1936.12 : Année du premier quart de siècle...

Dim04Déc201109:07

1936.12 : Année du premier quart de siècle...

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En décembre 1936, une manifestation à la Sorbonne avec B.P. et des ministres, une affirmation de la laïcité… et un changement de président pour la Fédération E.D.F.. Dans le même temps, création et développement d'un scoutisme féminin « ouvert ».


L'évolution du scoutisme masculin :

L'essentiel des textes de cet article provient du livre « L'histoire des E.D.F. de 1911 à 1951 » de Pierre Kergomard et Pierre François.


Un peu d'histoire des années précédentes :

On peut considérer 1936 comme un aboutissement en ce qui concerne l'évolution du Mouvement ; trois ans plus tôt, le Comité Directeur des Éclaireurs de France avait envisagé une modification de l'article premier des statuts, considéré comme insuffisamment descriptif de l'originalité du Mouvement dans sa définition initiale :

« Le groupe éducatif “ Fédération des Éclaireurs de France ” (Boy-Scouts Français), fondé en 1911, a pour but de contribuer à la formation de la jeunesse au triple point de vue moral, physique et pratique, d'après les principes, méthodes et exercices définis et connus sous le nom de Scoutisme ».

Pierre Kergomard nous dit que : « La mise au point par le comité directeur fut laborieuse et parfois orageuse. Certains désiraient inscrire les mots “ laïques ” ou “ laïcité ”. D'autres s'y opposaient farouchement. On se mit finalement d'accord sur un texte qui se contentait de définir la laïcité :

“ La Fédération des Éclaireurs de France est ouverte à tous, sans distinction d'origine, de race ou de croyance. Elle enseigne la loi de l'éclaireur, l'amour du pays natal et l'amour de la paix entre les peuples.

Chacun de ses membres, adhérant ou non à un culte, est assuré de trouver, au sein de la fédération, auprès de ses chefs et de ses camarades respect et sympathie ”.

(...) Après cette escarmouche, l'assemblée générale (de 1934) adoptait le projet par 306 voix contre 32, après avoir remplacé “ l'amour du pays natal ” par “ l'amour de la France ”. »

En réalité, la progression du Mouvement, qui va passer de 6400 adhérents supposés en 1921 à 21500 cotisants effectifs en 1939, « était due pour une grosse part à la conquête de l'enseignement, facilitée, d'ailleurs, par une opiniâtre formation des cadres ». Il semble intéressant de rappeler, à ce sujet, le témoignage apporté par Henry Gourin, alors instituteur, futur Commissaire National de la branche éclaireur (NB : il tenait beaucoup à ce que son prénom s'écrive avec un y, contrairement à ce que l'on trouve dans le livre des deux Pierre) :

« … Si nous avons pu assurer une action de pénétration importante dans le corps enseignant, c'est que, pour un certain nombre, l'idée d'une rénovation de la pédagogie, ou au moins d'aménagements et de compléments, n'était pas absente, tant s'en faut. Je sais, personnellement, pourquoi je suis venu aux E.D.F. : c'était, pour moi, en correction d'un système éducatif que je condamnais en partie. J'ai vu la place première à donner au caractère, au lieu d'une intellectualisation excessive ; j'y ai vu la place à donner à la formation au contact de la nature contre la montée de la concentration urbaine et les défauts d'une civilisation de production ; j'y ai vu une éducation plus libératrice, formant sans conformer, et respectant le devenir de chaque jeune… »

Le 25e anniversaire du scoutisme « laïque », en décembre 1936, marque donc un point d'orgue dans une évolution qui a touché à la fois les principes – portés par les responsables de la fédération – et les implantations  – progressives donc supposant ou provoquant cette évolution. Cet anniversaire, fêté en grande pompe, sera suivi d'une réelle adaptation du Mouvement à ce qu'il était en train de devenir.


Les manifestations, qui ont pour but de marquer le 25e anniversaire des Éclaireurs de France et des Éclaireurs Unionistes (apparemment les Éclaireurs Français sont oubliés), se déroulent sur deux journées, les 12 et 13 décembre 1936. Les S.D.F. sont invités.

Le 12 décembre, B.P. et Lady B.P. arrivent en train gare du Nord, où ils sont accueillis par des responsables nationaux des deux fédérations. Quelques passages très officiels avec, à l'Élysée, la remise par le président de la République de la plaque de grand officier de la Légion d'Honneur à Lady B.P. puis la remise par B.P. du Loup d'Argent du scoutisme à André Lefèvre…

Le dimanche 13 décembre, « Par les rues avoisinant le parc des Expositions défilent meutes et troupes, garçons et filles, routiers et chefs. Les formidables halles de la foire sont immédiatement envahies. Vers 14 heures, Baden-Powell reçoit les ovations assourdissantes des garçons… À 16 heures, Lady B.P. et son mari prennent place à la tribune. Ils dominent la foule de 25000 enfants et chefs représentant tout le scoutisme français. »

