1972.01 et la suite : une crise de société et une crise du Mouvement

Mer14Avr202119:50

1972.01 et la suite : une crise de société et une crise du Mouvement

 Essai de résumé de six années à suivre… 


Le nouveau Mouvement né en 1964 n’a pas fait l’économie de la « crise de société » qui a caractérisé les années qui ont précédé ou suivi 1968. Années de remises en cause, pas uniquement par la jeunesse mais peut-être surtout par elle, des principales caractéristiques d’une société qui n’avait pas su prendre la dimension de sa propre évolution. 

Autant la réflexion menée par les E.D.F. dans les années de l’immédiate après-guerre s’est déroulée sans trop de heurts – si l’on excepte l’« affaire Bertier » et la création d’une association dissidente de type traditionnaliste –, autant les années en question ont fait apparaître, pour une partie importante de la jeunesse et de ses Mouvements, une réaction de rejet. Cette réaction a frappé de plein fouet les E.E.D.F. dont les principes fondamentaux acceptaient, par définition, toutes les pistes de recherche, voire de contestation. Elle a entraîné plusieurs années de perturbations, dont Jean-René Kergomard pense qu'elles auraient pu être économisées…

L’échelon national en charge du fonctionnement du Mouvement a connu, lui-même, une situation de crise mettant en évidence des conceptions différentes de l’action à mener. Cette situation a conduit quelques militants du Mouvement à faire appel à Pierre François, ancien commissaire général, pour succéder à Fernande Chatagner, première présidente des E.E.D.F. .

Le nouveau président a immédiatement proposé au Comité Directeur un projet de « Consultation » de l’ensemble du Mouvement, que devaient suivre des « Assises » appelées à définir des orientations constructives pour la suite de la vie du Mouvement… On peut noter que Pierre François, rappelé de sa retraite, a accepté très courageusement d’apporter, dans ces circonstances difficiles, à la fois une expérience de plusieurs décennies aux E.D.F. et un « œil neuf » lié, justement, à son éloignement cours des années écoulées. Sa première réaction au Comité Directeur a été « Puisqu'ils veulent discuter, qu'ils discutent »… À aucun moment, il n’a jugé sa connaissance ancienne de l’association suffisante pour définir ce qu’elle pouvait être dans le futur : c’est après cette « consultation » de l’ensemble du Mouvement, et après des « Assises » réunies en Avignon, que des propositions d’orientation ont été élaborées par un groupe de travail issu du Comité Directeur.

L’Assemblée générale de 1972 va avoir des conséquences importantes pour la suite de la vie du Mouvement : renouvellement de l’équipe nationale d’abord, redéfinition du rôle du Comité National, lancement d’une consultation de l’ensemble des membres de l’association en vue de la tenue d’assises en 1974, première réflexion sur le regroupement des comptes bancaires – et aussi nouvelle approche du problème posé par le château de Cappy, position sur les objecteurs de conscience… et renaissance d’une association d’anciens plutôt conservateurs…

 


 

Sans autre commentaire, le compte rendu des premières réunions du C.D. élu lors de l’A.G. de 1972 :

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L’ambiance, lors de la première réunion du Comité Directeur élu à l’issue de l’A.G. de 1972, était particulièrement lugubre. L’un des participants (Yvon Bastide) a jugé utile d’essayer de l’agrémenter et, pour tenir compte de l’appel au sauveur suprême que semblait représenter la venue de Pierre François dans ces circonstances difficiles, a rédigé un « projet de chant fédéral » qui a circulé auprès des membres du C.D. (d’ailleurs sans atteindre le président). Ce texte contenait une faute d’orthographe, dûment corrigée par Sloughi Déjean, dans le civil inspectrice générale de l’éducation nationale :

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L’humour de ce document n’a pas été apprécié par tous les présents…

 

Suites :

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Grosso modo, une divergence de vue, ancienne mais exacerbée, divisait le Mouvement en deux grandes « tendances » : l’une, le « collectif Après-demain », souhaitait redonner vie aux orientations pédagogiques définies au cours des années récentes ; l’autre, « Avignon continue », souhaitait une réorientation plus radicale et proposait de nouvelles formes d’animation. Une troisième proposition, très minoritaire, proposait un retour sur des modalités d’animation qui avaient fait leurs preuves quelques décennies plus tôt.

