… sur le « blog » de Charles Conte, de la Ligue de l’Enseignement
Les Éclés et la laïcité, Un engagement séculaire
- 30 nov. 2020
- Par Charles Conte
- Édition : Laïcité
Au sein du mouvement scout, le scoutisme laïque est incarné par les Éclaireuses Éclaireurs de France, familièrement appelés Éclés. Voici une présentation de leur engagement laïque :
Fondée en 1911 et basée sur le volontariat, l’association des Éclaireuses Éclaireurs de France, les fameuses et fameux Éclés, compte aujourd’hui plus de 30 000 membres dans plus de 200 implantations locales présentes partout en France. Le scoutisme, en particulier le scoutisme laïque, est parfois méconnu. Il a une grande histoire relatée par un excellent site, celui de l’Association pour l’histoire du scoutisme laïque. Son apport à l’éducation populaire est d’envergure. Ce mouvement se caractérise par son ferme engagement laïque, associant la recherche de repères à un aspect pédagogique. Son originalité tient à la fois à ses origines et à sa nature. Les travaux des Éclés sur la laïcité ouvrent de nombreux débats : la laïcité est-elle un principe et/ou une valeur ? Pouvons-nous parler d’une spiritualité laïque ? Commençons par les lire avec toute l’attention qu’ils méritent…
Voici comment les Éclés présentent leurs travaux :
Source: https://histoire-du-scoutisme-laique.fr/
En 2021, le Scoutisme laïque va fêter un double anniversaire.
SCOUTISME ET 1905
Une éducation avec devise : « Liberté – Citoyenneté – Responsabilité »
À l’approche du 115e anniversaire de la « Loi de 1905 », le Scoutisme laïque des Éclaireuses Éclaireurs de France (EEDF), est un espace éducatif encore mystérieux pour beaucoup. Il convient de le considérer comme un lieu d’éveil des jeunes consciences à la liberté, à la citoyenneté et à la prise progressive de responsabilités dans la Cité. C’est pour ces raisons qu’il suscite aujourd’hui plus encore qu’hier de l’intérêt pour sa capacité à innover au service de la société.
1905 et Scoutisme laïque se font ainsi écho depuis plus d’un siècle. Et en un siècle, le second a apporté sa pierre à maintes reprises à la mise en œuvre du principe de laïcité par sa pratique éducative de l’éveil à la citoyenneté : méthodes d’éducation active (1937), conseils municipaux de jeunes (1944), concours national de la résistance et de la déportation (1961), observatoire de la laïcité et des discriminations (2010), chaque étape révélant un apport en réponse aux besoins éducatifs en matière d’éveil de l’enfance et de la jeunesse à l’idéal laïque et de préservation et de valorisation de celui-ci.
DEUX ANNIVERSAIRES…
Et le rapprochement entre les fondements de la loi de 1905 et ceux d’un scoutisme humaniste aconfessionnel mérite d’être souligné, tant nombre d’acteurs du scoutisme laïque de l’époque portent avec eux l’intention du législateur.
- 110 ans pour son origine masculine. En effet c’est en 1911 que les « Éclaireurs de France » sont fondés par Nicolas Benoît entouré de quelques personnalités marquantes et les « Éclaireurs Français » créés concurremment par Pierre de Coubertin.
- 100 ans pour son origine féminine. Car si un embryon de « Guidisme non confessionnel » – à l’époque, il est désigné sous le vocable de « neutre » – apparaît dès 1912, c’est en 1921 que va être fondée la Fédération Française des Éclaireuses, lesquelles sont sans doute encore plus qualifiables de « spiritualistes » que les Éclaireurs en raison du développement sous un même « toit » de composantes « neutre » (1921), « protestante » (1921) et « israélite » (1928).
Le Scoutisme repose sur trois principes, cinq buts et une méthode, la « méthode scoute ». Revenons un instant sur l’intention de départ de Robert Baden-Powell et le cadre fixé par lui pour une éducation par l’action visant à constituer une « école de civisme par la vie dans les bois » : une vision britannique tirée de son observation des enjeux d’intégration de la jeunesse dans la société de l’époque au Royaume Uni – enfance et jeunesse délaissées dans un pays marqué par une industrialisation accélérée, enfance et jeunesse aisées prises en charge de manière cloisonnée dans des établissements scolaires socialement sélectifs et aspiration à conforter le lien social dans une société britannique confrontée comme d’autres en Europe continentale à de forts déséquilibres.
