1980 et la suite : des témoignages de responsables nationaux

Ven19Avr201307:11

1980 et la suite : des témoignages de responsables nationaux

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… qui nous racontent leur parcours… et la vie du Mouvement.

Pour raconter, illustrer et commenter les dernières décennies, la meilleure solution était, bien évidemment, de demander un témoignage à ceux qui ont eu, et ont encore, la charge de l’animation « nationale » du Mouvement. La plupart se sont bien volontiers prêtés aux jeu, soit par un entretien téléphonique, soit par un document écrit. Tous ont été consultés pour validation et, éventuellement, améliorations d’un « premier jet ». Ce nouveau chapitre décrit donc, à la fois, les parcours de militants et leur action pour le Mouvement.

 

(Extraits de l'ouvrage « Cent ans de laïcité dans le scoutisme et l'éducation populaire »)

 

 

Roland DAVAL

 

Militant des E.D.F. depuis sa plus tendre jeunesse, Roland Daval a vécu l’histoire de notre Mouvement dans toutes ses étapes. Membre de l’équipe nationale puis délégué général, il a joué un rôle important dans ses instances de direction. Il est actuellement (*) vice-président du Comité Directeur des E.E.D.F..

 

(*) NDLR : en 2011

Entretien téléphonique complété par écrit

Lorsque Yvon BASTIDE m’a demandé d’apporter une contribution à cet ouvrage porteur de témoignages, à l’occasion du centenaire de notre association, j’ai hésité car je n’ai jamais trop aimé faire des retours en arrière, plutôt passionné par ce qu’il faut construire pour demain. Et puis, en réfléchissant quelque peu, j’ai été conduit à penser qu’une partie de ces 100 ans d’histoire des EEDF avait fortement marqué mon histoire personnelle : presque 50 ans aujourd’hui depuis ma première adhésion en 1962 et 29 années de carrière professionnelle au sein de l’association. Alors j’ai accepté cet entretien téléphonique puis j’ai pris ma plume électronique pour le compléter.

Je suis né en 1947 dans une famille nombreuse ; mon père était contremaître dans une petite usine textile des Hautes-Vosges et, second enfant de la famille, c’est « l’ascenseur social » qui m’a permis de rentrer à l’École Normale d’Instituteurs comme 12 sur 30 des élèves de ma promotion issus du même collège d’enseignement général et ce, afin de pouvoir faire des études gratuites.

C’est à l’É.N. de Mirecourt que j’ai rencontré les Éclaireurs, dans le clan d’un groupe très important : 250 à 300 adhérents, une trentaine de responsables, avec des « activités d’extension » dans un centre médico-pédagogique voisin. La plupart des responsables viennent de l’École Normale dont, dans ma promotion, les 2/3 des élèves militent aux E.D.F. ou aux Francas. Première étape de ce qui allait devenir ma vocation, je me retrouve gestionnaire de la bibliothèque du clan (où chacun doit assurer une responsabilité, c’est la règle de vie !) : charge pas trop lourde puisque cette bibliothèque se réduit à cinq livres quand j’arrive, dix quand je passe la main pour devenir trésorier du clan. Que de belles aventures ! La découverte de la spéléologie, le camping, la vie au plein air et les nuits à la belle étoile… Sans oublier l’implication dans l’équipe des marionnettistes avec de nombreux spectacles que nous présentons dans les écoles du département (École normale oblige !) et, pendant les vacances scolaires et l’été, dans des fêtes organisées par des comités d’entreprise ou dans des colonies de vacances : en 1964, c’est la principale ressource du clan et du groupe, les spectacles nous rapportent 16 000 francs de l’époque ! Certains diront que ce fut sans doute une bonne école pour apprendre à tirer les ficelles : et bien non, dommage ! Pour les connaisseurs ce n’étaient pas des marionnettes à fils mais des marionnettes à gaine.

Progression sur place : membre de l’équipe de groupe, puis responsable du clan, puis adjoint au responsable de groupe, Daniel Creusot, mon grand frère spirituel. Les E.D.F. forment une nouvelle famille, dans laquelle l’É.N. est très impliquée, depuis le directeur jusqu’à l’intendant qui nous nourrit pour les sorties éclés et est le trésorier du groupe. Notre activité apparaît comme tout à fait complémentaire à celle de l’école. Sur le département, l’association est alors très développée grâce à son lien avec l’enseignement.

En 1964, je découvre à Montgeron la dimension nationale du mouvement au Congrès de l’AN II – l’an 2 de la création du nouveau Mouvement des Éclaireuses et Éclaireurs de France. J’accède au niveau départemental en devenant assistant au commissaire départemental pour la « route ». Ma première année d’instituteur se passe dans un établissement des Pupilles de l’École Publique, à proximité de Mirecourt, ce qui me permet de garder le contact avec le groupe. Devenu assistant de branche au niveau régional, je participe à l’organisation de « camps pilotes » et, en 1969, à mon retour du service militaire, Daniel Mougin me propose de lui succéder et de devenir permanent régional Alsace-Lorraine comme « mis à disposition » avec l’accord de René Duphil alors commissaire national en charge de l’administration. Et me voici donc… embarqué pour dix années qui vont s’avérer assez cahotiques pour la vie du Mouvement.

