Rechercher

1943 : Encore un témoignage…

Simplement une famille, liée aux E.D.F. et à la F.F.E.

Racontée par « Memoresist » : http://www.memoresist.org/spip.php?page=oublionspas_detail&id=612

Le père : André LAUTMANN, « ancien interne P. des hôpitaux de Paris », médecin pédiatre rue Eugène Manuel, Paris 16°. Né en 1891, il est mobilisé le 9 août 1914. Médecin auxiliaire au 92ème régiment d’infanterie, il reçoit la Croix de guerre dans les tous premiers jours de la bataille de Verdun. En juillet 1918, il est Aide-Major au 53ème bataillon de Tirailleurs Sénégalais, lorsqu’il reçoit la Légion d’Honneur sur son lit d’hôpital après une grave blessure reçue le 18 juillet 1918 dans les premières heures de la 2ème bataille de la Marne.

Son père, Adolphe, né à Braila (Roumanie), s’est installé en 1883 à Paris où il épouse, en 1889, Suzanne Cahen, issue d’une famille de commerçants lorrains établie à Forbach, bien avant la révolution et très intégrée : en 1857, un membre de la famille, Daniel Cahen, est entré à l’École Polytechnique. Si Adolphe pratiquait encore – en particulier il mangeait casher -, ce n’était pas le cas de Suzanne. Deux frères d’Adolphe, Hermann et Sami, s’engagent dés 1914 dans l’armée française.

La mère : Juliette LANG, née en 1900. La famille Lang est originaire d’Oberhagental en Alsace, peut-être depuis l’arrivée des premiers Juifs vers 1650. Elle compte plusieurs grognards dans les rangs de la Grande Armée. Très implantée en région parisienne, la famille vit d’une manière très bourgeoise, côtoyant des personnalités aussi bien juives que non juives, aussi bien dans le milieu artistique que dans le milieu industriel.

La famille Lang, sauf exception, c’est  » laÏcisée  » : les deux frères de Juliette ont épousé des catholiques ; seule Juliette s’est mariée, à la synagogue, avec un israélite. (…) . Les enfants : François, né en 1923 ; Marie Claire, née en 1925 ; Jean-Pierre, né en 1928 ; Catherine, née en 1931 ; Marie-Françoise, née en 1935.

En 1939, André est mobilisé comme médecin. Juliette, qui a gardé le souvenir de la  » Grosse Bertha  » et des exactions de la Grande Guerre, se réfugie, avec ses enfants, à Châteauroux puis à Saint Jean du Gard où elle entend le discours de Pétain annonçant l’armistice.

Pendant ce temps, André a été nommé médecin chef à l’hôpital militaire de Toulouse où le trouve la démobilisation en décembre 1940. Les enfants vont au Lycée et au Conservatoire. Habitent aussi Toulouse, le cousin germain d’André, Albert Lautman, et sa famille. Il est professeur d’université, elle, professeur de philosophie au lycée. Albert est spécialiste de la philosophie des sciences ; il est pupille de la Nation : son père, Samuel (Sami) Lautman, médecin, était pratiquement aveugle à la suite d’une blessure reçu sur un champs de bataille d’Alsace en 1916.

André s’installe comme médecin. En mai 1941, il est obligé de demander aux autorités l’autorisation d’exercer. En plus de sa clientèle toulousaine, il soigne beaucoup de Juifs réfugiés, en particulier en liaison avec l’O.S.E. (organisation de secours aux enfants). Bien que non pratiquante, la famille accueille des réfugiés allemands désireux de fêter la Pâque juive.

François, Routier E.D.F., a passé le baccalauréat en divers lieux pendant la débâcle et continue ses études en classe préparatoire au lycée à Toulouse ; il décide de suivre son cousin germain Gilbert Kahn et de passer en Espagne. Ils y seront emprisonnés plusieurs mois, dans des conditions difficiles, puis François pourra rejoindre l’Algérie pendant que Gilbert partira vers l’Angleterre.

Marie Claire, membre de la Fédération Française des Éclaireuses section israélite, après un séjour au centre de Lautrec, rejoint le maquis de Vabre, dans le Tarn. Elle y jouera le rôle d’assistante sociale, sous la responsabilité de Dunoyer de Segonzac. Elle sera en charge, sous le nom de  » Cri Cri  » du contact entre les maquisards et leurs familles (voir document ci-après, retrouvé au musée du maquis de Vabre). Jean Pierre l’a rejointe et, tout en étant interne à Castres, aide le maquis en transportant documents et messages dans le guidon de sa bicyclette.

