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2016 : Un témoignage d’actualité

 

Colette Charlet  pose quelques questions sur le rôle de notre scoutisme dans le monde d’aujourd’hui.

 

 

Quand les pratiques du scoutisme irriguent les institutions éducatives, sociales, politiques et humanitaires.

 

 

Participant à de nombreuses rencontres internationales concernant le droit des enfants depuis des années, j’ai pu me rendre compte que les pratiques développées au sein de mouvements de scoutisme tel que celui des EEDF, ont depuis longtemps transformé les individus et laissé leur empreinte dans le champ politique et social. L’Histoire l’atteste.

 

Les quelques exemples de projets dont je vais vous faire part ne sont pas nés par hasard et conduisent à se poser des questions de fond en permanence comme : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » (Pour paraphraser le poète). En quoi la coopération internationale constitue la seule fondation conséquente de la culture de paix ? Et il y en a bien d’autres…

 

En ces temps si troublés, jetant sur les routes ou à la mer des milliers de gens fuyant souvent la barbarie des guerres, on ne peut rester insensible. Et on se prend à penser à notre histoire, de ceux et celles qui se sont engagés, qui ont fait naître du vivre ensemble et contribué à faire de nos jeunes, des aventuriers, des citoyen(ne)s conscient(e)s et à l’écoute du monde. C’est ce que firent certains et certaines engagé(e)s dans la Résistance de notre pays.

 

Grâce aux EEDF, les nombreux voyages en différents pays m’ont ouvert des portes et permis de penser par moi-même, d’établir la vérité autour de certains évènements, d’établir des liens entre le scoutisme et l’Éducation Nouvelle naissante (puisqu’elle date de 1921). Le premier choc fut celui qui nous mena en Pologne, pays natal de toute ma famille maternelle, en 1966 avec notre clan. Je n’ai eu alors de cesse de chercher des réponses aux questions auxquelles on ne m’avait pas répondu…  « C’était le passé, il fallait oublier, être comme tout le monde, penser à l’avenir. » Mais, je ne pouvais me satisfaire de ce flou. Et  les premières choses que j’ai faites furent de me documenter, pour comprendre pourquoi notre mère avait des pratiques éducatives à l’écoute de ses enfants, non violentes, pourquoi m’avait-elle conduit vers les EEDF, quelles étaient les personnes qui l’avaient influencée et laissé un nom dans l’Histoire ?

 

Longue quête qui n’est jamais terminée, remontant donc aux origines de la Ligue Internationale de l’Éducation Nouvelle (LIEN) tant en Europe de l’Ouest que dans l’Europe de l’Est. Je me mise alors à chercher dans des centres d’archives concernant la Pologne : au Korczakianum (centre rassemblant celles de Korczak),  à questionner les ZHP, parcourir des publications conservées au Bureau International de l’Éducation à Genève. Et c’est là que j’ai découvert le rôle joué par la Polonaise Helena Radlinska, contemporaine et de même culture que Korczak. « C’est dans la confrontation entre la théorie et des faits singuliers et imprévus que surgissent les idées nouvelles. » (H.R) Dans les vastes chantiers  de pédagogie sociale qu’elle lançait entre les deux guerres et qu’elle défendait au sein de la Ligue (LIEN) dont elle faisait partie, il lui paraissait essentiel de lier éducation populaire, pédagogie, social, culture, santé, droits aux loisirs ; les camps de vacances en font partie… On ne peut souligner le parallèle avec son compatriote Janusz Korczak, l’objectif était « d’éveiller et libérer les forces sociales endormies ».

 

Se confronter aux archives pour comprendre les interférences entre les EDF et l’Éducation Nouvelle entre les deux guerres.

 

Il y a quelques mois, une famille d’anciens membres des EEDF du groupe de Suresnes, puis de Puteaux et dont j’avais été la responsable louveteaux, ayant habité mon quartier à Suresnes, ayant à déménager l’appartement de leur mère, retrouvèrent miraculeusement des archives photos datant du Front Populaire, retraçant l’histoire de notre quartier ainsi qu’un dossier pédagogique portant mon nom, de l’expérience de l’école de Plein Air de Suresnes où je fus élève, de discours d’Henri Sellier alors Maire de Suresnes et par ailleurs Ministre de la Santé, en charge du Logement au moment du Front Populaire. (Il a développé toute une politique de construction de « cités-jardins » et de dispensaires autour de Paris.) Quelle surprise et quel magnifique cadeau me fut fait ! Me revint alors en mémoire un ouvrage de 2003, des éditions Recherches : « L’école de Plein Air, une expérience pédagogique et architecturale dans l’Europe du XXe siècle ». Deux articles ont retenu mon attention concernant le rôle des EDF. Celui d’Antoine Savoye : « Écoles de Plein Air et éducation nouvelle en France (1920-1950 de la page 280 à 288) et celui de Nicolas Palluau (page 289 à 295) ; on découvre que les EDF de l’époque ont joué un rôle important dans « la formation dans laquelle on plaçait les adultes et dans laquelle on placerait les enfants, de manière à les faire agir constamment ». Ces stages étaient le fruit de la collaboration entre ces écoles de Plein Air et les EDF. Ce ne fut pas sans conséquences sur les pratiques de ces enseignants.

