1919 : Vers un nouveau départ ...

Jeu15Avr201017:40

1919 : Vers un nouveau départ ...

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Après les toutes premières années de mise en place du Mouvement, alors sous forme fédérale - ce qui explique, par exemple, que le groupe d'Auch appartienne aux "Éclaireurs Gascons" et non directement aux Éclaireurs de France -, le Mouvement va se bâtir entre les deux guerres, essentiellement sous l'impulsion d'André Lefèvre - Vieux Castor - venu du Sillon et de la Mouff, puis de Pierre François.

 

 

 

1911-1914

Les trois années qui ont précédé la "grande guerre" n’ont permis qu’un début d’installation, dans un esprit que certains ont jugé un peu trop "militaire". La véritable implantation, avec les accompagnements nécessaires, se situe donc à partir de 1919, avec, en particulier, la création des Scouts de France, l’extension aux filles et aux louveteaux, et la création d’un centre de formation des cadres à Cappy.

Le scoutisme des Éclaireurs de France est "bien vu" des autorités, comme en témoignent quelques pages d'un numéro de la revue "Les annales" publiée peu de temps après la fin de la guerre. Un certain nombre de personnalités y apportent leurs commentaires élogieux et un grand article explique ce qu'est le scoutisme et quelle peut être son utilité pour la formation de la jeunesse à un moment où "il faut refaire le sang, les moelles, les os de la France" comme l'indique Paul Deschanel. Et même (dernière page, en bas à droite) Georges Clémenceau semble avoir accepté de s'habiller en éclaireur, bien que le résultat ne soit pas très probant...


(Ce document nous a été confié par Pierre Mallet)


Les Annales


André Lefèvre (Vieux Castor)

(Témoignage de Pierre François pour la plaquette « André Lefèvre »)

« Dès la fin des hostilités, il fonde avec une équipe d’amis, en plein quartier Mouffetard,"La Maison pour Tous", qui tient du centre social et de la maison de jeunes (…) L’été, il dirige des colonies de vacances, des « caravanes ».

Beigdeber, Commissaire général des Éclaireurs Unionistes, lui vante les bienfaits du scoutisme et lui envoie ses meilleurs chefs de patrouille pour qu’il crée une troupe d’E.D.F. à la Maison pour Tous. Et voici Vieux Castor, chef de troupe enthousiaste. Nous devons une grande gratitude à Georges Bertier, alors président des E.D.F., d’avoir distingué Vieux Castor et d’avoir été le quérir lorsque Paul Charpentier abandonna le poste de Délégué Général.

Placé à la tête de notre Mouvement, Vieux Castor fit face à une tâche écrasante. Avec beaucoup de fermeté, avec beaucoup de tact, il entreprit un double assainissement dont on imagine mal l’ampleur (…) : il condamna la formule du "bataillon scolaire" qui avait falsifié le scoutisme et remit à l’honneur les idées et la méthode éducative de B.P.

Il fit comprendre et apprécier le Scoutisme par l’Université, ce qui permit aux E.D.F. de trouver un soutien et des cadres de qualité. Avec Guérin-Desjardins, avec Grandjouan, il mit au point dès 1922 la méthode du camp - école (…). En 1937, comprenant que les E.D.F. n’avaient pas à vivre en vase clos et à conserver jalousement leurs trésors, mais qu’ils pouvaient adapter certaines de leurs méthodes et techniques aux colonies de vacances, il crée, en accord avec L’Hygiène par l’exemple et la Ligue de l’Enseignement, les Centres d’Entraînement aux méthodes d’Éducation Active (CEMEA). Il en dirige le premier stage à Beaurecueil en 1937.(…)

Vieux Castor a véritablement créé les E.D.F. Il a recruté des effectifs, il a mis une administration sur pied, il a clairement défini la méthode, il a enseigné les techniques, il a formé les cadres, certes. Mais il a surtout donné aux E.D.F. un esprit, à la fois original et rayonnant, civique, français, humain. (…) Il voyait dans ce monde, non des idées qu’il faut agiter, brandir et faire triompher, mais des hommes qu’il faut aider, qu’il faut unir…


Rocher de Cappy, vers 1930


Avec les éclaireurs de la Mouff, vers 1937


Quelques textes d’André Lefèvre

LA PAIX

«La paix est difficile parce que les hommes, trop souvent, quoi qu’ils prétendent, n’aiment que ceux de leur clan. Elle ne règnera que lorsque nous tairons nos inimitiés. S’il faut que quelqu’un commence, commençons. S’il faut recommencer, recommençons. Et ainsi autant de fois que ce sera utile pour que nous soyons compris. Cette attitude, incompatible avec l’orgueil, est compatible avec la dignité et n’enlève rien à la fermeté ni à la clairvoyance» (Le Chef, janvier 1934)

LA POSITION « ÉCLAIREURS DE FRANCE »

«Un temps viendra où les hommes ne trouveront plus surprenant qu’on mette d’accord sa vie et ses principes. Il viendra d’autant plus vite que nous serons demeurés nous-mêmes plus intransigeants sur nos positions fraternelles.

