1950 : Premier contact avec le scoutisme d’extension en hôpital psychiatrique

Mer19Oct201108:29

1950 : Premier contact avec le scoutisme d’extension en hôpital psychiatrique

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 Le scoutisme d’extension, présenté par ailleurs, s’est traduit dans plusieurs régions par un certain nombre d’expériences quelquefois originales.

 


Témoignage d’Yvon Bastide :

« Dans cette période, la notion de « Routier de service » est très répandue, et, dès qu’on semble disponible pendant quelques semaines de vacances d’été, il faut s’attendre à être appelé en renfort quelque part… C’est ainsi que je me retrouve, en 1949, requis pour aller « diriger » un camp de louveteaux de Béziers (ce qui est mon tout premier contact avec la branche) et, l’année suivante, envoyé à Saint-Alban sur Limagnole pour aider deux instituteurs à faire du scoutisme avec les garçons de l’institut médico-pédagogique annexe de l’hôpital psychiatrique.

Ces deux enseignants ont suivi un « stage d’information sur le scoutisme d’extension » alors organisé par Érable Lévy-Danon, dont le principe avait retenu l’attention des responsables de l’hôpital, alors en pointe dans le secteur de la psychiatrie « institutionnelle ». Pour ceux que ce sujet intéresse, je reprends ci-après quelques éléments concernant cet établissement et ses animateurs.

Je suis donc parachuté, pendant les congés scolaires de Pâques 1950,  en Haute-Lozère : à Montpellier il fait déjà presque chaud, mais à Saint-Chély d’Apcher (où nous pose un train poussif et où vient nous chercher la 15 CV du directeur), et à Saint-Alban, il y a encore de la neige. Je suis accompagné d’Antoine Sassine, étudiant en première année de médecine (plus exactement, en P.C.B.) qui, à ce titre, devrait en savoir un peu plus que moi sur ces garçons accueillis en hôpital psychiatrique… Le premier contact est sympathique, les instituteurs comme les garçons sont très ouverts à ce que nous allons leur apporter ; nous visitons l’institut, dénommé « le Villaret », situé à un petit kilomètre de l’hôpital. Dans les sous-sols, les cellules où, au siècle précédent, étaient enfermés les moins dociles par les « bonnes sœurs » en charge de l’établissement. Mais les conditions ont changé…

Les garçons sont habitués à des activités collectives non scolaires, ils animent une « coopérative » qui, entre autres activités, élève et vend des lapins. Nous les faisons jouer et chanter (les garçons, pas les lapins), il n’a pas de difficulté particulière. Nous organisons également des vraies sorties, c’est-à-dire des visites, par exemple à Nîmes avec visite à l'aéro-club :

Et une grande décision est prise pour l’été suivant : partir en camp ! Ce n’est pas évident au plan administratif, mais toutes les autorisations préfectorales sont obtenues et, sur la suggestion du Commissaire de Province, lui-même médecin (et futur Professeur de Médecine) nous choisissons le Camp André Portes, à Palavas les Flots, sur la plage…. Aucun de nous n’est diplômé pour un éventuel sauvetage alors qu’il est évident qu’une bonne partie de la journée se passera dans l’eau, heureusement peu profonde. Les garçons sont accompagnés de deux infirmières détachées du Villaret qui feront, comme eux, la découverte de la mer.

Le camp se passe bien ; je suis, pour l’encadrement, aidé de deux responsables EDF de Montpellier, Henri et Marion Aldémar, qui n’en savent pas plus que moi sur les handicapés mentaux. Dont nous découvrons certains aspects : quelques garçons sont très sensibles et, sous l’effet d’une émotion, même mineure – par exemple si on leur touche l’épaule - peuvent déclencher une « absence », c’est-à-dire perdre tout contact avec la réalité pendant un temps qui nous semble long. Nous devons noter la fréquence et la longueur des absences, qui peuvent arriver à n’importe quel moment, sur terre ou dans l’eau… Un autre est sujet à des crises d’épilepsie – que les autres qualifient de « petites » mais qui nous préoccupent ; les garçons ont l’habitude, ils s’installent en rond autour du malade et attendent que ça passe : « tu vas voir, il va pisser, ce sera fini ! ». Anecdote : nous recevons un jour la visite du curé du village. C’est le moment que choisit un des garçons pour faire la chasse à un papillon en utilisant comme filet son slip de bain…

Les activités se sont prolongées quelques années après mon départ de Montpellier, sous la responsabilité d’Antoine Sassine (devenu le célèbre Docteur A. Sassine) et de Théo Robert, l’instituteur du Villaret qui a pris goût à nos activités. Il obtiendra l’achat par le Mouvement d’un lieu de sorties proche du village, le moulin du Franquet, qui est toujours la propriété de la région et est devenu un lieu de camps et de stages.