Cette décennie, après mai 68, va être celle du grand « remue méninges ». Je fais partie de ceux qui souhaitent une réflexion sur le fond et une évolution, avec des responsables des régions de Caen, de Paris, du Centre, de Grenoble et la tendance qui va devenir en 1972 « Avignon continue ». Je participe à la Consultation et aux Assises d’Avignon où je suis intéressé, en particulier, par les moyens techniques nouveaux présentés par le CREPAC (une équipe de professionnels licenciés en 1968 par l’ORTF) : j’anime l’équipe chargée de réaliser les reportages vidéo des Assises. Après l’A.G. de1974 à Tours, sollicité par Émile Gagnon, commissaire général, je m’engage dans l’organisation du rassemblement de TOP 76 à Saou dans la Drôme (une aventure où l’on était dans le vent au sens propre comme au sens figuré). Dans cette même période je découvre la dimension internationale de nos activités avec des missions en Pologne, au Mali et en Grande-Bretagne. Dans le même temps la région Alsace-Lorraine où j’exerce mon métier de permanent connaît une forte dégradation de son économie, dans la sidérurgie, les mines ou le textile… Le Mouvement en subit bien évidemment la conséquence avec une diminution des effectifs alors qu’il était bien implanté dans ces zones d’activités de la Moselle et de la Meurthe et Moselle.

En septembre 1979, je suis appelé à l’équipe nationale par Claire Mollet, Paul Plouvier et, bien entendu, François Baize qui allait en devenir le délégué général, occupant pour ma part la fonction de secrétaire général. Aucun rapport avec ma formation d’origine, je dois tout découvrir avec l’aide d’amis, de militants engagés tels que Claude Escalettes et Pierre Lipmann. C’est d’autant plus important que nous sommes dans une période de restructuration financière. Une de mes premières tâches est de renégocier un accord d’entreprise définissant les relations de l’association avec l’ensemble de ses salariés. S’y ajouteront le traitement de quelques dossiers d’investissements difficiles, l’informatisation de l’association…, mais aussi l’acquisition de Bécours : un défi à relever mais une belle promesse d’avenir avec un premier rassemblement réussi de cinq camps successifs de 750 éclés dès l’été 1981. Ce lieu deviendra de plus en plus important car, quelles que soient nos idées ou nos « tendances », nous nous y retrouvons pour agir ensemble, pour reconstruire un village, action à caractère hautement symbolique.

Le redressement financier est notre priorité et oblige à des ventes de patrimoine, au choix d’une banque unique pour l’ensemble des activités de l’association, à une définition des transferts de charges avec les régions – chantiers nouveaux pour moi mais pour lesquels j’ai toujours pu compter sur l’aide précieuse de militants EDDF. Je suis appelé à contribuer à la négociation d’une convention collective, à participer à la création d’un syndicat d’employeurs du secteur associatif (dont je deviendrai d’ailleurs plus tard le président).

Je ne peux pas bien évidemment oublier les grandes manifestations, avec les délégués généraux successifs, François Baize, Bernard Machu, Daniel Auduc, François Daubin… : Bécours 81, le congrès de Mâcon, Navigator et le rassemblement de La Courneuve où nous retrouvons à plus de 6000, TREEC à Montpellier, Mosaïque dans l’Aveyron… Bien sûr, j’en assure la logistique – toujours sans aucun rapport avec ma formation d’origine, j’apprends sur le tas. Ces activités témoignent de la vitalité de notre Mouvement et de sa volonté de se développer et de se montrer ! Le scoutisme apporte certes une continuité éducative, mais il offre également une réelle intensité éducative lors des grandes rencontres de ce genre. Je crois que tous ceux qui ont vécu un de ces temps forts ne peuvent oublier ce moment de leur histoire de vie.

Nouvelle étape avec la Conférence Mondiale de l’O.M.M.S. à Paris en 1990. Devenu délégué général au lendemain de cette conférence, je crée des liens d’amitié avec Jacques Moreillon, secrétaire général de l’O.M.M.S. et notre coopération se prolongera sans problèmes, dans une totale compréhension mutuelle.