Et c’est bien la réponse qu’il convient de faire aux amis qui nous rappellent la beauté de notre indépendance : nous sommes fidèles à nos principes : nous ne relevons d’aucun parti, nous nous interdisons toute propagande politique et religieuse, mais nous aimons tous les garçons de France, lors même que leurs parents adhèrent à une tendance politique ou religieuse.

Les Mouvements où il est possible de se réunir sans tenir compte des tendances qui divisent sont trop rares, nous avons le privilège d’être de ce nombre, nous en sommes fiers.

Est-ce à dire que notre indépendance soit la position la plus avantageuse ? En apparence, non, car les hommes aiment les situations combatives et comprennent difficilement que vous ne vous décidiez pas à adopter leur ostracisme et leurs partis pris. En réalité, oui, car seule notre position est logique, seule elle est humaine. Dans la bataille des opinions, l’enfant a trop souvent été l’enjeu. Nous n’avons, nous, de raison d’exister que parce que nous aimons l’enfant pour lui-même. » (Le Chef, juin 1938)

LE DÉSINTÉRESSEMENT

«Tous les éclaireurs qui se disent les amis de tout le monde doivent être désintéressés. Il y a, pour un chef, un désintéressement plus grand encore, c’est celui qui consiste à agir de telle sorte que le chef se rende inutile. On ne bâtit pas une troupe pour soi, on n’a pas à en faire sa chose dont on est glorieux et qu’on laissera livrée au hasard, ou à elle-même, quand on la quittera. Mais on a à faire surgir des remplaçants qui, eux-mêmes, pousseront le désintéressement jusqu’à s’effacer devant leurs adjoints ou leurs éclaireurs chaque fois que ceux-ci pourront voler de leurs propres ailes.

Nous n’avons pas à briller, mais à faire des volontés, des hommes qui se passent ensuite de tuteurs. (Camp-école de Cappy )

LE SECTARISME

«Le sectarisme pousse les hommes à ne pas concevoir d’autres courants de vie bienfaisante que ceux de leur petite chapelle. Ils croient demeurer intransigeants utilement pour leur cause : ils se rendent simplement odieux» (idem)


Quelques portraits peints par Pierre François

Dominique François, fils de Pierre François, a retrouvé dans les papiers de son père quelques documents qu'il nous a communiqués.

En premier lieu, une note dressant le portrait de quelques-uns des "grands chefs historiques" du Mouvement, qu'il a fréquentés depuis sa position de "8ème de pat" jusqu'à sa fonction nationale...

Quelques grands anciens des Éclaireurs de France

Nicolas BENOIT

Jeune et brillant officier de marine, il rêvait de ranimer chez les jeunes l'esprit de la chevalerie. A 25 ans, il se rendit en Angleterre et fut saisi de suite de l'ampleur du mouvement des Boy-Scouts que B.P. avait créés en 1908.

Rentré en France il prend contact avec ceux qui avaient tenté de premières expériences, Georges Gallienne à Grenelle, Georges Bertier à l'Ecole des Roches. C'est avec eux, c'est avec Paul Charpentier qu'il jette les bases du Mouvement des Éclaireurs de France, ayant pour but d'unir tous les Français, de toutes conditions, de toutes croyances, de toutes opinions. Il rédige un plan d'organisation, il crée l'insigne, l'Arc Tendu, et la devise "Tout Droit".

Ardent promoteur des Éclaireurs de France, il n'en vit que les débuts. Il fut tué au combat le 17 décembre 1914 à Steinwerke sur l'Yser.

Paul CHARPENTIER

Tel il m'apparut alors que j'étais 8éme de patrouille des Éperviers, tremblant au dernier rang, et que lui, il passait devant le front de notre troupe. Il passa, il ne dit pas un mot. Nous, nous étions figés d'admiration. Puis, en rentrant de la sortie, nous n'arrêtions pas de commenter les multiples qualités et vertus de cet homme, Délégué Général des Éclaireurs de France. Avions-nous été impressionnés par ses fières moutaches, les dernières que nous devions voir, ou par ses yeux noirs ?

Au fond, nous ne le connaissions pas et il nous restait à découvrir ce conteur de découvertes car il était directeur du Journal de Voyages, magazine qui avait un grand succès parmi les jeunes. Cet homme - qui n'avait sans doute jamais quitté son boulevard parisien - nous entraînait dans le merveilleux domaine de l'aventure et de l'exploration. Oui, c'était un boulevardier, un Parigot, spirituel et cordial. Beaucoup d'entre nous gardent dans leur tête et dans leur cœur les refrains si gais de la "Forêt des Légendes", cette féerie ou cette opérette qu'il avait écrite pour les Éclaireurs de France et qui fut créée aux alentours de 1925.