Le groupe de travail animé par Pierre François et Jean Estève voyait dans cette divergence un risque de rupture en amenant « scissions, émiettement, liquidation en groupuscules antagonistes et inefficaces ». C’est donc un travail de synthèse de deux projets apparemment divergents qui a été entrepris sous leur responsabilité. Françoise Lefèvre, Jean-René Kergomard, Yvon Bastide et quelques autres en faisaient partie.

A posteriori, l’échec de cette tentative était prévisible dans la mesure où les militants impliqués dans l’un et l’autre de ces projets voulaient « en découdre ». Mais, si l’A.G. de 1974 n’a pas permis de lui donner vie, le partage du nouveau Comité Directeur entre les deux tendances a conduit, quelques années après, à une solution proche de celle qui avait été envisagée, après un prolngement de crise de 1975 à 1978.

Pierre François et Jean Estève ayant, par la suite, pris définitivement leur retraite du Mouvement, le relais a été pris par quelques autres, et, en particulier, à partir de  fin 1977, par Jean-René Kergomard, qui nous explique pourquoi le Mouvement aurait pu gagner plusieurs années et comment la situation a pu, progressivement, se rétablir, en particulier par un retour vers des actions de formation efficaces et quelques grandes activités motivantes. Parmi lesquelles, sur la suggestion de Claire Mollet redevenue alors Déléguée générale, la création et l’animation du centre de Bécours.

Rejeton d’une lignée de militants du Mouvement, Jean-René Kergomard a été successivement louveteau puis éclaireur à Alger jusqu’en 1939 ; puis éclaireur, routier, chef de clan (spécialisation marionnettes) à la Mouff à Paris jusqu’en 1948. Départemental de la Meuse de 1961 à 1966, en même temps que régional adjoint Lorraine-Alsace. Adjoint puis régional Flandres-Artois de 1967 à 1973, élu au Comité Directeur en 1975, trésorier jusqu’en 1977 : l’aboutissement de ce parcours était la fonction de Président de 1977 à 1983 - dans des temps difficiles… Nous lui donnons la parole :

 


 

« C’est en tant que régional Flandres-Artois que j’ai été mêlé aux événements qui ont secoué le Mouvement après 1968. Le Mouvement, au fil des ans, s’effiloche, les groupes se replient sur eux-mêmes et oublient leur appartenance à une association nationale. Naissent alors des tendances allant, pour simplifier, de groupes ayant transformé l’éducation scoute en un certain nombre de rites et pratiquant un scoutisme figé, à des responsables désirant se détacher du Scoutisme – tendance représentée par l’équipe nationale de 1974 à 1978.

Il est apparu, à un certain nombre d’anciens du Mouvement, responsables « historiques », dont Pierre François et Jean Estève, ainsi qu’à d’autres encore ancrés dans l’animation et inquiets de l’évolution du Mouvement, qu’une vigoureuse réaction était nécessaire. C’est ainsi que j’ai été associé, à la veille de l’Assemblée Générale de 1972, à une réunion préparatoire où il fut décidé de faire appel à Pierre François et Jean Estève. Entrés au Comité Directeur, ils on mis en route une vaste réflexion devant mener aux Assises d’Avignon en 1974.

Pour ma part, je n’ai que peu participé à cette période, ayant un emploi du temps très chargé entre ma famille, ma vie professionnelle, la région… sans compter le groupe d’Arras. Mais j’étais toujours au contact des problèmes ; ma principale participation a été d’organiser dans la région de Lille un stage surtout destiné à préparer, avec les délégués aux Assises, les discussions qui les attendaient. J’y insistais particulièrement sur les aspects sociologiques que sous-tendaient les tendances organisées dans le Mouvement.

