1950 - 1960 : Spiritualité et laïcité des Éclaireurs de France

Lun11Avr201108:04

1950 - 1960 : Spiritualité et laïcité des Éclaireurs de France

Si, dès leur création, les Éclaireurs de France se sont déclarés ouverts à tous, sans référence religieuse, la définition de leur « vie spirituelle » a donné lieu à de nombreuses réflexions et a mis en évidence une évolution.

Nous avons choisi, pour en rendre compte, de reprendre deux documents :

– d’une part, un grand article de Pierre François, « Les valeurs spirituelles chez les Éclaireurs de France », publié dans « Routes Nouvelles » en mai 1982, au moment où, avec Pierre Kergomard, il préparait la sortie de l’ouvrage présentant l’histoire des E.D.F. de 1911 à 1951 ;

- d’autre part, un document présenté par l'ouvrage du centenaire, sur l’histoire de la laïcité aux Éclaireurs de France, à travers les éléments apportés par cet ouvrage lui-même sur cet aspect particulier de la vie du Mouvement.

Deux textes fondamentaux

Ces deux documents présentent, bien évidemment, des parties communes ; nous pensons qu’ils se complètent et, en quelque sorte, s’éclairent mutuellement. Pierre François se livre à une analyse historique de toutes les étapes de la réflexion et de ses traductions pratiques (la promesse et la loi, l’article premier des statuts, les tendances, l’esprit des E.D.F.) et son article met remarquablement en évidence une évolution qui tient compte du contexte social.

Le deuxième texte est issu de l’ouvrage « Les E.D.F. de 1911 à 1951 » en y reprenant l’ensemble des passages évoquant, sous des formes diverses, spiritualité et laïcité. Il met en évidence une évolution qui se traduit, aussi, dans le langage ; il complète ainsi le texte précédent, en l’illustrant et en y ajoutant les éléments intervenus après 1951 : déclaration de l’A.G. du Mouvement à l’occasion du Cinquantenaire des E.D.F., « règle d’or » actuelle.



Comment les Éclaireurs de France ont introduit la laïcité dans le scoutisme (où elle n’était pas).

– Au départ, une contradiction :

Dans toutes les définitions originelles, le Scoutisme fait référence à «  Dieu » ; le « devoir envers Dieu » en est un de trois principes fondamentaux, et le Fondateur est très clair : « la religion n’entre pas du tout dans le scoutisme, elle est déjà là. C’est un des facteurs fondamentaux à la base du scoutisme et du guidisme. » La première question qui se pose donc, à ce stade, est : il n’y a donc pas de scoutisme sans Dieu ?

– La position de la Fédération des Éclaireurs de France :

Dès le départ également, un objectif (Georges Bertier, pour la Ligue d’Éducation Nationale) : « il faut que cette ligue qui va se créer soit vraiment nationale, en dehors des partis politiques, en dehors de nos divergences religieuses. Ce sera chose difficile, je le sais, en ce pays où l’idée et le mot de neutralité sont honnis… ». On peut y voir une première prise de conscience d’une difficulté.

Assez rapidement, la « neutralité » est clairement définie (après la création des S.D.F.) : « nous devons recevoir dans nos troupes de jeunes adolescents appartenant à toutes les religions ou des jeunes penseurs n’appartenant à aucune religion positive. (…) »

La réflexion s’élargit autour de 1931 ; P. Deschamps rappelle que B.P. a reconnu la position particulière des E.D.F. et conclut : « La  fédération des Éclaireurs de France est résolument neutre et laïque, elle n’est pas sceptique. » Il y a, à la fois, confirmation de la notion de « neutralité » et apparition de la « laïcité ».

Premier aboutissement : les statuts de 1931 (XXe anniversaire) : « La Fédération des E.D.F. est ouverte à tous, sans distinction d’origine, de race ou de croyance.(…) Chacun de ses membres, adhérent ou non à un culte, est assuré de trouver, au sein de la fédération, respect et sympathie. »

Dans la « charte de l’Oradou » créant le Scoutisme Français : «  D’inspiration religieuse, le scoutisme n’aboutit pas de par soi à un credo déterminé. Mais il est conforme à son esprit qu’il encourage la recherche de la Vérité parmi ses membres et revête un caractère confessionnel dans certaines associations. » On tourne autour d’une recherche : idéalisme ou spiritualité ?