Paul Charpentier ne cessa jusqu'à sa mort, en 1947, de rester fidèle aux Éclaireurs de France et d'apporter au Comité Directeur une précieuse collaboration, celle d'un souriant bon sens et d'une affectueuse franchise.

Henry MARTY

Henry Marty participa à la création d'une des premières troupes d'Éclaireurs de France, celle de l'École des Roches, et il la dirigea effectivement.

Sa grande distinction d'esprit, son intelligence d'éducateur et sa compétence internationale l'amenèrent rapidement à jouer un rôle prépondérant dans notre Mouvement dont il fut un membre du Comité Directeur, et dont il fut Commissaire International, ainsi que dans le Scoutisme Mondial puisqu'il fut membre du Comité International depuis sa création en 1922 jusqu'à la guerre de 1939. Baden-Powell l'aimait et l'estimait beaucoup.

D'un abord plutôt froid, il offrait d'étonnantes surprises à ceux qui savaient vaincre sa réserve et sa timidité. On découvrait alors des trésors d'érudition et d'esprit. Certains se souviennent de cette veillée où il nous apparut en valet du XVIIéme siècle et où il nous débita un désopilant « à la manière de la Marquise de Sévigné ». D'autres ne peuvent oublier le rapport sur le camp d'éclaireurs qu'il présenta avec une technique très sûre et une émouvante poésie au Congrès de Lyon en 1924.

Pierre MAZERAN

Pierre Mazeran, un vieux garçon original, s'était entièrement donné au scoutisme, précisons au scoutisme lyonnais qui a toujours gardé son empreinte.

Préparateur à la Faculté des Sciences, il a sacrifié une carrière scientifique qui aurait pu être brillante. D'une santé chancelante, il en a négligé les soins, car il voulait se consacrer au monde des garçons. Il les traitait sans mièvrerie, franchement, rudement, comme des hommes. Il les guidait vers les hauts sommets des Alpes et leur communiquait sa passion de l'alpinisme. Il les pliait à des disciplines ascétiques et leur communiquait son intransigeance morale.

Cet homme, complètement sourd, était très écouté. Très écouté de toute une génération qui a laissé des traces, les Étienne PEYRE, les Pierre et Marcel KERGOMARD, les Louis FRANÇOIS, les François GOBLOT.

Membre du Comité Directeur, il y mena de 1922 à 1924 un rude combat contre le genre "bataillon scolaire" qu'avait pris le scoutisme en France et pour le retour aux méthodes éducatives de Baden-Powell. Il avait le droit de mener cette polémique car tous les dimanches il était dans la nature avec ses éclaireurs, appliquant le système des patrouilles, éveillant les esprits, respectant chaque personnalité.

Peu avant sa mort, sur son lit d'hôpital, il étalait des cartes d'État-Major, il préparait le camp d'été. Il s'est éteint en travaillant à notre bonheur.

Frédéric CAQUELIN

Frédéric Caquelin, Hathi, était venu tard au Mouvement. Avocat colmarien, de belle réputation, homme politique menant de furieux et joyeux combats contre l'autonomisme alsacien, il était entré aux E.D.F., en 1936, en prenant allègrement les fonctions de chef de groupe. Cela consistait pour lui, à sortir et à camper avec les louveteaux et les éclaireurs.

En 1940, réfugié dans le Périgord, il entend l'appel du Commissariat National et accepte les fonctions de Commissaire Général Adjoint. Sa bonhomie, son humour, sa culture et sa lucidité lui valurent de grands succès aussi bien dans les tournées que dans les camps-écoles. Mais surtout il s'employa de suite à répandre dans le Mouvement l'esprit de résistance.

Dès le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, il décide de passer en Algérie ; après plusieurs tentatives, il franchit les Pyrénées dans des conditions très dures, arrive au Maroc puis à Alger. C'est là qu'il prend la direction des E.D.F. pour tous les territoires libérés. Dès son arrivée à Alger, il s'était préoccupé du mouvement naissant des Scouts Musulmans d'Algérie. Il s'est inlassablement dépensé pour cette cause, remontant les courants les plus tenaces, montrant aux associations du Scoutisme Français - et notamment aux E.D.F. - quel était leur véritable devoir sur la terre d'Algérie et quels liens fraternels il fallait nouer avec les jeunes scouts algériens.