Candidat au Comité Directeur et signataire d’une « déclaration commune d’intentions » préparée par un groupe de travail animé par Pierre François et Jean Estève, je n’ai pas été élu et ils n’ont pas été réélus. Ce vote est resté pour moi une énigme ; je laisse de côté l’hypothèse d’un trucage du vote pour penser qu’il a été la conjonction de tendances opposées, les uns n’adhérant pas aux conclusions des Assises, d’autres considérant comme une gêne pour la libre expression démocratique d’avoir au C.D. des personnalités peu engagées dans la vie du Mouvement et représentant surtout son passé…

Ce vote a retardé la suite qui devait être donnée aux conclusions des Assises, et l’apaisement souhaité par l’équipe animée par Pierre François et Jean Estève. Il était pourtant impossible d’en rester là et, avec quelques autres, dont Françoise Lefèvre, nous nous sommes présentés à nouveau au C.D. et nous avons été élus. Alors commença une tentative de rapprochement des tendances, sous la présidence d’Antoine Sassine. Pour ma part, j’étais appelé aux fonctions de trésorier de l’Association, tâche ingrate s’il en est, chaque année enregistrant un nouveau déficit dans tel ou tel centre de vacances ; il fallait aussi résister aux rêves de la nouvelle équipe nationale pour laquelle les moyens devaient s’adapter aux ambitions.

À quelques-uns, nous nous sommes donc engagés à mettre sur la table, et à résoudre, les problèmes financiers les plus urgents. La situation était si préoccupante que, sans la caution des groupes, dont les comptes avaient été regroupés dans une seule et unique banque, l’Association aurait été mise en cessation de paiement.

L’Assemblée Générale de 1977 à Lyon a été marquée par des incidents dont l’un m’a obligé à me désolidariser du bureau. De plus, le projet de budget que j’étais chargé de présenter était établi sur des capacités d’expansion que l’équipe nationale n’avait pas essayé de faire approuver préalablement… C’est donc tout naturellement que ce projet de budget a été rejeté. M’étant désolidarisé du Bureau du C.D., j’ai considéré que j’avais une obligation morale de me présenter à la Présidence du Mouvement. Mon élection a été acquise par une majorité étroite mais incontestable… Le Délégué Général n’ayant pas réussi à remettre en cause cette élection, il m’a présenté sa démission, estimant qu’il ne pouvait accepter que le Mouvement soit « présidé par un financier » ! Ni par mes fonctions professionnelles, ni par celles que j’avais occupées dans le Mouvement, à l’exception de la période 75-77, je ne méritais cette qualification…

Privé de Délégué Général, le Mouvement a connu, pendant quelques mois, une situation confuse. Après un Comité National morose, j’ai décidé de proposer au C.D. la nomination, à nouveau, de Claire Mollet comme Déléguée Générale. Une nouvelle équipe, active et fortement impliquée pendant la période 72-74, a été mise en place. Rapidement, dans les années qui ont suivi, les Assemblées Générales ont retrouvé des majorités pour le vote du rapport moral et du rapport financier et il était à nouveau possible de recentrer les activités sur l’animation et la formation. 

Des activités nationales d’envergure ont permis de recréer la cohésion du Mouvement, sauf quelques groupes réfractaires qui ont continué à se replier sur eux-mêmes ; ils ont, en général, fini par quitter le Mouvement plutôt que de remettre en cause un scoutisme figé. Il a donc fallu plus de cinq ans pour sortir de cette crise qui a été, sans doute, la plus grave qu’ait connu le Mouvement.

Dans la foulée des Assises et du travail initié par Pierre François et Jean Estève, le Mouvement aurait pu gagner plusieurs années. Faut-il le regretter, ou devons-nous penser que la « purge » était nécessaire, même si elle devait durer ?

(Extrait de « Cent ans de laïcité dans le scoutisme et l’éducation populaire »)

 


Une communication à rétablir

 

Un certain nombre d’années passées dans l’équipe de la région de Paris – qui peut être considérée comme une assez jolie maquette de l’ensemble du Mouvement – ont permis une prise de conscience des problèmes rencontrés dans les années 70, de leur gravité, et de la nécessité de rechercher une réponse à moyen terme. C’est donc un témoignage totalement subjectif qui est présenté ici.

Élu au Comité Directeur lors de l’Assemblée Générale (très mouvementée) de 1972, j’ai d'abord accueilli avec une certaine réticence les propositions de Pierre François, appuyé par Jean Estève, pour un nouveau départ du Mouvement. Je considérais en effet – et je le considère toujours – que Pierre Bonnet, qui avait remplacé, de 1968 à 1974, Jean Estève au Commissariat Général dans une période plus que difficile, risquait d’être la victime expiatoire d’une situation dont il n’était en rien responsable.