– Nouvel aboutissement après la guerre, les statuts de 1947 :

« L’association des Éclaireurs de France, laïque comme l’école publique, est ouverte à tous (…). L’association a pour objectif final de préparer des citoyens conscients des problèmes sociaux et soucieux de les résoudre. Elle ne sépare pas ce devoir civique de la lutte pour libérer l’homme de tout asservissement. » Claire affirmation de la notion de « laïcité », mais aussi d’un d’engagement « social ».

Et en réaction à une campagne de dénigrement venue des milieux dits «  de gauche », un texte signé de Pierre François et Gustave Monod  : « Notre neutralité alimente de nombreux sarcasmes et, là encore, on joue sur les mots. La neutralité signifie pour les E.D.F. qu’ils n’appartiennent à aucun parti,  ni à aucune église. Elle ne signifie en aucune façon que nous plions nos membres à n’avoir aucune opinion. Nous leur demandons, au contraire, d’avoir une conviction solide. (…) Nous laissons le choix et c’est dans la mesure où nous favorisons chez chacun l’éclosion d’une pensée libre et personnelle que nous formons des hommes fermement convaincus, aucunement neutres. (…) Au contraire, il y a chez certains mouvements de jeunesse une tendance à catéchiser, endoctriner et dicter un credo qui tue peu à peu chez leurs adhérents le pouvoir de penser. Ils les neutralisent. C’est en cela qu’à notre tour nous pouvons les taxer d’une neutralité autrement plus redoutable que celle que nous observons. Tels sont les principes d’une laïcité sans équivoque, sur lesquels nous basons tous nos efforts d’éducation. » 

Laïcité n’est pas neutralité, et encore moins neutralisation par endoctrinement religieux ou politique.

Avec un prolongement concret : « Nous croyons que, pour nous comme pour l’école publique, la mission s’impose d’unir tous les garçons de France que par ailleurs on cherche à cloîtrer ou à fanatiser. Il est nationalement et humainement dangereux que les enfants et les jeunes soient cantonnés selon leurs croyances et soigneusement abrités de la pensée des autres. » La laïcité n’est pas passive.

 

– Nouvelle étape, le Cinquantenaire EDF ; « une laïcité du vingtième siècle » :

« La laïcité est un caractère essentiel du Mouvement. (….) Notre laïcité contient le refus de toute pression sur l’individu. Elle refuse le caractère “ missionnaire ” de certaines idéologies politiques ou religieuses, car ce caractère comporte une obligation. Elle n’est nullement une atteinte à la religion : ce que nous combattons, ce ne sont ni les personnes, ni leur foi, mais leur sectarisme…

Il n’y a aucune incompatibilité entre les principes du Scoutisme et nos principes de laïcité. (…) Les E.D.F. ne sont pas, et refusent d’être, un Mouvement pour incroyants : sa diversité ouverte est sa richesse à défendre, voilà qui est essentiel.

En adhérant aux E.D.F., on adhère à une loi et on s‘engage sur des principes de base : la liberté de l’individu constitue une limite absolue. Nous ne pouvons tolérer dans nos rangs aucun racisme, aucun fascisme.(…)

L’obligation d’accepter une pensée toute faite est, dans notre esprit, la pire forme d’asservissement. »

(Conclusions de la Commission « laïcité » au Congrès d’Orléans en 1961, animée par Henry Gourin, approuvée par l’Assemblée Générale)

L’idée de laïcité est complétée par la nécessité d’une défense contre les intégrismes de toutes natures.

 


La laïcité est partie intégrante de la définition de « l’engagement des Éclaireuses & Éclaireurs de France » votée par une Assemblée Générale en 1998 – voir « les E.E.D.F. aujourd’hui ».

Aboutissement actuel : la laïcité est définie et affirmée, non seulement au niveau des principes, mais dans la vie de tous les jours de tous les membres du mouvement, quel que soit leur âge :

« Nos copains sont tous différents et nous les respectons quels que soient leur origine, leur religion, leur handicap : nous vivons la laïcité. »

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