Fin 1943, André trouve, après plusieurs essais, une filière pour passer en Afrique du Nord. Il sera, comme François, obligé de rester en Espagne pendant quelque temps, avant de rejoindre également l’armée en Algérie où il devient médecin chef à l’hôpital de Blida puis quelques temps à l’hôpital Maillot d’Alger.

En France, les cartes d’identité sont tamponnées de l’inscription  » Juif « . L’inquiétude est permanente : la famille ne se promène jamais groupée, elle utilise des trottoirs différents pour une meilleure surveillance mutuelle. Juliette décide d’envoyer les deux plus jeunes enfants dans une famille d’accueil protestante à Soudorgues près de Lassalle dans le Gard. Les enfants vont à l’école primaire. Bref retour à Toulouse, mais la situation est critique et, à la rentrée suivante, retour à Soudorgues ; Juliette et sa mère sont du voyage après le départ d’André.

Catherine va au lycée à Nîmes et ne rentre que pour le week end. Le lundi matin, elle fait le trajet Soudorgues – Lassalle – Nîmes : lors d’un de ces trajets, à l’arrivée à Nîmes, l’autocar passe sous les jeunes pendus accrochés au pont du chemin de fer et dont les pieds parcourent le toit du car.

Juliette obtient, par l’intermédiaire du pasteur de Lassalle, des faux papiers au nom de Lauturand au lieu de Lautmann, faisant plus  » français « . Le nom de sa mère, dont elle a la charge, devient Long au lieu de Lang. La région de Lassalle devenant difficile à cause de la présence des maquis, la famille part pour Castres où elle sera accueillie et hébergée par Hélène Rulland (dont le  » totem  » chez les éclaireuses est Chameau, d’où Cham) qui recevra, après la guerre, la médaille des Justes. Marie Claire choisit, comme un cousin, le nom de Legendre.

Pendant cette période, Juliette et ses enfants participent à diverses actions de résistance : accueil de maquisards, fabrication de faux papiers avec diverses techniques, contact avec l’établissement de Sorèze qui cache des juifs polonais pris en charge par la filière de  » la Sixième  » issue des Éclaireurs Israélites devenus clandestins. Les filles, qui ne sont pas contrôlées par les Allemands en raison de leur âge, transportent de l’argent pour le compte du maquis de Vabre. Pour les faux papiers, un maquisard fabrique de faux tampons avec du linoléum et même avec des pommes de terre. Les tampons sont cachés dans les tuiles romaines creuses du toit de la maison. On monte au grenier par un petit escalier ; pendant que Juliette va les chercher, les filles font semblant de jouer en bas de l’escalier. Un jour, il y eut un coup de vent terrible, tous les tampons sont tombés dans le jardin ainsi que plusieurs fausses cartes d’identité. Mère et filles se sont mises à quatre pattes pour les récupérer mais elles n’en connaissaient pas le nombre exact…

Le cousin d’André, Albert Lautman, est chef du 3ème Bureau du Secteur I (Grenade) et participe à l’organisation des évasions pour l’Espagne, d’aviateurs alliés et de Français. Ses activités de Résistance dénoncées, il est arrêté, le 15 mai 1944, dans un bar de Toulouse, où il avait un rendez vous ; il est transféré à Bordeaux. Il sera fusillé dans les premiers jours d’août 1944 au camp de Souge. Une rue de Toulouse, dans le quartier de l’Université, porte son nom. Son frère Jules, également résistant, sera arrêté puis déporté. Il reviendra vivant des camps mais, impatient de reprendre ses activités de diplomate à Copenhague, il meurt en février 1946 emporté par une infection généralisée.

Après le débarquement en Provence, la famille retrouve à Marseille François, en uniforme de sous-lieutenant après formation à Cherchell. Les retrouvailles sont de courte durée. François part avec son régiment en Alsace puis en Allemagne où il retrouve son père André. Tout le monde en 1945, regagne Paris. Les retrouvailles sont marquées de tristesse par la longue liste des membres de la famille qui sont morts des suites de faits de résistance ou de déportation.

Peut-on croire que ces parents auraient mis ou maintenus leurs enfants dans un Mouvement qui aurait marqué son « adhésion » au régime de l’État Français et en aurait été parmi « les premiers serviteurs » ?

Fiches de suivi par Marie-Claire des aides attribuées aux familles  des maquisards de Vabre :