Les éclés au Franquet en 1951 :


...le docteur Tosquelles et la psychiatrie institutionnelle :

 

Les informations ci-après ont été recueillies sur Wikipedia et divers sites Internet :

 

« En 1940, le psychiatre catalan François Tosquelles est invité puis accueilli à Saint-Alban. Militant au P.O.U.M. (mouvement trotskiste anti-stalinien), il a vécu les trois années de la société égalitaire et communautaire (de 1936 à 1939) qui, en Catalogne, remplaça la république du Front populaire. Participant à la guerre civile, il a fini par fuir devant les armées nationalistes du général Franco. Réfugié Espagnol, il vient de vivre la réclusion réservée aux "étrangers indésirables" dans le camp Français de "Septfonds", près de Montauban... (…)

La situation géographique bien spécifique de Saint-Alban, situé loin des grandes villes et isolé dans la montagne, va favoriser la rencontre de nombreux clandestins fuyant les régimes nazi ou franquiste, des intellectuels, médecins et hommes de lettres dont les poètes Paul Eluard et Tristan Tzara, le philosophe Georges Canguihem, au milieu des patients et du personnel... S'opère ainsi un riche brassage intellectuel qui a pour toile de fond l'humanisation des conditions d'hospitalisation des "aliénés". (…) C'est dans cette ambiance très particulière que va s'instituer le dispositif psychiatrique voulu par Tosquelles.

En 1942, la "Société du Gévaudan" est créée par Paul Balvet, Lucien Bonnafé, André Chaurand et François Tosquelles : ils fondent les bases d'une pratique inédite de la psychiatrie dans laquelle "soins, recherche et formation" sont intégrés par une démarche collective. Ils mettent au point les lignes directrices de ce qui, bien plus tard, s'appellera la "psychothérapie institutionnelle", thérapie collective originale qui se développera sous la double influence du marxisme et de la psychanalyse. Pendant ces années d'occupation, la "Société du Gévaudan" avait une mission beaucoup moins officielle: faire passer vers la France libre des ouvrages ou des passagers clandestins, qui profitaient par exemple des liaisons entre Jacques Lacan à Paris (zone occupée), et Horace Torrubia à Aurillac (zone libre). L'hôpital voit se redéfinir régulièrement et profondément les relations entre les malades, les soignants et le monde extérieur. S'expérimente sur l'ensemble de la commune la pratique d'une psychiatrie égalitaire et communautaire. (…)

Les trains de la S.N.C.F. sont réquisitionnés, les marchandises n'arrivent plus. Alors qu'il manque de chaussures pour les hospitalisés, Paul Balvet surprend un patient, très délirant et que nul n'aurait imaginé capable de cela, se confectionner des sandales avec le raphia de l'atelier occupationnel. Le directeur lui propose d'en fabriquer d'autres paires, mais dorénavant contre rémunération, ce que le patient accepte. Tous deux viennent de lancer les bases de ce qui deviendra progressivement l'ergothérapie, théorisée puis officialisée après la libération : le but n'est plus d'occuper les patients, mais bien de leur proposer un travail rémunérateur répondant à une demande réelle de la collectivité !

En 1947, mise en place d'une association loi 1901 conventionnée avec l'hôpital psychiatrique de St Alban : elle permet de se doter d'un cadre juridique pour intégrer le malade mental au sein des lois françaises. C'est dans cette optique qu'est créé le club "Paul Balvet", offrant aux patients une organisation de type associatif (il deviendra en 1954 le "club des malades"). Le club "Paul Balvet" est le prototype du "club thérapeutique" voulu par François Tosquelles, et qui sera définitivement rendu possible par la circulaire gouvernementale de février 1958. L'objectif immédiat du club thérapeutique est de pouvoir organiser la vie quotidienne d'un service en assumant la responsabilité des achats et des dépenses de chaque atelier : cafétéria, ateliers créatifs ou de production... etc. D'autres hôpitaux psychiatriques suivront, comme ceux d'Aix en Provence, Auch, Aurillac, Bonneval, Lannemezan, Leyme, Toulouse, Vauclaire, Ville-Evrard, Villejuif... etc.

En 1950, la technique psychiatrique de St Alban, qui vise à humaniser l'hôpital et à redonner leur humanité aux malades, se traduit par la création de structures internes, commissions, bureaux, activités d'animation, théâtre, ateliers d'activités...

À partir de juillet 1950 paraît le journal "Trait d'union", porte-parole de l'intérieur dans lequel chacun, infirmier, médecin, membre de l'administration ou hospitalisé, peut écrire ce qu'il veut. Hebdomadaire puis bi-mensuel, rédigé, imprimé, façonné et vendu au sein de l'hôpital (il valait 1,10 francs en 1950), ce journal interne de libre expression paraîtra jusqu'en 1981. Contenant de 4 à 8 pages selon les livraisons, il propose témoignages, revendications individuelles, faits d'actualité... etc. Orienté vers les soins et les échanges institutionnels, c'est un outil thérapeutique dans le sens de St Alban, apte à soigner l'institution autant que les malades ».

C’est dans ce contexte de recherche pour une « humanisation » de l’hospitalisation que se situe la participation des instituteurs du Villaret au stage Extension, et notre apport E.D.F.

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