ; toute la France était désormais occupée par les Allemands. Ne nous sentant plus en sécurité à Grenoble, maman et moi avions trouvé refuge à Uriage, distante de 15 kilomètres environ. Mais nos activités clandestines avaient, bien sûr, continué. Je  dois  dire que maman avait, elle aussi, accompagné occasionnellement des groupes d’adultes de Grenoble à Annemasse en vue de leurs passages en Suisse.

Lors des vacances scolaires de l’hiver 43/44, avec mes camarades de la Sixième de Grenoble, nous avions pu organiser un séjour en montagne pour nos enfants cachés dans la région, notamment ceux cachés en collèges qui fermaient pour la période des vacances scolaires. Cela avait pu se faire en altitude, au Sappey à une quinzaine de kilomètres de Grenoble, dans une maison louée à l’année par les E.I.F. pour y faire séjourner des enfants ayant quelques problèmes de santé. Le  souvenir de ces petites vacances est resté gravé à jamais dans les mémoires de tous ceux qui avaient pu y participer.

Parmi mes souvenirs les plus  noirs  de cette époque, est celui d’avoir été  au camp de Rivesaltes, un jour de l’automne 42, afin d’en sortir avec deux enfants dont les parents étaient déjà localisés à l’Ilôt K, c’est-à-dire en instance de déportation. Je répondais à une demande d’Andrée Salomon, responsable de l’équipe d’assistantes volontaires de l’O.S.E., qui faisaient là un travail admirable auprès de ces milliers d’hommes, femmes et enfants, entassés dans des baraques insalubres et dont l’avenir évident était la déportation à plus ou moins brève échéance. Andrée Salomon, souriante même dans la difficulté, m’avait expliqué qu’elle me ferait sortir du camp avec ces deux enfants, tondus, comme ils l’étaient tous afin d’éviter l’invasion de poux. J’avais pour mission de me rendre avec ces enfants à Moissac où ils seraient pris en charge, requinqués avant d’être cachés ou, plus vraisemblablement, dirigés vers la Suisse comme tous les enfants parlant mal ou pas du tout le français et ceux refusant toute nourriture non cachère. J’avais eu la précaution de régler le prix de la chambre dès notre arrivée à l’hôtel, car au réveil je trouvais ces deux petits malheureux dans des draps inondés ce qui n’avait rien d’étonnant. Après une  rapide toilette nous avions quitté l’hôtel pour ne pas manquer le train dans lequel, pour notre grande chance, il n’y avait eu aucun contrôle. Après une  journée de repos passée à Moissac, j’étais repartie le lendemain à l’aube avec quelques  adolescents à destination d’Annemasse où l’équipe en place, sous la houlette de Georges Loinger, avait pour mission de les faire passer en Suisse.

Au printemps 1944, maman, dont toute la famille maternelle habitait Genève, était de plus en plus inquiète, pour moi surtout ; elle m’avait suppliée de passer avec elle, clandestinement bien sûr, en Suisse. Je n’avais pu m’y soustraire. Notre famille suisse ayant pu garantir qu’elle nous prenait financièrement à sa charge et que nous ne serions donc pas dépendantes de la Confédération Suisse, nous n’avons passé, après maints contrôles à ce sujet, que deux jours en prison avant de rejoindre notre famille.

Peu de jours après notre arrivée je m’étais mise en rapport avec le service d’accueil des réfugiés qui avait répondu favorablement à ma demande. Cet accord avait soulagé ma conscience, car en quittant mes fonctions à la Sixième j’avais eu de grands regrets et même des remords, sachant pourtant que mes enfants cachés seraient bien repris en charge par mes amies  Moussia Rubel et Rosette Donoff.

Début septembre 1944, dès la libération d’Annemasse et de la Haute-Savoie, avec mon vélo et quelques amis, nous étions revenus en France. Pour ma part j’avais fait la tournée de mes enfants cachés afin de les aider à retrouver, ou pas hélas, ceux de leurs familles qui auraient échappé au massacre. Il faut bien reconnaître que la Libération n’avait pas été un moment de joie pour la plupart d’entre eux qui avaient vécu des mois, voire des années, dans l’espoir de retrouver leurs parents, alors que la plupart d’entre eux avaient dû réaliser qu’ils étaient désormais orphelins de l’un et majoritairement de leurs deux parents, voire de  leurs fratries.

Un grand nombre de ces jeunes orphelins avaient été accueillis dans l’une des maisons d’enfants créées alors par diverses organisations et Mouvements de jeunesse juifs : OSE, OPEJ, EIF, Entr’aide temporaire notamment. Certains avaient été accueillis par des membres de leurs familles résidant aux USA, ou en Australie, tandis qu’un grand nombre d’entre aux avaient émigré en Israël qui les avait bien accueillis.