Mon opinion sur ces propositions a évolué assez rapidement : dans l’équipe régionale parisienne, dont j’avais assuré la responsabilité au cours des dernières années, j’avais pu prendre la dimension d’une crise grave qui risquait de mettre en cause l’existence même du Mouvement. Nous avions mis l’accent sur la formation « initiale » des cadres, à partir de stages premier degré dit « stages Motivation » qui avaient pour but d’expliquer aux jeunes responsables « pourquoi nous combattons » c’est-à-dire quel était l’intérêt, aux alentours de 1968 et dans un monde en profonde mutation, de venir s’occuper de jeunes de tous âges dans un « Mouvement de scoutisme laïque ouvert aux filles et aux garçons ». Je pensais alors, et je continue de penser, que nos options pédagogiques, même si elles avaient évolué depuis les temps heureux des débuts de Scouting for Boys, méritaient mieux que l’image dégradée qui s’était construite au fil des ans.

Ce contact avec les « jeunes » m’avait permis, et ce sentiment était partagé par la totalité de mon équipe régionale, de constater que nous ne notions aucune divergence grave sur le fond… avec ceux que les responsables locaux voulaient bien accepter de nous confier. Pour certains autres, la vérité était détenue par deux ou trois adultes qui avaient « appris le Scoutisme » dans les années 30 et, n’en voulant pas démordre, protégeaient par tous les moyens leurs jeunes ouailles de l’influence néfaste de structures régionales évidemment perverties puisque essayant d’appliquer des décisions collectives… je ne caricature pas tellement ! Nous n’avons jamais empêché quiconque de pratiquer le Scoutisme qu’il voulait, nous souhaitions simplement que ce soit dans un cadre « associatif » et non sous la forme d’une entité autonome acceptant tout juste d’acheter une assurance à un organisme central. Cette option me semblait totalement compatible avec les orientations données par le Fondateur pour qui le Scoutisme était, avant tout, une magnifique aventure en commun. 

Autrement dit, et transposé au niveau national, le problème majeur était celui d’une communication à rétablir, pas uniquement entre générations, mais aussi – et peut-être surtout – entre conceptions différentes de notre Scoutisme. Un premier risque était l’éclatement, à partir de « tendances » qui avaient besoin, pour exister, de se différencier, donc d’accentuer leurs différences mutuelles. Un deuxième risque, peut-être aussi important, était l’épuisement en querelles internes dont l’action « à la base » ne pouvait que faire les frais : c’est d'ailleurs plutôt ce deuxième risque qui s’est confirmé une fois passées les inévitables « dissidences » d’adultes qui se considéraient comme des chefs absolus.

C’est cet aspect de la question qui a été mis en évidence, très vite, par Pierre François et, également, Jean Estève, et je n’ai pu qu’approuver leur première proposition : à l’ensemble du Mouvement une réflexion « sur le fond », à travers une grande « Consultation » présentée comme un immense « remue-méninges » (traduction approximative du mot américain "brainstorming").

Dégagé de mes obligations régionales, je me suis intéressé à la « promotion » de cette idée auprès d’un certain nombre de régions, et je crois me souvenir que l’accueil en a été très favorable : il fallait sortir de cette situation de crise.

Étape suivante, Pierre François et Jean Estève ont pensé qu’ils pouvaient, eux aussi, avec un Comité Directeur considéré comme représentatif du Mouvement, participer à la réflexion, et ont donc constitué un groupe de travail dont j’ai, un certain nombre de fois, assuré le secrétariat. Je joins en annexe une lettre de Pierre François me félicitant, en quelques lignes, de l’excellent travail fourni dans un compte-rendu et expliquant, sur les deux pages suivantes, quelles améliorations il souhaiterait lui apporter…

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Cette lettre de Pierre François, corrigeant avec d’excellents détails un projet de compte-rendu de réunion, aborde efficacement ce qui est, en réalité, le fond du problème de la crise que vit alors le Mouvement.

