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1935.11 : la préparation du 25ème anniversaire

 .. vue à travers une lecture approfondie de la revue «Le Chef, revue mensuelle de scoutisme et d’éducation générale »

 

Née à la fin de 1911, la Fédération des Éclaireurs de France fête son premier quart de siècle en 1936. Cette durée, et cette date, peuvent être considérées comme significatives : ses activités sont sorties de la période de mise en place, des tâtonnements et discussions qui marquent tous les débuts. Une politique et des moyens de formation ont été définis et installés, l’image du scoutisme s’est… normalisée avec la fin de l’opposition de principe marquée par les instances de la religion majoritaire – et deux puissantes associations, émanations de celle-ci, se sont installées. Le scoutisme a, en France, trouvé la structure qui sera la sienne pendant de nombreuses années et qui aboutira, en 1940, à la naissance de la Fédération du Scoutisme Français.

Une lecture approfondie de la collection de la revue «Le Chef, revue mensuelle de scoutisme et d’éducation générale, organe officiel des chefs Éclaireurs de France » pour 1935 et 1936 – transmise par Annie Roux-Déjean – est, de ce point de vue, particulièrement intéressante et mérite qu’on s’y arrête quelque peu. On y trouve, en effet, à côté de l’affirmation, devenue traditionnelle, des valeurs de notre scoutisme, à côté de conseils d’ordre « technique » à tous les responsables d’unités, l’apparition de préoccupations qui, tout en restant fidèles à ces valeurs, traduisent des orientations d’ouverture que nous traiterons plus complètement par la suite : relations avec les autres secteurs de l’éducation et avec les nouveaux Pouvoirs Publics, adaptation du scoutisme aux handicapés, missions et rôles du scoutisme dans les colonies, le scoutisme en Allemagne, les aînés et l’Armée, la propagande, … et même le début d’une réflexion sur « la Route cheftaine » qui aurait pu conduire à des clans de filles si le projet avait été concrétisé.

L’éducation scoute et ses moyens :

Une manifestation, en partie « externe », mérite aussi notre attention, c’est le Conseil national qui, en préalable au 25ème anniversaire, est réuni à Marseille les 1er, 2 et 3 novembre 1935. Le compte-rendu qui en est fait par « Le Chef », au total très sérieux, est ouvert par un remarquable poème de Pierre François, alors Commissaire national adjoint, qui chante… la bouillabaisse. Avant même d’en dérouler la recette, quelques vers nous appellent :

«  Ton moral est-il en baisse,

Ô fédéral ami ?

Laisse-là l’anodin bouilli

Ou le bien mou macaroni,

Honni,

Dont trop d’amorphes se repaissent

Et goûte à l’inestimablement aimable bouillabaisse. »

Il n’est pas indiqué si ce poème se chantait, mais il a de l’accent !

Dans son allocution d’ouverture, le président Bertier aborde clairement la question : « J’ai un sujet difficile aujourd’hui : « l’éducation scoute » ou, si vous voulez, « le scoutisme en face des problèmes que nous pose le temps présent ».

« Bien que cette période ne soit pas parmi les plus noires de notre pays », le président inventorie quelques-unes des préoccupations d’actualité : la décroissance de la natalité, la « qualité de la race » (mesurée par le pourcentage de « bons pour le service »), l’inexistence de l’éducation physique, les tâtonnements de l’éducation intellectuelle, l’insuffisance du travail manuel « qui devrait rendre aussi intelligent que les études intellectuelles », l’éducation morale… Il pose ensuite une question : « quels remèdes nous propose-t-on ? » pour conclure au rôle majeur de l’éducation pour la formation des caractères. Dans cet esprit, les premières réunions des « Forces spirituelles de la jeunesse » sont encourageantes ; en dehors de toute espèce d’idée confessionnelle ou de parti. Les E.D.F. s’y trouvent aux côtés d’autres organisations comme la Ligue pour le relèvement de la moralité publique, l’association Pour la vie, les Ligues de Bonté, les Ligues pour la Probité « qui se créent un peu partout », des Équipes sociales, des Patronages, les Cadets, les Compagnons, etc…

 