Huit jours avant sa mort, alors qu'il était à bout de souffle, alors qu'il se savait condamné, il ramassa toutes ses dernières forces pour assister à une réunion très importante de toutes les associations scoutes et pour y plaider la cause qui lui était chère avec son habituel talent, avec ses mots rudes, avec ses mots gentils et drôles, avec ses mots frappants, avec ses mots justes. Car c'était un passionné de justice.

Pierre DÉJEAN

Voici un joyeux gascon, un authentique mousquetaire, Pierre Déjean, né en Armagnac. Jamais notre Mouvement ne connut de bretteur aussi fougueux ni aussi fier. Comme nous aimerions entendre encore ses apostrophes pittoresques et tonnantes ! C'était l'homme des nobles combats et des victoires éclatantes. Et d'abord des victoires sur lui-même.

À 12 ans, Pierre Déjean est victime d'un accident d'auto et doit être amputé d'une jambe. Le port d'une jambe artificielle au début lui impose de cruelles souffrances. C'est dans un camp d'éclaireurs qu'il s'astreint à les subir, en laissant ses béquilles à la maison. Il gambillait sans trêve, surmontant la fatigue et ne disant rien de sa souffrance. Durant l'occupation, il débarque à Lille un jour de verglas. Il n'hésite pas un instant, il s'élance sur la chaussée glissante où les bipèdes normaux s'aventuraient à peine, il se presse car au bout du long parcours des camarades E.D.F. l'attendent et comptent sur lui.

Il dominait, il disciplinait sa nature fougueuse, criblant et ordonnant les pensées qui lui venaient en foule, s'astreignant à respecter les règles de bonne organisation contraires à son tempérament explosif. Celui avec qui il fit la meilleure équipe, c'est notre méthodique René Duphil, dans les camps régionaux de Capbreton.

Successivement éclaireur à Auch, chef de troupe, chef de groupe, Commissaire de District à Toulouse et à Bordeaux, Commissaire de Province d'Aquitaine, Commissaire national de la Branche Éclaireur et Commissaire National du mouvement interdit en zone Nord, partout et dans toutes ses fonctions, il fut débordant d'enthousiasme et de sincère affection. Il aimait et il comprenait admirablement les garçons de la branche Éclaireur et leur prodiguait les richesses de son cœur et de son imagination.

Complètement isolé du Commissariat National, il se trouva à la tête des E.D.F. clandestins en zone Nord. Non seulement il fit merveille pour maintenir le Mouvement partout, mais encore il travailla toujours dans le sens de l'unité du Mouvement, évitant soigneusement tout ce qui pourrait séparer le scoutisme des deux zones. Il ne recula devant aucun des risques de sa tâche, passionnément attaché à sa mission d'entretenir chez nous l'esprit éclaireur et la flamme de la résistance. Il fut arrêté par la Gestapo et déporté à Mathausen dont il ne devait jamais revenir.

VIEUX CASTOR

Cher Vieux Castor, notre cher patron, comment arriver à te représenter à ceux qui ne t'ont pas connu ?

Avant d'être Vieux Castor, tu fus André Lefèvre, cheminot à Angers, employé chez Dufayel ou dessinateur industriel à Paris, mais surtout membre du Sillon, animateur d'une bibliothèque dans une vieille remise de la rue de l'Épée de Bois, organisateur d'une coopérative de vente de chaussures au profit des grévistes de l'industrie de la chaussure de Fougères et enfin et, surtout, créateur de la Mouff', la Maison pour Tous de la rue Mouffetard, ce modèle de centre social et de maison de jeunes dans une batisse délabrée.

On t'y a vu servant au bar antialcoolique, essuyant la vaisselle du restaurant, surveillant une machine à vapeur rétive qui actionnait l'appareil de cinéma, et disant des drôleries à tout le monde, et aidant tout un chacun à vivre. Combien d'hommes et de femmes ont trouvé pour toujours un sens à leur vie dans cette Maison pour Tous !

Et te voici en 1921 conquis au Scoutisme et transformant les caravaniers en éclaireurs. Et toi, modeste s'il en fut, tu parcourus en un éclair tous les rangs de la hiérarchie scoute. On te nomme tout de suite Commissaire Régional de Paris et, un moment après, on venait te chercher pour faire de toi le Commissaire National des Éclaireurs de France.

C'était à une époque où la Mouvement avait besoin d'être reconstruit de fond en comble. Avec gentillesse, sans blesser personne, mais avec fermeté, en quelques années, tu sus le sortir de l'ornière des bataillons scolaires pour le ramener à l'esprit et la méthode de B.P.. Tu n'as pas procédé par circulaires ou discours. Non, tu avais une façon si convaincante de parcourir la France sur ton vieux vélo et de dire une blague ou un mot gentil sitôt que tu avais un pied à terre. Tu avais une façon si convaincante de te lever le premier au camp-école et de balayer la salle des instructeurs. Tu avais une façon si convaincante de jouer toi-même le jeu de l'Éclaireur.