Cette lettre atteste l’importance que Pierre François, comme Jean Estève, accorde à la nécessité d’une nouvelle définition du Mouvement tenant compte de la totalité de ses composantes mais ne se séparant pas de l’essentiel : la notion de contrat, certes, mais également – et peut-être surtout – l’importance du choix de l’action « éducative » car « nous croyons à la vertu de l’éducation pour transformer l’homme et la société ».

Notre préoccupation a été claire : sortir du contexte d’affrontement, éviter l’éclatement, redonner au Mouvement les moyens de ne plus s’épuiser en querelles internes – et de s’ouvrir sur l’extérieur. Pour ce faire, il était nécessaire de l’aider à définir un « socle commun » qui permette de rebâtir et d’aller de l'avant. Les travaux correspondants ont abouti à un ensemble de propositions – qui n'ont pas été adoptées par tous les membres du Comité Directeur, dont certains étaient impliqués dans d’autres structures de réflexion.

Prêchant la paix dans un contexte, sinon de guerre, du moins d’affrontement, nous n’avons guère été entendus. Candidats à l’élection du nouveau C.D. lors de l’Assemblée Générale de Saint-Pierre des Corps en octobre 74, nous avons recueilli des scores sans appel : Jean Estève, 49 voix comme Jean-René Kergomard, Pierre François, 46 voix – et, pour ma part, dernier de cette liste, 27, soit 2 de moins que Pierre Estève qui me précédait de peu dans le palmarès. Il en fallait 50 pour être élu.

Malgré cet échec – démocratique –, la réflexion qui avait été menée pendant deux ans n’a pas été inutile : après quelques turbulences, le Mouvement a, progressivement, retrouvé ses repères. Revenu au Comité Directeur en 1977 sous la présidence de Jean-René Kergomard, j’ai constaté avec plaisir que les conflits de conception étaient pratiquement éteints, que l’on recommençait à faire du « Scoutisme E.E.D.F. »… et qu’il redevenait possible de s’intéresser aux activités, aux enfants et aux jeunes.

 


 

Texte de Claire Mollet, extrait de la plaquette éditée à la mémoire de Jean Estève, complète, par des souvenirs personnels, les informations apportées par les textes « officiels ».

Claire Mollet, bien tranquille dans sa région de Nice et ses séjours de vacances d’adolescentes, a été sollicitée par Pierre François pour assurer la fonction de Commissaire Générale à partir de 1972 et, à ce titre, a été en charge de l’organisation de la Consultation et des Assises jusqu’en 1974 (et après…). Elle en a gardé quelques souvenirs qu’elle nous livre.

Sans que soient perdues les valeurs…

À l’automne 72, nous nous retrouvons au 66, Émile Gagnon et moi, pour tirer le Mouvement vers « un avenir meilleur ». Deux, mais aussi et surtout, un Comité Directeur uni, où la présence de Pierre François, Jean Estève et de responsables ex-FFE.N que je connaissais bien est, pour moi, parfaitement claire et rassurante. De bons contacts avec les régionaux et les permanents nous permettent de penser que nous pourrons compter sur ce que le Mouvement a de plus solide. Nous allons, en effet, bénéficier de l’important travail réalisé au cours des années précédentes, d’abord par Jean Estève, puis par Pierre Bonnet à travers ce qu’il a appelé « la toile d’araignée ».

Une collaboration d’une rare qualité s’est instaurée spontanément entre Émile Gagnon et moi, et avec les membres du C.D. ou les autres représentants du Mouvement : Pierre Bodineau a présidé le Scoutisme Français et a représenté les EEDF à la Conférence Mondiale du Scoutisme Masculin au Zaïre en 73, et Françoise Lefèvre à celle du Scoutisme Féminin à Téhéran en 74. Chaque fois qu’on a eu besoin d’examiner un problème du moment, plusieurs membres parisiens du C.D. – Pierre François, Jean Estève, Yvon Bastide, Georges Dussourd – ont trouvé le temps de nous aider, temps d’une soirée, d’un repas, d’une heure entre deux réunions.