En ce qui me concerne et à ma grande satisfaction, j’ai conservé jusqu’à ce jour avec quelques-uns de mes enfants cachés d’alors, où qu’ils se trouvent, des liens étroits et affectueux. J’ai eu l’occasion de les revoir à plusieurs reprises et même d’en héberger certains pour des périodes plus ou moins longues. Et encore, d’avoir eu la grande satisfaction d’organiser chez moi, il y a bien des années déjà, le mariage religieux de l’un d’entre eux, celui que j’appelle encore mon « Petit Léon » par un ancien grand résistant, le rabbin Paul Roitman. Et lorsque j’ai eu moi-même des enfants, des liens d’amitié se sont tissés entre eux et plusieurs parmi ceux qui avaient été mes  enfants cachés, ce qui est pour moi, aujourd’hui encore, source de grande satisfaction.

Puis je « monte » – comme l’on dit – à Paris, j’y passe mes bacs en sessions spéciales. Je fais une rapide et très efficace formation au secrétariat qui me sera très utile par la suite. Je me marie fin décembre 44 et aurai le grand bonheur de donner la vie à trois garçons.

Je reste depuis lors toujours en contact étroit avec les E.I.F.. C’est dans ce cadre que je me lie avec de nouveaux et nouvelles amies et c’est avec certaines d’entre elles, qu’au début des années 60, je m’investis très activement dans la vie associative. Nous créons en 1965 une association de bénévoles, la Coopération Féminine, dont l’objectif est d’agir au profit de nos coreligionnaires en difficultés diverses et de tout âge, rescapés de la Shoah notamment, et, dès 1962 en faveur de l’arrivée massive des Juifs d’Afrique du Nord.

Je finirai bientôt par m’investir totalement dans la vie associative qui me passionne. L’attention portée tant aux personnes âgées isolées, à l’enfance et l’adolescence en difficultés scolaires, ainsi qu’aux jeunes retraités afin de leur procurer activités et formations  diverses : aux langues, au bridge, au scrabble etc. et encore, des visites aux détenus, et puis la création d’une association de familles de handicapés, toutes activités exercées par les bénévoles après une formation  adaptée.

Mais le plus beau joyau créé par la Coopération Féminine demeure, pour moi, un Centre d’Aide par le Travail, un CAT, appelé désormais ESAT,  Établissement et Service d’Aide par le Travail, Les Ateliers de la Coopération, qui accueille, à ce jour 67 travailleurs handicapés mentaux légers.

En 2003, ayant accompli trois mandats de cinq ans en qualité de présidente de la Coopération féminine, je la quitte sans vraiment la quitter car je reste liée par le biais de l’association des Amis du C.A.T., dont l’objectif est de fournir, aux Ateliers de la Coopération et à ses travailleurs, ce qui ne peut être pris en charge par les Pouvoirs Publics : attribution de bourses de vacances à certains, organisation de fêtes diverses, aide financière à certains travailleurs en voie d’autonomisation, financement d’activités artistiques, culturelles et de plein air, des primes d’encouragement à quelques-uns, et, au besoin, des travaux de remise en état de  leurs lieux de travail.

Dans le cadre de l’association des Anciens de la Résistance Juive en France (ARJF) j’ai fréquemment l’opportunité de témoigner, soit au Mémorial de la Shoah, soit dans des établissements scolaires, sur la Deuxième Guerre Mondiale et la Shoah, et notamment sur les réseaux de Résistance et plus particulièrement sur le sauvetage. Les échanges avec les élèves et leurs enseignants sont souvent et réciproquement très utiles et intéressants, enrichissants pour eux comme pour moi.

Durant l’été 1991 a eu lieu, à New-York, le premier rassemblement mondial des enfants cachés en Europe. Une amie, Ruth Croitoru, ancienne enfant cachée en Belgique demeurant à Paris, y avait rencontré Alex, un de mes enfants cachés vivant alors aux États-Unis, avec lequel j’avais conservé des liens amicaux très réguliers. Alex lui avait conseillé de me contacter à son retour à Paris, car Ruth avait pris conscience de la nécessité de créer en France, comme cela l’était déjà en Belgique, en Pologne, et dans plusieurs états des États-Unis, une telle association. À son retour, Ruth avait invité chez elle quelques anciens résistants et enfants cachés afin de nous faire part de ce qu’elle avait vu, entendu et vécu au congrès de New-York. Au terme de cette rencontre notre décision était prise, une association d’enfants cachés serait créée dans les meilleurs délais. Cette décision fut réalisée et une première  rencontre avait eu lieu dans les locaux des Éclaireurs Israélites de France 27, avenue de Ségur, tandis que nos statuts avaient été déposés en Préfecture en 1991. Des groupes de paroles, animés bénévolement par des amis qualifiés, avaient rapidement été créés, ainsi que  des rencontres à thèmes et plus tard même, un voyage  en Pologne ainsi qu’un film réalisé par Thomas Gilou.

C’est avec beaucoup de regrets que, faute de relève, nous avons dû mettre fin aux activités de cette belle association  à l’été 2006, tandis que nos archives avaient été déposées au Mémorial de la Shoah où il est possible de les consulter, notamment les cassettes-audio des témoignages d’anciens enfants cachés, dont la numérisation avait été prise en charge par la Fondation de la Mémoire de la Shoah.