Il faut que je vous raconte l'histoire de Vieux Castor et du Vice Recteur de la Corse (Pierre François nous laisse sur notre faim !)

(''Vieux Castor et les Centres d'Entraînement : son désir de voir le plus grand nombre possible de garçons profiter de nos méthodes et de nos jeux. Mais surtout action de Vieux Castor sur l'esprit du Mouvement.'')

L'hommage de Pierre François à Georges Gallienne

Dans "Le Routier" d'automne 1953, Pierre François évoque la personnalité et les choix de Georges Gallienne :


Quelques souvenirs de la vie d'un groupe local

La famille de Pierre Déjean nous a communiqué quelques souvenirs de la troupe d’Auch des «Éclaireurs Gascons» que nous reproduisons en pages suivantes car ils nous semblent très bien illustrer la vie du Mouvement au cours de ces années de redémarrage après-guerre :

  • un document signé en 1927 de personnalités (dont Monsieur Michelin « des usines Michelin ») patronant l’association,
  • un document du siège national (autour de 1927 également) présentant l’équipement des Éclaireurs et des Louveteaux et les budgets correspondants,
  • une circulaire du Commissaire régional en vue du recensement des membres… et des résultats scolaires…,
  • une lettre présentant le camp.

et le courrier du groupe...

En tout premier lieu, ci-dessous :

une enveloppe du siège national des « Boy-scouts français » (rue Saulnier) en 1926  et une enveloppe des « Éclaireurs Gascons » en 1930


1927 - 1950 : Le parcours de Suzanne Châtelet

Suzanne Châtelet nous a donné une contribution sur son parcours à la F.F.E. N un peu partout en France. Elle y ajouté quelques souvenirs sur son père Albert Châtelet, président des Éclaireurs de France à partir de 1937.

De Lille à Perpignan et Arras...

« Lille, février 1927 : la directrice du Lycée Fénelon réunit la classe de Quatrième et les Terminales pour la visite et l’exposé d’une Commissaire F.F.E. Une vingtaine de jeunes élèves encadrées par les aînées constitue une « section » d’éclaireuses « neutres », guidée par une cheftaine voisine : jeux variés, explication de la loi de l’éclaireuse, occupent la première année. J’étais un chef de clan de 6 ou 8 filles.

Les années suivantes, la section vole de ses propres ailes, une élève de Math Élem étant la cheftaine ; nous campons près d’une section voisine dans les Alpes et le Massif central. Après un camp-école, je deviens cheftaine et nous inaugurons le « 22 février » avec la F.F.E., les éclaireuses polonaises de la région, les éclaireuses belges… Dans le Nord et le Pas de Calais, de nombreuses sections d’éclaireuses sont créées grâce à la visite de nos Commissaires nationales, et je deviens Commissaire régionale «Nord – Pas de Calais – Somme» en 1935., jusqu’en octobre 1937 où je quitte le Nord.

Éclaireuse

En juillet 1939, je fais partie de la délégation féminine française (éclaireuses et guides) au Paxting de Gödöllö et au rassemblement des Strajere de Roumanie (dans les défilés, je prote le drapeau français).

En octobre 1939, prof à Perpignan, j’y crée une section d’éclaireuses neutres et, pendant quatre années ; nous pratiquons l’amitié scoute avec les autres éclaireuses de la région, les Guides de France et, pour la Saint-Georges, les E.D.F. et les S.D.F.

Cheftaine en sortie

En octobre 1943, prof à Arras, création d’une section d’éclaireuses, puis d’éclaireuses aînées ; avec, toujours, les contacts avec le Scoutisme Français, B.A.s pour la Saint-Georges et participation à Lille, en 1945, pour la paix retrouvée, au défilé de tous les mouvements scouts de la région. Camps dans l’Aisne, dans l’Oise et même, en 1948, dans les Pyrénées Orientales en montagne. La traversée de Paris fut facilitée par ma mère et son appartement, et mon jeune frère, avec sa voiture pour les sacs …

En 1950, je «cède» le groupe d’éclaireuses et aînées à une autre cheftaine pour me consacrer aux méthodes nouvelles d’enseignement.

Ce que le scoutisme m’a apporté ?

Sur le plan personnel, le goût du travail bien fait, du travail en équipe, de l’amitié, de l’aide aux autres.

Sur le plan professionnel, apporter et partager mes connaissances, tant avec les élèves qu’avec les collègues et, maintenant, avec tous ceux qui écoutent ; être solidaire de ceux qui m’entourent.

Ce que le scoutisme a apporté à la collectivité dans laquelle nous vivons ?

La solidarité dans les groupes familiaux, dans des groupes de travail, ainsi que de la bienveillance entre éléments des groupes…

Ce que j’ai trouvé dans notre association ?