La naissance d’un ensemble d’idées :

Dès les premiers jours d’octobre 72, Pierre François a organisé une réunion un soir, Chaussée d’Antin. Jean Estève en était, et aussi Dominique François, dont la présence s’est révélée très précieuse : assez extérieur à la mousse des événements qui secouaient le Mouvement, il a pu, avec cet utile recul, bien aider à faire naître un projet. Car finalement, de cette conversation d’abord générale et informelle, sort, peu à peu, tout ce qu’il va falloir faire pour que le Mouvement retrouve un avenir :

Première idée : … une grande rencontre pour tous les responsables et aînés.

« De véritables Assises » dit quelqu’un 

Deuxième idée : … pour réussir ces Assises, il faut y préparer les participants, les motiver, les consulter, les entendre, les informer largement à tous les niveaux : mener à travers le Mouvement une grande campagne de « Consultation »

Troisième idée : … mais il sera impossible de mener à bien ce projet dans l’année : il faudra donc deux ans pour faire passer partout ce grand courant et tout organiser !

Quatrième idée : … alors quand et où ? Les vacances de Pâques semblent la meilleure période pour les groupes ; donc, en cette saison, météo oblige, le Sud de la France… Pierre François heureux de cette bouillonnante perspective s’exclame : « Avignon ! À tous les jeunes du Mouvement il faut offrir Avignon ! »

Cinquième idée : … pendant les trois ou quatre jours qui semblent nécessaires, il faudra des groupes de travail fixes, pas trop lourds, pour arriver à des conclusions concrètes : les Commissions.

Mais aussi, pour permettre un vrai brassage, de grandes rencontres, où chacun puisse s’exprimer librement et entendre tous les autres : les « forums ». Et, bien sûr, des veillées, des chants, de la musique, du théâtre…

Et voilà en place le schéma qui servira de base au travail des deux années à venir. Reste à lui donner une ossature solide et à la faire vivre partout dans le Mouvement.

Le passage à l’acte :

Notre premier souci fut d’assurer rapidement les bases matérielles de la rencontre, dès décembre 72. André Boissonnet, secrétaire général de la Mairie d’Avignon, Paul Puaux, directeur du Festival – tous deux anciens EDF –, Pierre Estève, président de la Fédération des Œuvres Laïques du Vaucluse et toujours membre du C.D. des EEDF, nous ont ouvert bien des portes pour nous permettre de disposer, en plein congé pascal : des cantines scolaires, des écoles primaires pour les commissions, du lycée Mistral, d’un internat de lycée, des infrastructures du Festival pour les forums et les veillées, du camping de la Barthelasse, et, merveille !, de la grande salle du Palais des Papes pour la séance d’ouverture. Heureusement, car la Mouvement amènera en Avignon, à Pâques 74, plus de 2000 participants.

Dire ce que furent les deux ans de préparation tient de la gageure. Même si les problèmes matériels se firent plus légers, puisque réglés sur le fond, et pris en charge localement par Jean-Claude Véziat, ancien EEDF d’Orléans. Ce qui est certain, c’est que, pendant toute cette période, le courant a passé, bien vivant, passionné souvent, générateur d’amitiés, d’estime qui ne se sont pas démenties depuis – et qui ont permis de sortir de la crise, même si ça n’a pas été immédiat…

Parallèlement, un groupe de travail du Comité Directeur, animé par Pierre François et Jean Estève (avec Yvon Bastide au secrétariat) s’est efforcé de mettre en forme une proposition pour préserver l’avenir du Mouvement : entre ceux qui veulent tout garder tel quel et ceux qui veulent tout bousculer, l’objectif était de proposer une troisième voie essentiellement éducative, laïque et adaptée au monde d’aujourd’hui.

Les Assises :

29 mars – 3 avril 1974 : nous y voilà !

Tous sont là, même ceux qui n’avaient pas prévenu. Au Palais des Papes, un parterre de 2000 EEDF, fleuris à l’entrée par la région de Nice, tapageurs, silencieux, heureux. Quelque discours sans longueur : la bienvenue souhaitée par M.A. M’Bow, sous-directeur général de l’UNESCO, ancien EDF de Dakar, les quelques mots indispensables de la Commissaire Générale, un chant facile lancé par Blas Sanchez et sa guitare, et repris par tous. Et c’est le premier cross-orientation vers les cars, les centres de commissions et de restauration. À cette minute, nous avons su, Émile Gagnon et moi, que les Assises étaient réussies.