 

J’ai pu bénéficier des apports de cette formation alors que j’étais élève. Ces écoles de Plein Air, qui ont connu leur plein développement pendant le Front Populaire et « où les interférences avec l’éducation nouvelle sont favorisées ». (Antoine  Savoye). Les ministères de Jean Zay et Henri Sellier, les Éclaireurs de France, les secrétariats d’état sont associés pour construire les réformes.

 

Les idées développées inspireront plus tard celles des travaux de la Commission de Réforme de l’Enseignement d’où sortira le Plan Langevin-Wallon en 1947. Nous, en tant qu’élèves, nous nous sommes sentis portés et cela ouvrit des perspectives. Le rapport à l’école s’en trouvait modifié, l’éducation populaire des mouvements de jeunesse insufflant du dynamisme. C’est dans ce cadre que se fit mon passage chez les EEDF, pour vivre de nouvelles aventures, prendre le large… C’est dans les voyages en dehors de nos frontières où je découvris avec les EEDF d’autres façons de vivre le scoutisme. Il ne s’agit pas de comparer mais bien de comprendre ce que l’histoire du scoutisme a apporté dans certains pays – donc nous a enrichi  dans notre manière de construire notre rapport au monde.

 

Je prendrai l’exemple de la Pologne, y ayant fait de nombreux séjours depuis 1966. À chaque voyage vers ce pays, pour le compte de l’Association Korczak, je ne manque jamais de rencontrer mes ami(e)s des ZHP. Si je cite le nom de Korczak c’est aussi qu’il a été fortement inspiré par les pratiques de Baden Powell en organisant des camps de vacances pour les orphelins de son établissement. Il m’est arrivé de participer à ces camps d’été organisés conjointement avec l’Association Korczak et les membres des ZHP qui sont à la manœuvre. On les appelle des « Korczakowo ». Ce sont des camps internationaux et la solidarité n’est pas un vain mot. Ce qui me frappe aussi c’est que les pratiques mises en œuvre favorisent le développement de la démocratie (parlement, conseils…), de la créativité, donc de l’imaginaire, que se construit un rapport à la nature avec des débats sur les questions d’environnement [On peut faire un parallèle avec Bécours.] Je ne peux oublier ces veillées aux mille couleurs de la musique, de la danse et du théâtre sur l’eau… Quand ces jeunes vivent de tels moments, il n’est pas étonnant qu’on les trouve plus tard impliqués dans la vie sociale. Ils transmettent à leur tour des valeurs humanistes.

 

Ce « Korczakowo » polonais, a inspiré d’autres pays avec l’appui de l’Association Internationale Korczak. Ainsi depuis les années 2000, l’association Russe et Néerlandaise ont établi des contacts afin de construire des partenariats où des enfants en situation de précarité peuvent bénéficier de camps d’été, soit en Russie, soit aux Pays-Bas, en particulier avec les réfugiés. Theo Cappon, responsable néerlandais,  fut dès le début le maître d’œuvre car il fallait réunir les fonds pour que cela soit possible. Du côté russe, des professeurs d’université ont sensibilisé et mobilisé des étudiant(e)s pour animer ces séjours. Après des années de fonctionnement de ces camps appelés aussi « Nasz Dom », notre maison en français, que constate t-on ?

 

Les jeunes passés par ces camps ont une capacité à organiser des évènements culturels et sociaux. J’ai reçu comme un choc en participant du 12 au 16 Octobre 2016 au stage / conférences internationales près d’Utrecht (Pays-Bas), en pleine forêt. C’était entièrement autogéré et aux manettes de l’animation s’activaient ces jeunes issu(e)s de ces camps Nasz Dom. Bob Dylan venait d’être honoré par le prix Nobel ; alors nos soirées furent animées à la guitare et autres instruments de musique pour lui rendre hommage. Cela me rappelait ce que j’avais vécu avec Chant Nouveau et j’en fus émue.

 

Mais, il y a mieux encore : ces rencontres internationales, où 15 pays étaient représentés, étaient placés sous le signe de la culture de paix et de la solidarité, avec comme préoccupation : « La confiance en l’enfant fondement de sa sécurité ». Là aussi les jeunes animèrent de nombreux ateliers, échanges. Comme le disait le responsable Theo Cappon : « On n’est pas là pour entendre du discours, mais agir et transformer des situations insupportables et portant atteinte aux Droits de l’Homme. » Je mesure la chance d’avoir pu suivre ces ateliers concernant les réfugiés. Cela donne de l’espoir et ouvre des perspectives face aux fatalités de toutes sortes. L’écoute, l’implication, les pratiques de création avec le concours d’artistes de toutes les disciplines ; on était loin des discours politiciens et xénophobes. Cela résonna en moi, qui fus fille d’émigrée.

 

Les Pays-Bas, la France… et bien d’autres pays à affronter des défis de société. Et nous EEDF, même si je ne suis plus membre active au sein du Mouvement ; je m’interroge ? Quel rôle avons-nous à jouer en tant que mouvement d’éducation populaire ?

 

Là, où je réside, dans un coin bien tranquille bordé par un lac, mais où il y eut récemment des manifestations xénophobes à l’égard des migrants… Comment se fait-il que ce soient les Scouts et Guides de France qui me sollicitent pour les accompagner auprès des enfants Roms qui errent de de camp de fortune en camp de fortune à cause des expulsions ? Comment permettre à la jeunesse de se construire un avenir respectant les droits élémentaires ? Il y a urgence à s’en préoccuper.

 

Colette Charlet