L’amitié entre nous, la solidarité, des moments de détente heureuse, et parfois, même, la joie … sans oublier les chants de notre adolescence ! »

Suzanne Châtelet est la fille aînée d ‘Albert Châtelet, qui a été Président des Éclaireurs de France à partir de 1937. Elle nous a donné, pour compléter ce témoignage, quelques éléments sur l’activité de son père dans le scoutisme…

« Avant même que Pierre François, Commissaire National, ne lui demande d’être président des E.D.F., il accueillait les éclaireuses, les éclaireurs, les louveteaux qui venaient s’abriter pour une réunion dans une pièce de son logis. Il nous renseignait parfois sur les lieux où nous prévoyions nos camps.

En 1937, il a assisté à une journée du Jamboree de Hollande où il a rencontré Vieux Castor. Sur ses agendas, nous avons pu relever les dates des réunions du Comité Directeur des E.D.F., auxquelles il a assisté très régulièrement, ainsi que les noms des visiteurs, tant éclaireurs qu’éclaireuses, scouts ou guides qui venaient chez lui exposer leurs problèmes. En 1942, il a assisté à une réunion E.D.F. à Bordeaux. En 1947, il a participé au Jamboree de Moisson où mon frère Pierre était dans l’organisation matérielle. »

Suzanne nous rappelle aussi la "mode" F.F.E. au camp dans les années 30

Quelques photos commentées par la cheftaine

  • 1933 : partons pour le camp :

La cheftaine porte la cape brune sur son costume : jupe à quatre plis brune, veste sur la blouse blanche avec cravate et cordelière. Son chapeau en feutre porte l'insigne de Promesse

  • 1934 : au camp

L'éclaireuse porte une robe de camp en flanelle beige, un ceinturon, la cordelière blanche avec le sifflet, la cravate est à la couleur de la section

  • 1936 : la petite "bleue" et sa cheftaine

La petite nouvelle est en robe de camp, la cheftaine porte la jupe à plis marron, une blouse blanche, la cravate à la couleur de la section, la cordelière avec le sifflet, un ceinturon.


Extraits de la correspondance de Pierre François

Dominique François nous a communiqué, en même temps que les "portraits" présentés par ailleurs, quelques extraits de la correspondance échangée entre Pierre et son épouse Elisabeth, où il est question des E.D.F.

Ces documents nous ont paru intéressants pour décrire la réalité de l'action d'un responsable national, ses responsabilités, ses interventions, ses relations... et sa perception de certaines situations.

Les notes de commentaires, en italiques, ont été rédigées par Dominique François

1930 - 1933

Lettre d'Elisabeth du 8 mars (1930 ?)

"Hier soir soirée familiale donnée par les Routiers. (A la Maison pour Tous rue Mouffetard). Ils font des progrès en tout. Ils ont joué une pièce de Carizet "Marinerie", étude de mœurs de marins. Très drôle et bien jouée; Rigault et Boyer acteurs très en progrès."

Lettre de Pierre du 2 mars 1931 de Strasbourg

(Pierre débute dans l'industrie, mais il est question de le nommer Commissaire Fédéral Adjoint)

"Je pense à la situation aux Éclaireurs avec un certain effroi. J'ai reçu une lettre de Dubois. Il dit: "Par contre je te verrais beaucoup moins t'occuper de la Fédération, surtout pour seconder Vieux Castor. C'est là un poste difficile à remplir ; il y faut beaucoup de souplesse, une supériorité qui s'impose immédiatement et sans effort et enfin le travail y est certainement moins intéressant parce que trop dispersé." C'est un avis qui compte."

Lettre de Pierre du 9 mars 1931 de Strasbourg

"Tu es donc bien de mon avis lorsque tu trouves déplorables les cloisons qui existent entre les différents mouvements de scoutisme. Et je crois que nous pourrons entreprendre quelque chose pour les démolir. À ce compte, le Cercle Interfédéral de Strasbourg donne de bons résultats. Je constate effectivement la création d'une atmosphère de grande et réelle sympathie entre tous ses membres.

Je crois que nous pourrions réaliser quelque chose d'un peu analogue à Paris. Il s'agirait de rechercher dans chaque mouvement (EDF, EU, SDF, FFE, Guides) un certain nombre de chefs ayant de l'influence dans leur mouvement respectif et de les réunir périodiquement chez nous afin :

1° d'établir de premiers liens interfédéraux dans le sens le plus mixte du mot,

2° de connaître nos méthodes et nos expériences respectives,

3° de rechercher toutes les possibilités d'actions communes,

4° de travailler à la constitution d'un milieu, même d'une nouvelle classe sociale qui n'aurait rien d'une classe sociale, qui démolirait le principe de classes sociales : le milieu scout qui doit exister avec plus de force que la bourgeoisie, petite bourgeoisie, prolétariat, aristocratie, etc... Peut-être ce projet te semble-t-il un peu fumeux. Nous le mettrons au clair. (Ils ont 25 ans!)