Malheureusement, cette grande manifestation se trouve, ensuite, quelque peu récupérée par le scoutisme catholique, pourtant plus récent : « Le lendemain, les Scouts de France ne mirent aucune discrétion à s'afficher. Un des journaux les plus lus de l'époque, le Petit Parisien, publiait sous le titre “ 25000 scouts ont acclamé à Paris le créateur du scoutisme Lord Baden-Powell ” une photographie de la tribune à cette manifestation, photo à deux personnages : en haut Baden-Powell prononçant un discours, en dessous et un peu à droite, l'aumônier général des Scouts de France. Finalement la presse et la radio firent, de la venue de Baden-Powell au 25e anniversaire du scoutisme en France, une visite du fondateur du scoutisme mondial au scoutisme catholique français qui n'avait pourtant rien préparé. »

Autre secousse à l'occasion de la manifestation à la Sorbonne en présence de Marc Rucart, ministre de la Justice, dont un fils était aux E.U., et de Jean Zay, ministre de l'éducation nationale, qui, tous deux, ont été appelés à prendre la parole pour dire beaucoup de bien du scoutisme dans les circonstances de l'époque. Lesquelles circonstances sont, il faut le rappeler, celles du « Front Populaire », qui va être marqué par de profondes réformes sociales. Léo Lagrange, secrétaire d'État aux Loisirs, bien qu'ancien E.D.F. et responsable de troupe au Lycée Henri IV de Paris, n'y participe pas car le scoutisme est toujours rattaché à l'Éducation Nationale (après l'avoir été à celui de la Guerre).

Mais… « Cette soirée de la Sorbonne n'intéressait pas les Scouts de France au même titre que les autres manifestations. Ils ne pouvaient y prendre la première place et, en plus, elle heurtait la plus grande partie d'entre eux, sentimentalement et politiquement très loin du Front Populaire. Cet éloignement devait se traduire par des incidents regrettables dans la salle de la Sorbonne. Des ricanements et des coups de sifflets avaient accueilli par ci, par là, les ministres et certaines de leurs paroles. Bien que des applaudissements chaleureux et prolongés aient largement compensé le caractère désagréable de ces incidents, les Éclaireurs de France pensèrent devoir, dès le lendemain, adresser des excuses aux ministres. Et la rédaction de ces excuses était particulièrement difficile en ce qu'elles soulignaient un désaccord au sein du scoutisme français. »

Et pourtant le discours de Jean Zay, dont le livre des deux Pierre donne quelques extraits, traite du scoutisme dans l'intégralité de son rôle éducatif : le scoutisme et l'école, le scoutisme et la compréhension de l'âme de l'enfant, le scoutisme et les loisirs, le scoutisme et l'éducation physique, le scoutisme et la paix… Dans son éditorial de décembre 1936, André Lefèvre souligne que ce discours a « apporté à Baden-Powell et au scoutisme un témoignage d'une portée incalculable ». On peut voir dans cette manifestation et  ces incidents le début d'une nouvelle étape du Mouvement.


Le scoutisme et l’école

Ma présence ici ce soir a une signification que je veux signaler. Elle est destinée à marquer que les petits malentendus, les légères incompréhensions qui, à l’origine, avaient pu parfois exister entre le Mouvement scout et l’Université, sont définitivement dissipés. Aucun de nos maîtres ne peut plus continuer à considérer vos chefs et cheftaines comme des concurrents qui détourneraient les élèves de leurs occupations sérieuses pour les transformer en je ne sais quelles meutes hurlantes. Mais de votre côté aussi, je l’espère, aucun d’entre vous ne peut plus voir dans vos maîtres ce que l’on appelait irrespectueusement les « vieilles barbes » fermées à la vie joyeuse et saine du plein air… Vous savez maintenant que nos professeurs, nos instituteurs sont capables aussi de marcher, de  sauter, de courir, de grimper. Vous savez qu’ils obéissent à la même devise que vous, « Servir », et, sans doute, qu’ils accomplissent aussi leur B.A., leur bonne action par jour. Du reste, vous en avez connu plus d’un qui vous accompagnait dans vos randonnées et partageait vos jeux et vos travaux,  camarade aussi cordial qu’il était, la veille, maître vigilant. C’est qu’en effet, loin de se combattre, le scoutisme et l’école poursuivent des tâches convergentes.

Le scoutisme et la compréhension de l’âme de l’enfant

… Vous avez mis en pratique des méthodes d’éducation dont l’efficacité n’est plus à démontrer et dont la simplicité n’est pas le moindre mérite. Ce qui fait la valeur de la pédagogie scoutiste, c’est qu’au lieu de combattre ce qu’il y a de spontané chez les enfants, elle l’utilise et le développe.