Le matin, les forums largement ouverts à tous pour des échanges au gré des intérêts de chacun : l’école et la société, éducation et liberté sexuelles, l’international, inné et acquis en éducation, etc. L’après-midi, travail en commissions, repris encore le matin du dernier jour.

Le soir, veillées, chants, concerts silencieusement écoutés, jeux dramatiques et théâtre, autour de Blas Sanchez, Pierre Chêne, Evrard, le quintette à vent d’Avignon, des groupes de danse et, à la Barthelasse, une belle animation spontanée de trompettes et de guitares.

Le matin à 7h30, réunion, au petit-déjeuner, autour de Denise Joussot et Michel Capestan, de l’« équipe des 18 » pour le bilan des commissions. Un rapport journalier est établi afin d’en diffuser les grandes lignes. Un journal, « Respelido » (« Renouveau », en provençal) sort tous les jours pour informer tout un chacun des activités offertes, des idées qui circulent… Au-dehors, on parle de nous : Le Monde, le Figaro, La Croix, Le Point, tous les quotidiens de la région évoquent notre recherche : « le Mai des Éclaireurs » « une profonde évolution du Scoutisme laïque ».

Mardi 3 avril, 17 heures. Voilà, c’est fini. On démonte tout, les derniers cars quittent Avignon. C’est sur la route du retour que la plupart apprendront le décès du Président de la République. Le commandant de police, le Maire, les associations amies nous diront leurs félicitations pour « notre sympathique rencontre » et « la tenue de tant de jeunes rassemblés ». C’est fini et c’est assez réussi, même le compte d’exploitation s’avère équilibré.

C’est fini, et c’est réussi, et pourtant nous ne sommes pas encore sortis de la crise. L’amitié et la confiance évoquées plus haut m’ont permis, deux ans plus tard, après un ultime soubresaut, de reprendre du service à la demande de Jean-René Kergomard, candidat malheureux au Comité Directeur en 74, élu en 75, devenu Président en 77. La situation était grave. Je peux en attester en rappelant que, au cours d’un premier entretien avec un haut fonctionnaire du Ministère de la Jeunesse et des Sports, je me suis entendu dire : « Madame, il était temps ! Nous étions prêts à retirer, non seulement la subvention annuelle de fonctionnement, mais aussi l’agrément de votre Association. » Curieusement, j’ai entendu cette menace sans trop d’émotion. Le pire était passé. Encore aujourd’hui, je suis sûre que nous sommes sortis de ces années noires, qui ont duré de 71 à 77, grâce à une ligne claire, sans cesse affirmée, qui a toujours défini nos valeurs et accompagné notre action.

Et finalement, par ce soir d’avril 74 en Avignon, ignorant les orages à venir, nous sommes tous très heureux.  Les Assises réussies vont permettre de continuer à ceux qui, autour de Pierre François, ont travaillé depuis deux ans à vouloir que les jeunes du Mouvement s’expriment et qu’on les entende, sans que soient perdues de vue les valeurs d’éducation, de laïcité, d’ouverture aux autres et à la société d’aujourd’hui.

Une anecdote : l’histoire des sacs 

Pour donner une idée des problèmes qui ont pu se poser – et de la façon de les traiter – je ne résiste pas au plaisir de raconter l’histoire des sacs.

Prévu  pour contenir les documents et renseignements pratiques, un sac de toile de jute, frappé du logo bleu et rouge des Assises ? Complété par un coussin en mousse, il allait permettre de s’asseoir partout où les sièges manqueraient.

Une usine du Nord nous promet 2000 sacs terminés, pour le début de 74. En janvier, nous découvrons la réalité : elle fait faillite. Nous obtenons seulement l'envoi des rouleaux de toile de jute et des sangles nécessaires à la fabrication.

La toile de jute arrive à Annot où, en deux mois, deux couturières piquent les 2000 sacs et leur bandouillère et où ma Joëlle de belle-fille exécute à elle seule les 2000 sérigraphies.

La veille des Assises, sous une grande tente à la Barthelasse, les aînés de Nice, arrivés en avance, glissent, en chahutant beaucoup, les 2000 coussins dans les sacs, désormais prêts à l’usage. C‘est ce qu’à la F.F.E. on appelait le « débrouillum tibi ».

 

 

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