Attention, la formulation – la forme – ne doit pas prendre le dessus sur le fond : notre scoutisme est, totalement, partie prenante de la formation du « citoyen » qui doit jouer un rôle dans les réponses à apporter aux problèmes que se pose notre société. Et cette allocution se termine par un vibrant appel : « Ainsi notre Fédération, faisant sa tâche de son mieux, groupant autour d’elle des fédérations analogues, cherchant à être un agent de liaison avec les autres associations françaises de jeunes et avec les autres associations internationales – et, nous-mêmes, nous efforçant de pratiquer chacun un Scoutisme rayonnant -, je crois qu’ainsi nous sortirons, dans toute la mesure où nous le pouvons, le monde actuel, le monde français en particulier, du trouble et de l’hésitation permanente, pour lui donner, dans sa vie normale, nationale et internationale, le maximum de clarté et de sécurité ».

Le commissaire Deschamps ayant présenté une introduction sur la « nécessité de la Fédération », Pierre François revient sur ce sujet par un article sur « l’amitié fédérale », « dans l’action et par l’action », pour répondre aux oppositions de personnes ou d’idées. André Basdevant, lui, traite de « l’amitié interfédérale », et Robert Lafitte aborde les relations avec les autres Mouvements de Jeunesse, classés en plusieurs catégories suivant leurs objectifs : éducation des enfants, occupation des loisirs ou occupation des vacances, activités de grand air, groupements de personnes ou d’œuvres. Une allusion est faite à « notre situation vis-à-vis des Mouvements de jeunes ayant des tendances politiques ». À travers ces documents, il apparaît clairement que le Mouvement commence à se poser la question de ce qui allait être, à très court terme, son ouverture et sa participation à la vie de notre société – sans abandonner ses propres valeurs et sa référence au scoutisme. Le problème allait bientôt être abordé plus précisément.

Les « devoirs actuels » :

« Le Chef » d’août – septembre 1936 fait allusion aux événements en cours dans la sphère politique et à l’ambiance qui les accompagne dans un éditorial d’André Lefèvre : « De profondes transformations sociales s’opèrent sous les yeux de nos enfants. (…) Certains adultes impardonnables les poussent à prendre parti contre tels ou tels de leurs petits camarades, qu’on qualifie suivant le milieu de « fils de Croix de Feu » ou de « petits communistes ». Vous-même avez-vous sans doute reçu tour à tour les noms de « révolutionnaire » ou de « fasciste ». (…) La cheftaine d’une meute très populaire nous écrivait récemment : « Nous sommes très mal vus de la population. (…) Au cours d’une journée régionale de louveteaux, un mutilé de guerre a démonté sa jambe de bois et voulait en frapper une cheftaine parce que « c’est honteux d’apprendre aux gosses à faire la guerre, on sait ce que c’est, nous, les anciens combattants, et on en a assez. » (…) »

Le même article met en évidence les aspects positifs des changements en cours : « Mais un fait nouveau va nous créer de nouveaux devoirs. Les Pouvoirs Publics s’intéressent enfin aux problèmes de l’enfance. Ils ont envisagé de favoriser une éducation physique plus rationnelle, d’organiser les heures de loisir, d’augmenter la scolarité. (…) M. Dolléans, chef de cabinet de M. Léo Lagrange, nous a dit avec force, presque avec gratitude, que nos méthodes avaient la pleine approbation du Ministre. Mme Suzanne Lacore, Sous-Secrétaire d’État à l’Enfance, est venue elle-même assister, au camp-école de Cappy, à un exposé du Commissaire national E.U. Jacques Guérin-Desjardins, à une séance d’éducation physique dirigée par le C.N.A. Robert Lafitte, et à une réunion de jeux éducatifs présentés par les principaux instructeurs de Cappy…(…)  Notre éminente visiteuse voulut bien nous dire combien elle avait été heureuse de retrouver chez les cinquante élèves la conviction, la joie et l’enthousiasme sans lesquels elle ne conçoit pas elle-même l’éducation des petits.

Que déduire de ces témoignages ? Que le Scoutisme a une grande mission à remplir … ».

Et la conclusion de cet éditorial est un appel à l’ouverture qui caractérisera très vite le Mouvement : « Le grand privilège des Éclaireurs de France est d’offrir une demeure commune à tous ceux que des distinctions sociales, politiques ou religieuses risquent, dans notre pays, de tenir éloignés les uns des autres. Notre demeure doit être lumineuse, chaude, accueillante… ».