LA PROMESSE ALTERNATIVE…
Baden-Powell considère que la « formation du caractère » fixe trois ambitions à la « Promesse » considérée comme un outil de facilitation de l’émergence d’une personnalité apte à tracer son chemin de vie : être en symbiose avec son Dieu et sa Patrie, aider son prochain, observer une loi. Pourtant, à partir des années 1910-1911, dans plusieurs autres pays européens comme en France, la prise de distance avec une transcendance divine se manifeste. En France, dès le premier texte du « Serment » rédigé par Nicolas Benoît, la liberté de conscience apparaît :
« Je promets sur mon honneur
– d’agir en toute circonstance comme un homme conscient de ses devoirs, loyal et généreux ;
– d’aimer ma Patrie fidèlement en paix comme en guerre ;
– d’obéir au Code de l’Eclaireur. »
Et Benoît précise : « Le serment des boy-scouts anglais comporte l’engagement de fidélité à Dieu. Il est évident que cet engagement peut figurer dans la formule du serment prêté par les jeunes gens qui adhèrent à une foi religieuse. Les Éclaireurs de France souverainement respectueux de toutes les forces morales n’entendent édicter aucune prohibition. »
La référence à une transcendance reste possible. Elle n’est pas imposée. Ce choix philosophique d’éducation par l’émancipation des esprits, y compris vis-à-vis de la tutelle familiale, va apporter ce que l’on appellera la « promesse alternative ». Elle fera pendant de très nombreuses années (et encore aujourd’hui dans nombre de groupes) l’objet d’une « cérémonie de promesse ». Le Scoutisme non confessionnel qui deviendra explicitement laïque dès le début des années 1930 fait ainsi le choix de l’Universalisme.
QUELQUES REPÈRES HISTORIQUES…
Novembre 1936 : Lors d’un « Conseil national », les Éclaireurs de France adoptent des résolutions dont la 11e (qui) précise : « Dans les circonstances actuelles, les E.D.F. ont un rôle à jouer : faire des enfants de France des citoyens libres dans un pays libre. Le Conseil national demande à tous les chefs de s’appliquer avec foi dans un esprit d’irrésistible conquête. Les dictatures et régimes autoritaires apparus en Europe au cours des années précédentes ont dissout ou interdit le Scoutisme et en tout premier lieu les mouvements non confessionnels et laïques considérés comme dangereux par leur adogmatisme.
12 décembre 1936 : Dans un contexte européen d’embrigadement de l’enfance et de la jeunesse, Jean Zay, ministre de l’Éducation Nationale, reçoit Baden-Powell dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne et reconnaît l’apport singulier du Scoutisme à l’occasion du 25e anniversaire de son apparition en France. Cette reconnaissance coïncide, à quelques jours près, avec la parution de la première « Circulaire Jean Zay » interdisant le prosélytisme politique. La seconde de mai 1937 en fera de même pour le prosélytisme religieux.
Après-guerre : L’article 1er des statuts des Éclaireuses Éclaireurs de France affirme : « L’association, laïque comme l’École publique, est ouverte à ̀toutes et à tous, sans distinction d’origine ou de croyance. Elle ne relève d’aucun parti ni d’aucune église et s’interdit toute propagande religieuse, philosophique ou politique. Chacun de ses membres est assuré de trouver au sein de l’association, respect et compréhension ». Cet article est inchangé depuis lors malgré l’impact des évolutions sociales et culturelles des cinquante dernières années. Cette affirmation officielle demeure longtemps suffisante pour l’ensemble des cadres du Scoutisme laïque devenu en 1964 les « Éclaireuses Éclaireurs de France ». Ils assument pourtant leur mission de garantir la laïcité au sein de l’association dans un cadre éducatif très différent de celui de l’école. L’identité scoute conduit en effet à développer l’autonomie de l’enfant, la plupart du temps dans la nature, par la vie en petites équipes et sur des périodes allant de la journée au camp de plusieurs semaines. Garantir le respect et la compréhension de chacun impose alors de tenir compte de la sensibilité de chaque époque à l’égard de la pratique cultuelle éventuelle de l’enfant tout en protégeant l’égalité de traitement de celui-ci et le respect mutuel.