(Finalement, Pierre François accepte bien de devenir Commissaire Fédéral Adjoint).

Lettre de Pierre (janvier 1932) de Corse (Il y a beaucoup de lettres décrivant une tournée en Corse en janvier 1932 pour y créer des meutes et des troupes. Celle-ci constitue un exemple de ce travail associant visites aux autorités, propagande et sorties sur le terrain.)

"La Directrice du cours complémentaire veut fonder une troupe d'Éclaireuses, mais (...) ce n'est pas mon affaire. Je l'ai renvoyée à Madame Benielli qui elle-même la mettra en rapport avec vos sévères autorités.

Les deux autres institutrices vont créer une meute de Louveteaux avec d'autant plus de chance de succès que nous avons une bonne cheftaine dans le Cap Corse qui pourra venir à Bastia former les débutantes.

Pour les hommes, l'enthousiasme n'a fait que les amener à vouloir fonder un Comité sous l'impulsion de l'ardent Proviseur. Toutefois, le Directeur du cours complémentaire va essayer de créer et de diriger lui-même un petit groupe de son école. Mais ces Messieurs, voulant à tout prix faire quelque chose, m'ont indiqué quelques grands élèves du lycée susceptibles de se convertir. De fait, dimanche après midi j'en ai emmené sept en sortie et le soir on pouvait dire que la troupe était fondée.

J'ai trouvé un élève de philosophie de 18 ans, plein de sérieux et de flamme qui pourra très bien prendre la responsabilité d'une petite troupe. Le matin, dans le bureau du Proviseur et avec le concours de son verbe chaleureux, nous avons essayé de persuader un jeune surveillant qui a l'air sympathique. Il demande à réfléchir. Pour l'aider dans cet exercice, je lui ai laissé le Baden Powell. De toute façon il y a un tel appui du Proviseur et des instituteurs, et je suis sûr que le Comité pourra faire du bon travail, que je n'ai pas hésité de donner le départ à mon jeune philosophe aidé de ses camarades.

Je laisse donc à Bastia la certitude d'une meute, d'une troupe et d'un Comité. Pourvu que ça doure! comme dirait la mère de Napoléon qui avait trouvé le mot le plus adéquat à la Corse et aux Corses."

Lettre de Pierre du 4 février 1932 de Draguignan

"À Draguignan je n'ai pas perdu mon temps. Visite au Directeur de l'Ecole Normale, une crème d'homme, EDFophile, réunion avec les huit normaliens Éclaireurs, visite au directeur du collège, un sinistre raseur, imbécile, qui ne comprend rien et m'a fatigué de discours insipides, enfin causerie avec projection aux élèves de l'E.N..

La ville est riche d'une bonne petite troupe et d'une grosse meute qui marche à merveille. De plus en plus je suis persuadé que la formule d'exploitation des élèves d'E.N. est parfaite ; elle a en tout cas un excellent rendement. J'ai déjeuné au réfectoire avec les normaliens et suis parti tout de suite en auto particulière pour Lorgnes à 13 km de là, un gros bourg dans un pays magnifique, où le surveillant général de l'E.P.S. un brave vieillard de cinquante ans (!) entretient avec conviction et courage mais sans succès une petite troupe d'Éclaireurs. J'ai fait une causerie aux élèves de l'École puis un petit bout de réunion avec les Éclaireurs et enfin des démarches pour trouver deux cheftaines afin de créer une meute de Louveteaux. Je les ai trouvées et la meute va partir. Il ne manquera plus qu'un jeune assistant pour le courageux vieillard. On fera nommer un jeune instituteur."

Lettre de Pierre du 1er mai 1932 de Nantes

"L'École (Normale de Savenay) est magnifiquement installée avec de beaux jardins, des tennis, un stade, un Directeur jeune et sympathique. Ça a très bien marché. Les élèves sont emballés. Feu de paille naturellement, mais je suis certain que quelques-uns d'entre eux, à voir leur tête et leurs yeux, vont devenir de fervents Éclaireurs. Encore une bonne position de conquise! Je vais y envoyer Bierry le plus tôt possible pour leur faire faire une sortie."

(De nombreuses lettres décrivent le même genre d'accueil dans des écoles et le succès du recrutement dans les E.N.).