Au plan national, nous nous engageons dans un nouveau défi, celui du développement quantitatif et qualitatif de l’association. Les missions des permanents sont alors profondément modifiées afin qu’ils se mobilisent sur la création de groupes nouveaux et un investissement important est réalisé en matière de formation professionnelle. La modification de nos financements par le Ministère de l’Éducation nationale conduit l’association à embaucher des salariés et à voir diminuer le nombre d’enseignants mis à disposition ou détachés. C’est le cas à l’équipe nationale où le « profil » des animateurs nationaux est en train de changer, avec Patrick Volpilhac ou Dominique Girard qui ne sont pas issus de l’enseignement : le problème posé est celui de la contradiction entre une embauche sous contrat à durée indéterminée et le renouvellement d’un poste de délégué général et d’une équipe nationale au rythme des plans d’action du Mouvement (problème que le mouvement n’a pas encore définitivement traité à ce jour).

Dans l’exercice de mes responsabilités nationales j’ai vécu et contribué à trois grands virages que la majeure partie des grandes associations a dû négocier : la gestion économique et financière indispensable pour assurer la pérennité de l’association et lui permettre de disposer des moyens nécessaires à la mise en œuvre de ses projets ; la gestion des salariés au même titre que toute entreprise mais en recherchant l’indispensable équilibre entre bénévoles et salariés dans l’exercice leurs responsabilités respectives et complémentaires ; celui enfin de la communication devant permettre à l’association d’être mieux connue du grand public mais tout autant à chacun des militants de l’association de se reconnaître dans les images et messages véhiculés. Des défis à relever et des expériences passionnantes à vivre.

En dehors – en plus – des EEDF, j’ai également été en tant que bénévole, de 1992 à 1997, président de l’U.C.P.A. qui représente un monde assez différent avec 650 salariés permanents et 3 000 saisonniers, mais aussi trésorier général de la J.P.A.. Ce sont de magnifiques occasions d’exercice de la responsabilité, d’expériences humaines, sociales et professionnelles qui m’ont été offertes par les Éclaireuses et Éclaireurs de France.

En 1998, après dix-huit années à l’équipe nationale dont huit comme délégué général, je passe le flambeau à Dominique Girard. Je m’intéresse au développement international et j’exerce pendant 10 ans des fonctions de direction à l’Association Française des Volontaires du Progrès… Pris par de nouveaux engagements et souhaitant laisser toute la place nécessaire à ceux qui assurent la direction de l’association, je prends du recul sans jamais pour autant quitter l’association dont je reste toujours un des adhérents. Mais les EEDF viendront me rechercher d’abord pour donner un coup de main au contrôle des comptes, puis comme trésorier de la région Île de France. Plus récemment, Jérôme Rigaud qui souhaite se présenter comme président me demande de rejoindre le Comité Directeur en 2008 et j’en deviens vice-président. C’est une période difficile et riche tout à la fois : le changement de délégué général, la préparation des orientations pour les cinq années à venir. C’est une nouvelle aventure vécue avec une autre place et donc un autre regard sur l’association : il est vrai que depuis 1969 je n’avais pas eu l’occasion de m’exprimer avec un bulletin de vote dans l’association !

Mais je garde des activités extérieures, en particulier avec la J.P.A. et le Réseau Éducation Pour Tous Afrique (REPTA) dont j’ai contribué à la création. Aujourd’hui à la retraite, je mets à disposition mon expérience associative en exerçant des missions de consultant auprès de diverses associations en répondant à des demandes des Dispositifs Locaux d’Accompagnement (DLA).

Les EEDF ont contribué largement à faire de moi ce que je suis. J’espère avoir donné autant que j’ai reçu, dans le respect des valeurs qui sont le fondement des EEDF.

En ce qui concerne ces valeurs, je crois qu’elles sont spécifiques à notre Mouvement en combinant laïcité et dimension spirituelle, notre volonté de formation à la démocratie et l’ouverture internationale que permet le scoutisme, le scoutisme lui-même étant un moyen, un excellent outil pédagogique : nous avons su, je crois, collectivement créer un véritable croisement entre scoutisme et valeurs spécifiques ! Cette richesse est d’ailleurs confirmée par l’ensemble des Mouvements pluralistes réunis dans le cadre de la COFASL.

Mais cette richesse, qui repose beaucoup sur l’engagement de nos militants, peut être quelquefois une de ses faiblesses et de ses fragilités : je suis étonné, après examen de mon parcours, de l’importance du temps que j’ai eu à consacrer à régler des conflits de personnes avec en arrière-plan le sentiment que ce temps passé, pourtant nécessaire, aurait pu être consacré au développement de notre mouvement.

L’avenir ? Le Mouvement aura de nouveaux défis à relever, et certainement à se remettre régulièrement en cause pour répondre aux besoins de notre société et de sa jeunesse en constante évolution, sans abandonner pour autant ce qui fait sa richesse et sa singularité : un mouvement de scoutisme laïque. Lors de notre congrès de Mâcon, il y a déjà quelques années, une devise avait guidé nos réflexions : « Notre tradition c’est l’innovation. » Alors tout simplement sachons mettre en musique les partitions que nous savons écrire et sachons toujours inventer de nouvelles partitions pour une musique toujours contemporaine.

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