Éduquer en utilisant les aptitudes naturelles, c’est aussi ce que nous essayons de réaliser sur un autre plan et dans une autre sphère. Nous voulons, dans toute la mesure du possible, un enseignement qui fasse appel à l’initiative d’un élève, à son esprit d’observation, qui lui permette, sous une direction avisée, de découvrir par lui-même ce qu’il s’agit de lui apprendre. Nous voulons que les classes soient le plus souvent une collaboration entre le maître et l’élève, un dialogue plus qu’un cours. Nous voulons développer, comme vous, le travail par équipes…

Le scoutisme et les loisirs

Je vois que beaucoup sourient lorsque je parle de surmenage scolaire. Je sais que vous savez vous défendre assez bien vous-mêmes contre ce péril ; j’admettrais même que l’élève paresseux soit plus joyeux que l’élève surmené. Il n’en reste pas moins que l’enseignement soit se délivrer dans la joie. C’est pourquoi nous nous préoccupons d’un allègement des programmes qui, sans compromettre en rien le caractère de haute culture qui fait l’originalité et le prestige de l’enseignement français, permettra aussi de sauvegarder cet imprescriptible droit, ne disons pas à la paresse, mais aux loisirs, plus essentiel pour la jeunesse que pour quiconque.

Et si l’on m’objecte que l’enfant ne sait pas utiliser ses loisirs, je répondrai que vous avez, Messieurs, démontré le contraire d’une façon éclatante.

Le scoutisme et la paix

Le scoutisme représente, à coup sûr, un frappant et magnifique exemple d’esprit démocratique, et, s’il existe chez vous des chefs, nous savons bien qu’ils ne tiennent pas à ce prestige presque surhumain – comme nous voyons ceux qui nous entourent – mais que ce sont pour vous des camarades qui partagent votre vie et vos occupations, qu’ils commandent par la persuasion et non par la force, que ce qu’ils vous enseignent ce n’est pas l’art cruel de la guerre, c’est l’amour du prochain, c’est la grande loi de la solidarité humaine, c’est la volonté résolue de la paix, c’est à dégager, par-delà les frontières, une communauté de jeunes qui se manifeste avec éclat dans les réunions internationales que vous appelez, je ne sis trop pourquoi mais le mot a une sonorité joyeuse et claire qui me plait, des « jamborees ».


Cette attitude des Scouts de France et la sorte d'accaparement de l'anniversaire des autres devaient soulever des protestations indignées dans le Mouvement, au moins dans sa partie la plus attachée à la laïcité. Le 14 décembre, Jean Kergomard écrivait à Georges Bertier (on peut remarquer que Kergomard, membre du Comité Directeur, vouvoie le président) :

« Pour ma part, je vous avoue que je regrette d'avoir proposé, il y a deux ans, une formule atténuée pour l'affirmation de notre position à l'égard des questions religieuses. Vous acceptiez le mot laïque. J'ai eu tort de croire qu'une définition un peu ambigüe de ce mot pourrait lui être substituée. Il était nécessaire pour éviter toute équivoque. Je m'en aperçois aujourd'hui. Je suis convaincu que vous êtes inquiet, comme moi, en présence de manifestations d'une fausse fraternité qui n'est, en réalité, qu'un moyen de tout conquérir. »

Dans le même temps, André Lefèvre se rendait à Verneuil pour insister auprès de Bertier pour une affirmation énergique de la totale solidarité du Mouvement avec l'enseignement public. Bertier prenait alors une décision qui levait toute équivoque. Le 27 févier 1937, à la veille de l'assemblée générale, il annonçait au Comité Directeur qu'il démissionnait de la présidence de la fédération et proposait pour le remplacer Albert Châtelet. Dans un message qu'il adressait au Mouvement, il expliquait sa décision.

On peut donc considérer, à l'examen des événements de cette période qui, commencée dans l'immédiat après-guerre, va se concrétiser jusqu'au début du deuxième conflit mondial, que les E.D.F. trouvent, progressivement, la place qui va être la leur aux côtés de l'enseignement public. Albert Châtelet, que Jean Zay avait appelé à la direction de l'enseignement du second degré, aura pour successeur Gustave Monod, aussi bien dans cette fonction qu'à la présidence des E.D.F.

Les articles suivants de cette rubrique donnent quelques illustrations de la vie du Mouvement entre les deux guerres.



Nous avons – peut-être arbitrairement – situé l'histoire du scoutisme féminin dans cette période, bien qu'elle ait vu la naissance de la Fédération Française des Éclaireuses : en réalité, celle-ci a pris le relais des expériences menées pour les filles depuis 1912, sous plusieurs formes qui ont été évoquées dans la rubrique « les premières années ». Le scoutisme féminin existait, la création de la F.F.E. en concrétise l'existence, qui sera confirmée quelques années après par la création des Guides de France acceptée par la hiérarchie catholique qui, quelques années auparavant, rejetait le principe même du scoutisme. 

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