Lettre de Pierre du 14 décembre 1932 d'Avranches

"(À Coutances) J'y ai retrouvé Villain, l'inspecteur primaire, qui n'a pas arrêté de chanter des chants scouts en pleine rue et de nous expliquer un jeu très simple qu'il croyait avoir inventé. Découvrir le scoutisme à 51 ans, c'est beau comme tout, c'est touchant! M'attendait également le chef local Vion, un calicot, un brave type. J'avais très peur de ce que j'allais trouver. Or, j'ai pu constater qu'il avait bien compris le scoutisme et qu'il s'y donnait avec enthousiasme. On pourrait en trouver la preuve dans le fait qu'il porte le costume scout sans souci de la curiosité, des racontars des Coutançais, gens d'outre-tombe."

(Une tournée en 1933 dans la région de Rodez est bien plus décevante).

Lettre de Pierre du 12 mai 1933 de Rodez

"Ma tournée n'est pas très satisfaisante. Il faut dire aussi que ce pays perdu est bien difficile à travailler. Ce sont de toutes petites villes où l'on ne reste pas ; les groupes créés s'écroulent un ou deux ans après, au départ du chef."

(De nombreuses lettres décrivent des tournées de propagande dans diverses régions de France avec les habituelles rencontres dans les E.N. et les causeries, y compris à des gendarmes, et la projection du film "À cœur joie".)

1933 : le Jamboree de Gödölö en Hongrie

Lettre de Pierre du 4 août 1933

Le camp français est installé sur le point culminant du camp, donc au sec mais au vent (c'est effrayant quand il souffle!). Un grand plateau autour duquel se trouvent les camps SDF, EU, EDF. Ce dernier est spécialement bien monté.

Les Algériens et Cie pour se racheter de leurs péchés ont monté une grande mosquée qui domine tout le camp. Tu peux penser la colère des SDF et des chanoines qui ont réclamé ; comme ils voyaient qu'on ne démolissait pas la mosquée, ils ont immédiatement érigé en face une immense croix ! D'un côté, on a un type d'architecture, de l'autre un symbole reli-gieux. Drôle d'esprit.

À part cela les relations sont vraiment excellentes et fraternelles. L'esprit dans l'ensemble est bon. En deux jours tout le monde a fait un travail considérable pour présenter un camp à peu près potable. Les routiers EDF de Dijon qui avaient à monter la porte monumentale du camp ont fourni un effort fantastique, travaillant de 7h du matin à 10h du soir sans arrêt. Et avec cela le monument n'est pas achevé.

L'ambassadeur de France est venu cet après-midi. Trois minutes avant son arrivée nous étions encore en train de pein-dre, de planter des clous etc... La visite a été très réussie. Visite de 25 camps! J'étais couvert de barbe et je me cachais.

Les Hongrois sont très bien, très hospitaliers. Ils ressemblent un peu aux Français car, à côté d'une organisation générale parfaite, ils se livrent à pas mal d'improvisations qui font un peu pagaye. C'est plus charmant ainsi. Ils sont fanatiques de musique ou plutôt de fanfares. Cela n'arrête pas de toute la journée. On en a mal aux oreilles.

Les feux de camp monstres où les numéros se produisent sur une estrade sont très bien réussis. Il y a des orchestres tziganes avec des danses en costumes magnifiques. C'est merveilleux. L'autre jour, ouverture du camp dans une arène très ventée où nous avons gelé pendant 2h30 avant le défilé devant B.P. et le régent Horthy. Le défilé avec profusion de drapeaux fut assez joli. Charge impressionnante à la fin. B.P. se fait vieux."

 

Lettre de Pierre du 8 août 1933

"Hier corvée : thé à l'ambassade de France avec 60 garçons du camp. Spectacle comique : ces soixante boy-scouts bai-sant la main de l'ambassadrice. Pauvre Madame !

Hier soir grand feu de camp, en présence du régent Horthy. Ce fut beaucoup moins bien que les autres feux de camp. Trop guindé. Les Français ont donné de jolies danses bretonnes en costume (EDF) et des chants bien enlevés par une chorale interfédérale dirigée par Chailley de l'Alauda. Il manquait les admirables danses hongroises dont nous avons des spécimens chaque fois plus beaux à chaque feu de camp. Quels costumes ! Aujourd'hui Oncle Bob (Robert Laffite qui dirigeait le camp français) est parti pour la journée ...

Comme j'étais de service, je me suis retrouvé du même coup chef du camp français. Je pensais que tout irait calmement. Or, à 9 h ce matin, on m'apprend que le régent Horthy visiterait le camp français dans une demi-heure. Branle-bas. Je crois l'avoir honorablement reçu. C'était très drôle. J'ai présenté les trois chefs de camp et nous avons commencé le petit tour. Les grosses huiles SDF râlaient de ne pas avoir été au premier plan...... Il y a un gros public dans le camp. Tout le monde se dirige vers la mosquée qui est vraiment d'un bien joli effet. La croix monumentale des SDF, bien qu'illuminée la nuit, intéresse moins le public."

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