Un bouleversement important apparaît dans les années 1970 avec la mise à l’écart de la spiritualité, qu’elle soit religieuse ou pas.
LA LAÏCITÉ… UNE VALEUR SCOUTE !
Et au milieu des années 2000 va apparaître la prise de conscience d’un besoin d’observation et de régulation des pédagogies scoutes au nom même de l’exigence de laïcité.
Quelques années plus tôt, vers 1995, l’engagement personnel, le « Je » de la promesse traditionnelle fait place au « Nous » d’une « Règle d’or » qui comporte cinq valeurs à partager dont celle de Laïcité.
De « principe », la laïcité devient une « valeur ».
C’est en 2007 que les EEDF sont percutés par le contexte social confus vécu par notre pays dans la période qui va de l’« affaire des foulards de Creil » en 1989 jusqu’à l’adoption de la loi du 15 mars 2004 « sur le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Les repères scouts et laïques apparaissent déficients. Cette année-là, dans le cadre d’un camp dans les Hautes-Alpes, des parents sont en visite. Ils s’étonnent de la présence d’une responsable voilée et relèvent les propos qu’elle tient, notamment à l’intention des fillettes de confession musulmane, invitées de façon pressante à avoir une tenue vestimentaire « décente », à refuser certaines activités et à ne pas se tenir à côté des garçons. Le dialogue ne parvient pas à s’établir et après recours auprès du siège national, la situation conflictuelle ne prend fin qu’avec le départ de l’animatrice. Pour autant, le problème demeure, et les EEDF pour qui « la laïcité va de soi » constatent que leur pratique est déstabilisée par les répercussions internes des crises de la société française. Des conceptions radicalement différentes de la laïcité émergent et les prises de positions sont souvent antagonistes.
Pour répondre à cette tension qui s’installe dans la durée, il est créé un « Observatoire de la laïcité et des discriminations » (OLD) qui reçoit pour missions de remettre au cœur du projet éducatif le principe de laïcité, de mettre en place une veille, de constituer une banque d’expériences, d’apporter conseils et soutien, de produire des outils pédagogiques pour les formations et l’animation.
C’est ainsi que, dans le prolongement de l’adoption en 2011, année du Centenaire du Scoutisme laïque en France, par l’Assemblée Générale du texte de référence « L’idéal laïque des EEDF » vont être rédigées des fiches pédagogiques. Elles apparaissent à l’épreuve insuffisantes pour une mise en œuvre, par les responsables, d’activités en lien avec ce thème central. Ainsi vont être mis en chantier au cours des dernières années des « Cahiers » dénommés « Laïcité et citoyenneté », « Laïcité et discrimination », « Laïcité et spiritualité » et « Laïcité et paix » en vue de préparer des activités de l’esprit avec les jeunes et de disposer de repères et d’outils concrets pour protéger toute conviction intime chez les croyants comme chez les non-croyants.
Le Scoutisme est un réseau international tout autant qu’un ensemble de mouvements autonomes. Ainsi, des mouvements scouts dont les racines sont philosophiquement libérales trouvent au début des années 2010 une nouvelle légitimité : ils créent un réseau autour des questions de spiritualité en lien avec le pluralisme confessionnel et l’esprit de laïcité. Ce réseau porte le nom de « Spiriteco ». Il fédère aujourd’hui dix mouvements scouts européens.
Fin 2020 : l’assassinat terroriste d’un enseignant à Conflans Sainte Honorine et l’attentat de Nice invitent le Scoutisme laïque à affirmer son éthique de responsabilité. L’Observatoire est remis au centre du projet éducatif.
1905-1911-1921 : Ce triptyque temporel résonne comme un appel au devoir de liberté et à l’humanisme.